samedi 28 novembre 2009

Sortons !

Luigi Russolo (à gauche) et Ugo Piatti avec leurs machines sonores, les Intonarumori ("joueurs de bruits").
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"Chaque son porte en soi un noyau de sensations déjà connues et usées qui prédispose l'auditeur à l'ennui, malgré les efforts des musiciens novateurs. Nous avons tous aimé et goûté les harmonies des grands maîtres. Beethoven et Wagner ont délicieusement secoué notre coeur durant bien des années. Nous en sommes rassasiés. C'EST POURQUOI NOUS PRENONS INFINIMENT PLUS DE PLAISIR A COMBINER IDEALEMENT DES BRUITS DE TRAMWAYS, D'AUTOS, DE VOITURES ET DE FOULES CRIARDES QU'A ECOUTER ENCORE, PAR EXEMPLE, l'"HEROIQUE" OU LA "PASTORALE".
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Nous ne pouvons guère considérer l'énorme mobilisation de forces que représente un orchestre moderne sans constater ses piteux résultats acoustiques. Y a-t-il quelque chose de plus ridicule au monde que vingt hommes qui s'acharnent à redoubler le miaulement plaintif d'un violon? Ces franches déclarations feront bondir tous les maniaques de musique, ce qui réveillera un peu l'atmosphère somnolente des salles de concerts. Entrons-y ensemble, voulez-vous ? Entrons dans l'un de ces hôpitaux de sons anémiés. Tenez : la première mesure vous coule dans l'oreille l'ennui du déjà entendu et vous donne un avant-goût de l'ennui qui coulera de la mesure suivante. Nous sirotons ainsi, de mesure en mesure, deux ou trois qualités d'ennui en attendant toujours la sensation extraordinaire qui ne viendra jamais. Nous voyons en attendant s'opérer autour de nous un mélange écoeurant formé par la monotonie des sensations et par la pâmoison stupide et religieuse des auditeurs, ivres de savourer pour la millième fois, avec la patience d'un bouddhiste, une extase élégante et à la mode. Pouah ! Sortons vite, car je ne puis guère réprimer trop longtemps mon désir fou de créer enfin une véritable réalité musicale en distribuant à droite et à gauche de belles gifles sonores, enjambant et culbutant violons et pianos, contrebasses et orgues gémissantes ! Sortons !
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D'aucuns objecteront que le bruit est nécessairement déplaisant à l'oreille. Objections futiles que je crois oiseux de réfuter en dénombrant tous ]es bruits délicats qui donnent d'agréables sensations. Pour vous convaincre de la variété surprenante des bruits, je vous citerai le tonnerre, le vent, les cascades, les fleuves, les ruisseaux, les feuilles, le trot d'un cheval qui s'éloigne, les sursauts d'un chariot sur le pavé, la respiration solennelle et blanche d'une ville nocturne, tous les bruits que font les félins et les animaux domestiques et tous ceux que la bouche de l'homme peut faire sans parler ni chanter.
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Traversons ensemble une grande capitale moderne, les oreilles plus attentives que les yeux, et nous varierons les plaisirs de notre sensibilité en distinguant les glouglous d'eau, d'air et de gaz dans les tuyaux métalliques, les borborygmes et les râles des moteurs qui respirent avec une animalité indiscutable, la palpitation des soupapes, le va-et-vient des pistons, les cris stridents des scies mécaniques, les bonds sonores des tramways sur les rails, le claquement des fouets, le clapotement des drapeaux. Nous nous amuserons à orchestrer idéalement les portes à coulisses des magasins, le brouhaha des foules, les tintamarres différents des gares, des forges, des filatures, des imprimeries, des usines électriques et des chemins de fer souterrains."
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Extrait de L'Art des bruits. Manifeste futuriste 1913 de Luigi Russolo (édité en français aux éditions Allia, 2006, pp. 15-19).
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jeudi 26 novembre 2009

Etude révolutionnaire


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L'étude op. 10 no. 12 en ut mineur, dite "La révolutionnaire", aurait été composée par Chopin au début des années 1830 suite à l'invasion de Varsovie par les Russes. Sviatoslav Richter attaque!

