jeudi 28 mars 2013

Retour (13)





En lien avec la parution de Field Recording..., un article de quatre pages est paru dans le magazine bilingue français-anglais MCD (Musiques et cultures digitales) de mars-avril-mai. 
Ce mercredi soir, je me suis à nouveau rendu dans les bâtiments de Radio France, cette fois-ci pour répondre à l'invitation de l'émission Ouvert la nuit, sur France Inter. Lors de la première heure de l'émission, j'y partageais (en direct cette fois-ci) le plateau avec Chloé Mons (ex-compagne et partenaire de Bashung, notamment pour Le cantique des cantiques recomposé par Rodolphe Burger), Yan Péchin et Pierre Mikaïloff, qui étaient eux présents pour une "spéciale Bashung" (plus de détails sur l’émission ici). Le podcast est en écoute .

mardi 26 mars 2013

Paradigme indiciare (7)



Dans son article fondamental Traces. Racines d'un paradigme indiciaire (disponible en français dans un volume intitulé Mythes emblèmes traces. Morphologie et histoire édité par Verdier. Parution originale : Spie. radici di un paradigma indiziario, 1979), Carlo Ginzburg écrit : "On peut aisément démontrer que le plus grand roman de notre temps - A la recherche du temps perdu - est construit selon un rigoureux paradigme indiciaire."
Bien des années plus tard, ce 19 mars en fait, Ginzburg creuse cette intuition dans une communication donnée au Collège de France (qu'on peut écouter ici) et intitulée L'étranger qui n'est pas de la maison.
Où l'on apprend que l’œuvre et l'historiographie proustiennes ne sont pas étrangères à "l'invention" du paradigme indiciaire... D'ailleurs, l'historien a été à bonne école : sa mère Natalia Ginzburg - romancière et essayiste reconnue - a écrit la première traduction italienne de Du côté de chez Swann en 1946 pour Einaudi. Pour explorer encore les relations de la famille Ginzburg avec la Recherche (et en découvrir le destin hors du commun avant, pendant et après la seconde guerre mondiale), on lira bien vite Les mots de la tribu, récit prometteur de Natalia Ginzburg paru en Italien en 1963 et disponible en Français chez Grasset.

jeudi 21 mars 2013

Les rêves se tarissent



"Et si l'on songe que le bateau, le grand bateau flottant du XIXe siècle, est un morceau d'espace flottant, un lieu sans lieu, vivant par lui-même, fermé sur soi, libre en un sens, mais livré fatalement à l'infini de la mer et qui, de port en port, de quartier à filles en quartier à filles, de bordée en bordée, va jusqu'aux colonies chercher ce qu'elles recèlent de plus précieux en ces jardins orientaux qu'on évoquait tout à l'heure, on comprend pourquoi le bateau a été pour notre civilisation - et ceci depuis le XVIe siècle au moins - à la fois le plus grand instrument économique et notre plus grande réserve d'imagination. Le navire, c'est l'hétérotopie par excellence. Les civilisations sans bateaux sont comme les enfants dont les parents n'auraient pas un grand lit sur lequel on puisse jouer; leur rêves alors se tarissent, l'espionnage y remplace l'aventure, et la hideur des polices la beauté ensoleillée des corsaires."

Le terril (4)



Nos vies nous éloignent du sol. Elles nous empêchent aussi de voir le ciel. Parfois, je rejoins le plus haut point du terril, dans un endroit protégé du vent et des passants, et je m'y couche. La terre est froide, des déchets m'entourent, peu importe. Plus souvent omineux que limpide, le ciel me délivre à nouveau les signes qu'enfant, je tentais souvent de déchiffrer. Mais désormais, mon imagination a conscience d'elle-même et le jeu n'a ni la force, ni l'authenticité des croyances liées aux jeunes années. Parfois, une personne survient, s'inquiète de mon état et interrompt mes ruminations. Je lui réponds qu'elle n'a pas de souci à se faire. Je vais rester encore un peu. Et d'ailleurs, on ne dérange pas le prince André qui vient de tomber sur le champ de bataille d'Austerlitz. 
Il n'y a plus rien. 
En avant.

