jeudi 25 avril 2013

La danse des possédés (59)



Sur le second morceau, intitulé Chemirocha, voir ce qui suit, repris sur Porch of the Mystics :

"In the village of Kapkatet, Kenya in the early 1950′s, members of the Kipsigi tribe somehow came across a few 78 records of Jimmie Rodgers’ Blue Yodels. Convinced that such strange sounds could not come from a human, the voice was attributed to a centaur-like spirit they called Chemirocha. This half-man half-antelope is honored in fertility rites where young Kipsigi maidens dance seductively to the Jimmie Rodgers records, begging him to join them in a leaping dance in hopes that Chemirocha will jump completely out of his clothes.
The Kipsigi villagers also sing various songs to celebrate Chemirocha. One of the only recorded instances of these hymns is this gorgeous, haunting version played on a pentatonic wishbone lyre and accompanied by a pair of Kipsigis girls."

Jimmie Rodgers

mardi 23 avril 2013

Vers les cimes (28)


Pour causer de littérature, il y en a peu comme Pierre Michon. Le roi vient quand il veut. Propos sur la littérature compile divers entretiens qu'il a donnés au fil des années. C'est tendu, intelligent, essentiel. 
La preuve avec quelques extraits d'une discussion parue sous le titre L'entretien : Pierre Michon (propos recueillis par Catherine Argand, Lire, n° 271, décembre 1998-janvier 1999) et reprise dans Le roi vient quand il veut sous l’appellation Qu'as-tu fait de tes talents ? 
L'intégralité de l'entretien est lisible ici
Et on se plonge dans ses livres.

Vos Vies minuscules sont reconnues comme un classique de la littérature contemporaine. Vous restez cependant un auteur confidentiel. Aspirez-vous à la notoriété?
Pierre Michon. Lorsque j'ai publié mon premier livre il y a quatorze ans, je pensais que toutes les machines allaient s'arrêter de tourner, que tout le monde dirait: "Celui-là, il faut lui donner sur le champ une fortune", une belle somme avec laquelle je me serais acheté un palais. J'attendais de l'écrit son poids d'or. Je me suis trompé. Je ne savais pas que la littérature est fille de la démocratie, au sens où c'est la loi du plus grand nombre qui prévaut, la tyrannie de la majorité. Je pensais que la littérature était l'un des derniers domaines hiérarchisés où la valeur faisait sens et triait. Eh bien, la valeur a fait sens, et elle a trié: je suis presque aussi pauvre qu'avant d'avoir écrit. 

Vous avez écrit un premier livre épais, fulgurant, suivi de sept autres denses et menus. Et maintenant, qu'advient-il?
P.M. J'ai mis dix-huit ans à sauver ma peau, à écrire mon premier livre, Vies minuscules, et je suis encore dessous. Les suivants ne sont que des notes en bas de page, des gloses, des chambres d'écho. Ce texte-là, le premier, était trop capiteux pour être suivi tout de suite d'un autre qui infléchisse ma vie de la même façon. Mais je ne peux pas rester celui qui a écrit Vies minuscules. Le narrateur était un écrivain qui n'écrit pas, ce ne peut plus être moi puisque justement j'ai écrit. Celui qui l'a écrit est mort et je ne sais pas, à ce jour, si de ce cadavre sortira une nuée de mouches ou une œuvre phénoménale. 

Vous avez peur?
P.M. Oui, d'autant que mon approche de l'écriture est nourrie de croyances et de magie. Je ne me mets pas à ma table tous les matins, je ne travaille pas de manière raisonnable. J'attends le texte, "j'attends comme un bœuf", pour reprendre l'expression de Kafka. Je suis très passif, rivé à la bibliothèque, vissé à l'attente. Contrairement à beaucoup d'écrivains qui s'en sortent en écrivant dix pages tous les jours, je ne suis pas graphomane. Ma relation au texte est une relation de lutte, de refus. De viol réciproque. 

Comment est né Vies minuscules? D'un coup? Dans un grand cri?
P.M. Il s'est présenté par la tête. 

Comme votre premier enfant, il y a huit jours?
P.M. Oui. 