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lundi 23 novembre 2009

Anniversaire

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Ce blog a aujourd'hui un an ! Grâce à un petit effort (presque) quotidien, 145 posts ont été écrits, des rencontres et de nombreux projets sont en cours. Un grand merci aux lecteurs, à mes pourvoyeurs de "coups de coeur" et surtout à ma chère et tendre qui n'économise pas ses efforts pour vérifier la correction orthographique des billets.
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En guise de "cadeau", le téléchargement libre et la lecture d'une collection d'essais éditée par Mattin et Anthony Iles sont vivement recommandés. Noise & Capitalism (publié par Arteleku) comprend des textes de Mattin, de Bruce Russell (du groupe The Dead C), de Ray Brassier (philosophe notamment traducteur d'Alain Badiou en anglais) ou encore d'Edwin Prevost (un des fondateurs d'Amm).
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Voici la présentation du livre :
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"Noise’ not only designates the no-man’s-land between electro-acoustic investigation, free improvisation, avant-garde experiment, and sound art; more interestingly, it refers to anomalous zones of interference between genres: between post-punk and free jazz; between musique concrète and folk; between stochastic composition and art brut. – Ray Brassier
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This book, Noise & Capitalism, is a tool for understanding the situation we are living through, the way our practices and our subjectivities are determined by capitalism. It explores contemporary alienation in order to discover whether the practices of improvisation and noise contain or can produce emancipatory moments and how these practices point towards social relations which can extend these moments.

If the conditions in which we produce our music affects our playing then let's try to feel through them, understand them as much as possible and, then, change these conditions.

If our senses are appropriated by capitalism and put to work in an ‘attention economy’, let's, then, reappropriate our senses, our capacity to feel, our receptive powers; let's start the war at the membrane!

Alienated language is noise, but noise contains possibilities that may, who knows, be more affective than discursive, more enigmatic than dogmatic.

Noise and improvisation are practices of risk, a ‘going fragile’. Yet these risks imply a social responsibility that could take us beyond ‘phoney freedom’ and into unities of differing.

We find ourselves poised between vicariously florid academic criticism, overspecialised niche markets and basements full of anti-intellectual escapists. There is, afterall, 'a Franco, Churchill, Roosevelt, inside all of us...' yet this book is written neither by chiefs nor generals.
Here non-appointed practitioners, who are not yet disinterested, autotheorise ways of thinking through the contemporary conditions for making difficult music and opening up to the willfully perverse satisfactions of the auricular drives."

En guise d'illustration, le groupe noise chinois Torturing Nurse (dont un morceau est sélectionné sur la fabuleuse compilation 1992-2008 An Anthology of Chines Experimental Music, Sub Rosa et dont l'ami Young Girls a sorti récemment une K7).

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vendredi 20 novembre 2009

Maîtres Fous 15

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J'ai l'honneur de constater la publication d'une sélection d'albums rédigée par mes soins dans le numéro de décembre de la revue anglaise The Wire (no. 310). Cette liste reprend des excellents disques parus les derniers mois dans des genres divers : électronique, improvisation, noise... Bonne écoute !
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vendredi 13 novembre 2009

Continuo

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Les amateurs de musique rare et précieuse ne pourront être qu'enthousiasmés par le Continuo's weblog. Si l'iconographie et la présentation des disques, K7 et concerts en téléchargement y sont irréprochables, le plus important réside dans le choix des albums sélectionnés : sound art, field recording, poésie sonore, musique concrète... Des noms connus (Dali, Niblock, Messiaen), mais aussi d'autres plus obscurs qui se révèlent vite tout aussi indispensables. Bonne chasse ! (en première illustration, un des éléments du livret du premier album de Voice Crack)
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mercredi 11 novembre 2009

Sons relaxants pour bébé

Raymond Scott en 1955 avec son invention le Clavivox.
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Les musiques de Steve Reich et de Charlemagne Palestine (par exemple) correspondent-elles à des besoins plus essentiels que d'autres plus "complexes"? C'est ce que pourrait laisser entendre un livret rédigé en 1964 par le Gesell Institute of Child Development pour accompagner les trois volumes de Soothing Sounds for Baby (de 1 à 6, de 6 à 12 et de 12 à 18 mois) de Raymond Scott. Les mélodies naïves de ce pionnier de la musique électronique (voir également l'excellente compilation Manhattan Research Inc.) ont été rassemblées afin de former "An indispensable aid to mother during the feeding, teething, play, sleep and fretful periods. An infant's friend in sound."
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Dans le feuillet en question, on peut lire : "We still know relatively little about the kinds of sounds best suited to the infant under six months of age. But we do know that most like monotony and repetition. The old-time household provided more of the kinds of sounds which suit a little baby best than do many of our households today.
The grandfather clock with its dependably regular loud tick is no longer available in most homes. But the steady click of a typewriter can be extremely soothing to a tiny infant. The rhythmic tinkle of a music box can also be quieting. A ticking watch held close to his ear will often catch a baby's attention, and quiet him.
We believe that small babies respond better to high tones than to low. And above all, in sound as well as in other areas, they like something which continues uninterruptedly. If they like it to go on and on."
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dimanche 8 novembre 2009