« Qu’est-ce qui se passe ? Je tombe ? Mes jambes se dérobent », se demanda-t-il et il tomba sur le dos.
Il ouvrit les yeux, voulant savoir comment s’était terminée la lutte des Français et des artilleurs, si le rouquin avait été tué ou non, si les canons avaient été pris ou sauvés. Mais il ne vit rien. Au-dessus de lui il n’y avait que le ciel, un ciel haut, légèrement voilé et cependant infiniment haut, sur lequel glissaient lentement des nuages gris. « Quel silence, quelle paix et quelle majesté ! songeait le prince André. Ce n’est plus du tout comme lorsque je courais, plus du tout comme lorsque nous courions, criions et nous battions, plus du tout comme lorsque le Français et l’artilleur, le visage convulsé de terreur et de rage, s’arrachaient le refouloir. Ce n’est pas du tout ainsi que glissent les nuages dans ce ciel infiniment haut. Comment se fait-il que je ne voyais pas auparavant ce ciel infini ? Et quelle joie de le connaître enfin ! Oui, tout est vanité, tout est mensonge à part ce ciel. Rien, rien n’existe que lui… Mais cela aussi n’existe pas. Il n’y a rien. Il n’y a rien, il n’y a rien que le silence, le repos… Et Dieu en soit loué !… »

mardi 19 mars 2013

La danse des possédés (56)


La vie plus ou moins dangereuse. — Vous ne savez pas du tout ce qui vous arrive, vous courez comme des gens ivres à travers la vie et vous tombez de temps en temps en bas d’un escalier. Mais grâce à votre ivresse vous ne vous cassez pas les membres : vos muscles sont trop fatigués et votre tête est trop obscure pour que vous trouviez les pierres de ces marches aussi dures que nous autres ! Pour nous la vie est un plus grand danger : nous sommes de verre — malheur à nous si nous nous heurtons ! Et tout est perdu si nous tombons.
Nietzsche, Le gai savoir, livre troisième.

 Comment achever ce qui est en cours sans tomber ?

vendredi 15 mars 2013

Mnémotourisme (17)



 




La référence au tourisme, et donc à la déambulation dilettante, de cette section du blog paraîtra encore plus légère et maladroite que de coutume... Krieg dem Krieg! Guerre à la Guerre! War against War! Oorlog aan den Oorlog! est publié pour la première fois en 1924 par le pacifiste Ernst Friedrich. Comme on peut le constater, l'objectif est de montrer l'horreur dans son plus plat prosaïsme : les charniers, les gueules cassées, les condamnations à morts. Si la démarche de Friedrich fait bien entendu réfléchir sur le statut de telles images (et sur notre "consommation" de celles-ci), elle n'en reste pas moins un acte fort témoignant de cette volonté que non, décidément, cela ne pourrait pas se reproduire...  La suite de l'Histoire est connue.
Pour son pays, Ernst Friedrich (1894-1967) était un traître. En 1916, il a fait de la prison pour actes de sabotage antimilitaristes et en 1933, les Nazis ont détruit l'Anti-Kriegs-Museum qu'il avait fondé à Berlin en 1925. Enfin, pendant la Seconde Guerre Mondiale, il a rejoint la Résistance française. 
Une fois encore, vive les traîtres.
On a trouvé la référence de Krieg dem Krieg! dans Peuples exposés, peuples figurants de Georges Didi-Huberman où celui-ci cite et analyse ce passage d'un article de Bertolt Brecht : "Pour le prix d'un disque de chants de Noël, on peut acheter à ses enfants ce monstrueux livre d'images qui s'appelle Guerre à la Guerre : ce sont des documents photographiques qui montrent un portrait réussi de l'humanité." (pp. 18-19)

Portrait réussi de l'humanité.

vendredi 8 mars 2013

La danse des possédés (55)


Après le label Sun City Girls, Sublime Frequencies ou encore Alvarius B, Alan Bishop trace sa route et s’apprête à sortir un album (deux éditions, l'une chantée en arabe, et l'autre en anglais) sous le nom The Invisible Hands, enregistré au Caire avec des musiciens égyptiens. Un ami bienveillant nous l'a fait découvrir récemment, et on s'en réjouit, comme en témoigne ce morceau rutilant.

mardi 5 mars 2013

Mnémotourisme (16)

Refus
22 janvier 1922
Gentioux-Pigerolles (Creuse)

Loups-Garous
15e-16e siècles
Ferme de La Valade près de Rochechouart (Haute-Vienne)