Mais par quelle mystérieuse alchimie ce texte qui ne venait pas a-t-il fini par apparaître?
P.M. Divers facteurs ont joué. J'ai vécu une enfance campagnarde, reléguée. A vingt ans, la bibliothèque me faisait défaut. A trente-huit ans, j'étais enfin mûr culturellement. Je pouvais écrire dans le non-savoir après avoir acquis le savoir, m'y adosser. La littérature est un acte de non-savoir mais qui doit savoir. Il m'a fallu en passer par là. Autre chose: j'étais, à trente-huit ans, assez jeune encore pour porter en moi la violence d'un écrit presque juvénile. Et puis, ce livre, c'était ma première et dernière chance. N'ayant jamais travaillé, je coulais vers la clochardisation. J'éprouvais vis-à-vis de ce livre un sentiment de nécessité absolue; il y avait aussi une femme que j'aimais et à qui je pouvais donner ce texte comme une justification. 

Que vouliez-vous justifier?
P.M. De m'en aller tout doucement vers l'état de clodo, d'avoir cassé des tables et des vitres entre vingt et trente ans, de m'être demandé alors en lisant les faits divers dans le journal si ce n'était pas moi qui avais fait le coup. Ce sont les Vies minuscules qui m'ont délivré de ça: au fur et à mesure de son énonciation, ce texte dément ce qu'il dit. Les Vies minuscules, c'est un constat d'échec et une délivrance de l'échec, un désastre qui se transforme en prouesse. 

Vous éprouvez le besoin de justifier votre existence?
P.M. Oui, je ne suis pas de ceux qui pensent qu'exister ça suffit bien et qu'on a des droits du seul fait d'exister. J'éprouvais un sentiment d'imposture en attendant mon premier livre. Ecrire était ma seule porte de sortie, mais je m'en sentais incapable. J'éprouve ce sentiment d'imposture encore. Ce que j'ai fait est un peu court. Je ne suis pas quitte. 

Quelle est votre dette?
P.M. Vous connaissez la parabole des talents? Un maître part en voyage et confie un certain nombre de talents - la monnaie romaine - à ses trois esclaves. Les deux premiers les font fructifier. Le troisième enterre la somme reçue. Au retour, le maître la lui confisque. Et moi, qu'ai-je fait de mes talents? Est-ce que je les ai enterrés dans les Vies minuscules? Il faut que je sache écrire un texte qui, de la même façon que le premier, joue avec ma vie. Et que ce livre ne soit pas un pur artefact, comme la plupart des romans qui sont publiés aujourd'hui. 

Vous n'aimez pas les romans qui paraissent?
P.M. Je n'aime pas voir la vocation transformée en carrière. En écrivant un roman tous les ans, les auteurs diluent l'élan initial, cet élan qui porte toute l'écriture. Dans le même temps, il est très difficile de s'affranchir, d'exister en dehors de cette règle. Un écrivain n'existe pas, n'est pas payé s'il ne publie pas.

(...) 

Pour vous, ce qui constitue un auteur, c'est sa volonté énonciative, de quoi s'agit-il?
P.M. Pas de sujet, pas de thème, pas de pensée; rien que la volonté de dire. Qui fait avec rien une forme dans laquelle s'installe du sens. Sans que jamais le texte naisse d'un quelconque spontanéisme, en s'installant au contraire mordicus dans le goût de la langue dite classique, c'est-à-dire maîtrisée, tenue et jouissant d'être tenue. 

Dans quel état pensez-vous qu'il vous faille être pour écrire un texte qui joue avec la vie?
P.M. Il faudrait que je m'ancre en moi-même rageusement, monstrueusement, que je me pense tout à fait unique et irremplaçable dans le seul but de faire du beau, que je me surévalue, me dévalue, abandonne la juste mesure. Que me soit rendu "l'égoïsme supérieur" dont Nietzsche dit que sans lui on ne fait rien de bon. Je ne connais que Leiris pour avoir accompli une œuvre à partir d'une juste évaluation de soi. L'expérience de l'écriture est extatique. Il faut s'y jeter à corps perdu, pleurer et rire intensément, physiquement, entrer dans un état second. 