Epiphonie #2

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Le second concert de l'asbl Epiphonie a lieu ce lundi 9 novembre. Ouverture des portes à 20h, concerts à 20h30, P.A.F. 6€.
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À l'affiche :
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Jack Rose (US), Glenn Jones (US) et Cian Nugent (Irl)

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Après avoir collaboré au groupe de musique expérimentale Pelt, Jack Rose a réalisé ses classes tardivement dans les matières du fingerpicking, ce qui ne l’empêche pas de se hisser facilement à la hauteur des plus grands du domaine que sont Robbie Basho, Sandy Bull, ou John Fahey . S’il trouve lui aussi ses racines dans le blues, il n’oublie pas le rock’n’roll dans l’attitude, et pousse son instrument au delà de ses frontières habituelles, mélangeant l’americana aux styles indiens (ragas), en jouant sur les accordages et les tonalités orientales, résultant en une richesse du timbre exceptionnelle, portée par les longues spirales d’accords étranges et d’harmonies inattendues qui envahiront la nef de la chapelle dans ses moindres recoins.
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Un
site, un myspace, une version live de Kensington Blues...
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Des vagues battant une grève de tout temps, un enfant et un phoenix, six cordes, douze cordes, les ragas indiens... C’est dans cet espace qu’évolue Glenn Jones, ami de longue date du légendaire John Fahey (grand découvreur et passeur de musique populaire américaine), avec qui il a par ailleurs collaboré. Après de longues années à tourner avec le mythique groupe de post-rock Cul de Sac, il se tourne vers l’aventure de la guitare acoustique solo. Influencé par le blues primordialement, il s’échappe vers les grands espaces, et des territoires plus aventureux dans la déconstruction, sans jamais perdre de vue l’aspect mélodique qu’il rend hypnotique sur de longues pièces.
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Par ici : Le
site officiel, le myspace, une version live de David and the Phoenix
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Cian Nugent est un jeune Dublinois explorant les possibilités de la guitare. Marchant sur les pas de ses aînés, il ne cède jamais à la facilité ni ne perd de sa personnalité. Au contraire, il fait oublier la complexité de son jeu en plaçant de subtiles mélodies simplement superbes. Il a sorti dernièrement un premier album sur le label belge audioMER.
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Le
myspace, un extrait de When the Snow Melts and Floats Downstream
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Ci-dessus, de haut en bas, Jack Rose (aux Instants Chavirés), Glenn Jones (leftofthedial) et Cian Nugent (par Vera Marmelo).
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vendredi 6 novembre 2009

Silence, couleurs du prisme...

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Daniel Caux est un des passeurs de musiques français les plus importants de la seconde moitié du 20e siècle. Emissions de radio, organisation de concerts, essais et articles, il aura tout fait pour mettre en avant les sons les plus intéressants de son époque : musique expérimentale, minimalisme, free jazz... Parmi ses hauts faits, il programme en 1970 Albert Ayler (ci-dessus), le Sun Ra Arkestra et Terry Riley aux fameuses Nuits de la Fondation Maeght. Il est le premier à faire venir en France des artistes mythiques tels que La Monte Young, Steve Reich... Il a également participé à la création du label Shandar.
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Un superbe ouvrage regroupant ses meilleurs écrits (publiés d'abord dans L'art vivant, Art Press, Le Monde...) vient d'être publié aux Editions de l'éclat : Le silence, les couleurs du prisme & la mécanique du temps qui passe. On peut y lire des entretiens avec John Cage, Sun Ra, Moondog, Léon Theremin, Philip Glass... Des textes fins qui donnent envie d'écouter traitent d'artistes aussi divers que Charlemagne Palestine, Cornelius Cardew, Arvo Pärt, Milford Graves, Harry Partch, Luc Ferrari... Cette anthologie offre ainsi une vision unique, aventureuse et généreuse, des arts sonores du siècle passé.
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L'intégralité du label Shandar est essentielle. Ci-dessous, quelques titre à privilégier :
. Cecil Taylor, Nuits de la Fondation Maeght, 1969.
. Albert Ayler, Nuits de la Fondation Maeght, 1970.
. Steve Reich, Four Organs / Phase Patterns, 1971.
. Terry Riley, Persian Surgery Dervishes, 1972.
. La Monte Young & Marian Zazeela, Dream House 78'17'', 1974.
. Charlemagne Palestine, Strumming Music, 1974.
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mercredi 4 novembre 2009