On continue notre lecture des textes de Pierre Bergounioux avec Paysages insoumis, le très beau livre de photographies de Thierry Girard (Loco, 2012), pour lequel il a écrit, en guise de préface, un historique de l'insoumission (de Sumer à Tarnac en quelques pages, et oui). Passée cette ouverture de Bergounioux, le livre montre toute une série de vues prises dans le Limousin, dans une région dont l'histoire a eu, à de nombreuses reprises, maille avec la résistance et la rébellion : révoltes paysannes, émeutes ouvrières, résistance durant la guerre... Chaque photo est accompagnée d'un texte racontant un évènement ayant eu lieu dans un passé plus ou moins lointain. Souvent, un décalage existe entre ce qui est vu et ce qui est lu : la nature a repris ses droits, des maisons, un ferme ont été construites... Cette démarche montre à nouveau que l'histoire d'un lieu ne résulte jamais de l'accumulation des traces visibles de son passé. Toujours, les strates du paysage doivent être dégagées par d'autres moyens que ceux de la cornée et de la bêche.
Ci-dessous, les textes accompagnant les photographies en haut.

"R E F U S
Le 29 janvier 1922, la municipalité de Gentioux-Pigerolles décide de la construction d’un monument aux morts unique en son genre : au lieu de célébrer la Victoire et de pleurer les Morts, un orphelin en sarrau, la blouse de l’écolier, tend un poing rageur vers cette inscription : “Maudite soit la guerre”. Ce monument qui fut inauguré en novembre 1922 par la municipalité d’alors, en l’absence des représentants de l’État, ne fut officiellement reconnu qu’en 1985. Pacifistes, anarchistes, libres-penseurs viennent chaque 11 novembre se recueillir devant le monument."

"L O U P S - G A R O U S
De la fin du Moyen Âge à la fin de la Renaissance, on dénombra 30 000 procès de loups-garous. La plupart des supposés renégats furent brûlés vifs. Des milliers d’autres périrent sans autre forme de procès. Dès qu’un villageois était soupçonné d’être un loup-garou, il était attrapé et écorché vif, car la croyance voulait que l’on trouvât les poils de la bête, cachés sous la peau. Ces paysans, ces gueux, parce qu’ils étaient asociaux ou “sauvages“, ou que leur pratique religieuse, teintée de restes de paganisme ou de soupçons de sorcellerie, n’était pas jugée suffisamment “catholique”, furent ainsi les victimes expiatoires d’une de ces Grandes Peurs qui enflammèrent l’Europe au cours des siècles. On peut aussi considérer que nombre d’entre eux, y compris des nobles, des bourgeois et des artisans, qui voulurent exprimer par leur différence une forme de résistance à une société ruinée par les Guerres de Religion et soumise à la fois au désordre et à l’intolérance, furent assimilés de fait à des loups-garous. On note la présence de nombreux loups-garous à Rochechouart où l’on évoque les sabbats sataniques autour de la croix de Blancharaux, sise au pied du château, ainsi que les villages suspects de Babaudus, Biennac et La Valade... Où il n’y a plus aujourd’hui qu’une seule ferme occupée par trois chiens à l’aboiement vif et un paysan célibataire plutôt timide et sauvage qui, lors des labours, s’amuse à ramasser des pierres de météorite dans ses champs (Rochechouart tiendrait son nom d’une météorite qui aurait chu…)."

vendredi 1 mars 2013

Lumière d'en bas


Écrire à propos d'un album en s'aidant du qualificatif enchanteur relève a priori du poncif. Avec Lumière d'en bas du duo Midget! (paru il y a quelques semaines sur We Are Unique Records) par contre, le terme est loin d'être galvaudé et doit être envisagé dans son sens littéral. Les morceaux sont en effet habités de zones d'ombre, de voix angéliques et de guitares pernicieuses. Curieux mélange, où folk anglo-saxonne, mélodie à la française et dérives instrumentales toxiques croisent le fer. Et il n'y aura pas de gagnant. Un très bel album donc, qu'on peut écouter ici et dont on découvrira la délcinaison scénique ce vendredi soir à l'An vert à Liège. Midget! comprend Claire Vailler et Mocke, ce dernier officiant également au sein d'Arlt qui, "c'est une joie", jouera aussi ce soir.