L'inspiration comme transe...
P.M. Toutes les mythologies antiques et romantiques de l'inspiration me sont très proches. "Quand je peins, disait Matisse, je crois en Dieu." J'éprouve le même sentiment: lorsque j'écris, je crois en Dieu; le reste du temps, c'est une question qui ne se pose pas. Il y a quelque chose qui n'est pas humain ou qui est trop humain et qui me tient lorsque j'écris. A tel point que j'ai le sentiment que l'excellence d'une phrase et l'état d'exaltation que je connais alors arrivent à un autre. J'éprouve un sentiment de dédoublement, d'incertitude comme dans le conte de Louis-René des Forêts, Les grands moments d'un chanteur. Un chanteur d'opéra très doué a l'habitude de répondre quand on lui demande s'il chantera bien le soir même: "Comment serai-je sûr de faire aujourd'hui ce que je ne suis pas sûr d'avoir fait hier?" Et un beau soir, évidemment, il se met à chanter comme une casserole. Et c'est une autre histoire... Vous savez ce qui est merveilleux avec toutes les mythologies antiques et romantiques de l'inspiration? Elles vous permettent de n'être pas vraiment concerné par ce que vous avez écrit.

(...)

Ce sont vos personnages que vous appelez des ectoplasmes?
P.M. Créer des personnages comme je l'ai fait dans La Grande Beune me répugne. Il existe déjà tellement d'écrivains, tellement de romanciers qui peuplent le monde d'ectoplasmes... La coupe est pleine, plus personne n'y croit. Un vieux théologien, Guillaume d'Occam, l'a très bien dit: "Il ne faut pas multiplier le nombre des entités au-delà de ce qui est nécessaire." On appelle ce décret le rasoir d'Occam. Je n'ai pas besoin d'inventer des vies, des personnages. Il y a suffisamment de gens qui sont morts et qui attendent que l'on parle d'eux. 

Vous voulez faire se lever les morts?
P.M. Bien sûr. Lorsque j'écris, je pense toujours au mythe de la résurrection des corps dans le christianisme. J'anticipe le jour du Jugement dernier. Ces hommes qui ont eu de la chair - Roulin, le facteur peint par Van Gogh, Rimbaud, Watteau et toute la confrérie des Vies minuscules, je m'efforce de les faire revivre. Qu'ils se lèvent, qu'ils sortent du tombeau. 

Vous les sortez des limbes pour les nimber de gloire une fois pour toutes?
P.M. Pour changer leur viande morte en texte, leur échec en or. Une fois de plus.

lundi 22 avril 2013

Les hommes, le dimanche





L'air de rien, on vient de voir un des plus beaux films qu'on puisse imaginer : le dimanche, une balade en pédalo, l'amour. On est en effet toujours étourdi par Menschen am Sonntag (Les hommes, le dimanche), un film muet allemand réalisé en 1929 (et sorti en 1930) par Robert Siodmak et Edgar G. Ulmer. Quelque part entre les photographies d'August Sander, Une partie de campagne de Jean Renoir et Berlin de Walter Ruttmann... C'est visible en entier ci-dessus et ailleurs.
Raymond Bellour a consacré un livre à ce chef-d’œuvre aux éditions Yellow Now. Et pour plus d'infos, en voici la quatrième de couverture : 
" « Le meilleur film de fiction allemand ». Ces mots d'un critique d'époque, à la sortie de Menschen am Sonntag (Les Hommes, le dimanche) le 4 février 1930 à Berlin, disent bien le caractère unique de ce film d'inspiration résolument documentaire, tourné avec des moyens de fortune et avec des acteurs non professionnels, par une poignée de jeunes gens destinés à devenir célèbres une fois exilés à Hollywood (Robert Siodmak, Edgar G. Ulmer, Billie Wilder, Eugen Schüfftan, Fred Zinnemann). […]
[…] Entre récit et reportage, témoignage et avant-garde, avec une intuition sensible rare, ce film encore muet recueille l'héritage des cinémas soviétique et français, et les leçons de la Nouvelle Objectivité propre à la photographie allemande. Il est devenu ainsi, rétrospectivement, annonciateur tant du néo-réalisme que de la Nouvelle Vague. C'est un petit chef-d'œuvre, d'allure simple mais subtil, sur la vie de la capitale allemande, peu avant l'arrivée du nazisme."

Tous les jours, à tous points de vue, je vais de mieux en mieux


(à suivre)

lundi 1 avril 2013

La danse des possédés (58)




Je suis d'accord avec ce qui a été écrit et dit ailleurs : Do you Burn? de Powerdove est un album qui donne le ton et rend reconnaissant. 
J'achève cette phrase un peu convenue en écoutant l'album, je tourne la tête, regarde par la fenêtre et une cigogne passe.
On voudrait produire du sens, mais celui-ci se démerde bien tout seul.
On peut se procurer l'album ici et l'écouter .