Déguisement et chocolats

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C'est suite à une visite récente sur le blog de Steve Roden que j'ai l'idée de chercher des photographies de personnes déguisées dans l'immense base de données des collections du Musée d'Orsay. Beaucoup de résultats bien sûr. Très vite, je me rends compte que de nombreux clichés concernent la famille Menier au début du 20e siècle. Cette lignée française est bien connue puisqu'au début du 19e siècle, Jean-Antoine-Brutus Menier a inventé la tablette de chocolat. Plusieurs générations ont dominé le marché dans ce domaine jusqu'au 20e siècle. Etaient-ils déguisés tous les jours ?
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Bon voyage quand même

Rue des Archives/PVDE
L'anthropologue Claude Lévi-Strauss en Amazonie au Brésil.
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"Je hais les voyages et les explorateurs."
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1908-2009
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lundi 2 novembre 2009

Pop'eclectic

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Un petit travail en cours sur le compositeur électroacoustique Bernard Parmegiani me fait découvrir les recoins d'une oeuvre fascinante et extrêmement originale. Personnalité majeure du Groupe de recherches musicales depuis les années 1960, il est souvent évoqué comme influence par de nombreux musiciens électroniques. Certaines de ses pièces démontrent que musiques concrète, électroacoustique (...) ne sont pas uniquement affaires de laborantins et qu'elles peuvent communiquer joie et énergie à l'auditeur. C'est ainsi que des pièces comme Pop'eclectic (1968) et Du pop à l'âne (1969) préfigurent les entreprises les plus audacieuses en matière de sampling. On y entend pêle-mêle des extraits du Sacre du Printemps de Stravinsky, du Messiaen, mais aussi The Doors (le début de When the Music's over : choisi non sans ironie...), Pink Floyd et quantité d'autres. Tous ces éléments entrent en collision avec d'autres sons pour former des ensembles qui pourraient être qualifiés de psychédéliques si ce terme ne désservait pas une entreprise aussi subtile et savante qu'humoristique et jubilatoire. L'oeuvre musicale de Bernard Parmegiani a été publiée dans un très beau coffret de 12 CD par l'INA.
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dimanche 1 novembre 2009

Basshaters

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Ce soir, 20/21.00, à 12, rue Poyoux-Sarts, 4500 Huy, Improvisation et noise avec le duo californien Basshaters et le trio norvégien Skasm.
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Basshaters (San Francisco)
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Basshaters is a duo utilizing double bass, drum set, and electronics to integrate acoustic free improv and electronic noise, two genres thriving in the San Francisco Bay Area. They use extended techniques to activate their large resonant instruments. Striving to match the fluidity of their acoustic music, electronics expand the timbral and dynamic options to new extremes. The duo seeks directness and intensity in execution; subtleties emerge from the bold statement of simple ideas.
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In addition to Basshaters, Dryer & Heule have released an album on Creative Sources with clarinetist Jacob Lindsay. They have a trio CD with saxophonist Jack Wright, and have performed live with diverse musicians such as Michel Doneda, C Spencer Yeh, Gino Robair, and Damon Smith. Dryer has toured with the Flying Luttenbachers and Usurp Synapse; Heule remains active with his brutal improv duo Ettrick.
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Skasm (Oslo)
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Skasm combines the qualities of acoustic and electronic sounds into a whole. Two electric guitars with a range from noisy sounds and feedback to pure tones, voice processed or pure scream, acoustic bass rumbling in low frequencies or high pitched frenetic chaos.
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Skasm builds the music from fractions or layers, in opposition to each other or built as a unison movement. Sometimes hazardous, sometimes most careful, but always with a focus on the present. Always open. The main focus is to keep looking for new meetings and new ways of building or maintaining whatever stream of music they have found.
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Skasm is based around the guitar and double bass duo of Haavard Skaset and Guro Skumsnes Moe. For this tour Harald Fetveit (guitar) will complete the trio. During the last four years they have toured Norway, the rest of Europe, and the US with bands like Art Directors, Peninsula Project, Bay/Oslo Mirror Trio, and Bak-truppen.
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Haavard Skaset, guitar
Guro Skumsnes Moe, double bass, voice
Harald Fetveit, guitar (November only)
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http://www.myspace.com/skasmpage
http://www.myspace.com/gurosmoe
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