jeudi 27 février 2014

L'usage sonore du monde (24)


Ne pas avoir mentionné la publication du dernier disque de Marc et Olivier Namblard jusqu'à présent est un crime tant leurs prises de sons naturalistes dans les Cévennes sont fascinantes. Différentes captations de milieux, d'animaux, de phénomènes géophoniques y sont présentées et contribuent à une réflexion sur le paysage des Cévennes. Comme souvent avec les disques des Namblard, la distance entre le monde "sauvage" et l'homme est réduite par l'acte de l’enregistrement. Pour ne citer qu'un exemple parmi d'autres, on se retrouve ainsi, avec un peu d'imagination et les oreilles grandes ouvertes, au centre d'une carcasse dévorée par un groupe de vautours fauves et moines. Et on a rarement entendu le déferlement de la vie avec autant de puissance... Le double album est édité chez Kalerne.
Pour les personnes mobiles, curieuses et belges, Marc Namblard présentera ses travaux sonores et sa vision de l'audionaturalisme ce vendredi 28 février au "Point Culture" à Bruxelles, dans le cadre de la Semaine du son. Plus d'infos ici. Marc Namblard se produira également le samedi 1 mars au "Point Culture" de Liège à 18.00 (voir ici).
Pour rappel, on avait interviewé le monsieur il y a quelques temps. A lire .

jeudi 20 février 2014

La danse des possédés (88)

 

Moi aussi, j'aime bien manger les Zombies au petit-déjeuner.


mercredi 19 février 2014

Le peintre (2)


Ta famille n'a pas toujours vécu à la grande ville. Les générations te précédant ont connu les ombrages de forêts immenses, plus loin à l'Est. Au moins depuis le 12e siècle, il y eut des seigneurs et chevaliers rebelles, une répression et leur château détruit par les flammes, tous les ingrédients d'une geste héroïque. Ton nom d'ailleurs évoquait paraît-il un rocher situé sur un sommet entre Trèves et Coblence, axe du monde pour une lignée bientôt chassée de son territoire originel. Parvenus à la cité où tu as grandi, tes aïeux n'avaient plus ni terres, ni titres. Mais on n'efface pas une telle histoire, on la revendique. Envieux de ce passé nobiliaire, fanfaron carriériste, tu as tout entrepris pour restaurer l’ancienne splendeur de ton sang. A ta décharge, ton époque découvre l'Individu, tandis que l'Art commence à se repaître d'égo. Mais quand même, ce blason ridicule que tu apposes sur tes œuvres comme un enfant voulant épater la galerie avec des blagues qu'il ne comprend pas... "d’argent à deux pals de gueules, avec un heaume non couronné, un bourlet et des lambrequins de gueules et d’argent. Le cimier présente une tête de lion entre un vol de gueules et d’argent". Que de belles formules pour un petit écu rouge et blanc ! Mais n'oublie pas Le Peintre, que la tête de lion, ça se porte avant tout au clair de l’œil et non au bout du pinceau.

lundi 17 février 2014

Le Peintre (1)


On sait quand tu es mort, mais pas quand tu es né. Les registres témoignant des naissances dans le quartier où vivaient tes parents à la fin du 15e siècle ont été perdus. Empilés afin de servir de cale-porte ou de repose-pieds dans une quelconque cure ? Brûlés lors d'un assaut de la ville au 18e siècle, au 19e siècle, au 20e siècle ? Usés comme torche-culs ? Recyclés ? Entreposés amoureusement dans l'armoire d'un collectionneur jaloux ? Qui sait ? 
Tu resteras ainsi un homme sans âge, décédé un jour de janvier 1541 et enterré dans l'église de ton quartier, près du portail ouest. Vieux ou encore jeune, aimé par certains, haï par d'autres, avais-tu toujours l’œil vif et la poigne ferme ? Étais-tu fier de l’œuvre accompli ? As-tu succombé à une longue maladie, te tordant de douleurs que ton ami le médecin (nous en reparlerons de celui-là) ne pouvait soulager ? T'es-tu cassé la pipe sur la glace en faisant le Jacques ? Un assassinat peut-être ? Occis par un voisin furieux, par un coquillard enivré, par une veuve désolée, par un soldat revanchard ? Foudroyé ? Piétiné par un cheval fou ? Déchiqueté par une meute de chiens féraux ? La tête tourne à force d'hypothèses. Mais il faut se résoudre : l'état civil a toujours été muet et tu n'avais pas de biographe.
L'avantage du silence de l'Histoire, c'est de multiplier presque à l'infini les potentialités. Dès lors, le transcripteur a le loisir de se faire tour à tour neutre, contempteur ou laudateur. Mais en ce qui te concerne Le Peintre, cela ne se passera pas de la sorte. J'ai trop longtemps été à ton service. Et il nous faut désormais régler nos comptes. 

dimanche 16 février 2014

Paradigme inciciaire (18)


Où l'on suit Les saisons de Giacomo de Mario Rigoni Stern (1995). Où l'on déchiffre les traces de l'histoire - et surtout celles de la Grande Guerre - via la topographie des montagnes du Nord de l'Italie. Où l'on suit ainsi le quotidien de ces Italiens qui pendant plus de vingt ans ont tenté de gagner un peu d'argent en récupérant le matériel (le métal et la poudre, des armes et quelques vêtements...) laissés sur les champs de bataille de 14-18, en mettant au jour les charniers ou en cherchant les caches d'armes.

"Un jour le père de Giacomo, en creusant devant la tranchée italienne du Buso del Giasso, découvrit d'abord les chaussures, puis, petit à petit, tout le corps d'un soldat autrichien, ou plutôt hongrois, comme il le devina d'après le nom et les renseignements qu'il lut sur la plaque d’identité. Il avait à peine vingt ans quand il était venu mourir de si loin au milieu de nos montagnes. Il avait les cartouches dans sa giberne, des grenades dans sa musette, le masque à gaz, un poignard à la ceinture ; dans la poche de sa veste une médaille à l'effigie de François-Joseph et une autre petite, en métal blanc, représentant saint Etienne. une montre aussi. Une grosse montre de poche avec une chaîne en argent passée au travers des boutonnières de la veste, qu'il désenfila. Elle était bien conservée, le boîtier était à double fond et elle avait un couvercle sur le cadran ; peut-être qu'elle s'était arrêtée non pas à cause de la balle meurtrière ou de l'obus, mais parce que le ressort était arrivé à la fin. Silencieux le père de Giacomo laissait aller son regard de la montre qu'il tenait dans le creux de sa main aux restes de cet homme qu'il avait dégagé d'entre les cailloux devant la tranchée italienne. Cela avait dû se passer la nuit où eux étaient venus en patrouille et où lui était en sentinelle. Il avait donné l'alerte en tirant la corde reliée à l'abri et qui agitait les boîtes de conserve vides. Le caporal Gigi Frello était arrivé le premier et il s'était mis à la mitrailleuse. Puis la batterie de Campofilon était également intervenue. Il poussa un soupir. Avec ses doigts jaunis par le TNT il tourna lentement le remontoir puis porta la montre à son oreille. Elle marchait ! De l'ongle il ouvrit la couvercle et le fond, et il regarda tourner les mécanismes. Il la mit lentement dans sa poche, après quoi, se baissant, il ramassa et mit de côté sur une pierre ce qui pouvait être récupéré. Puis il recouvrit de pelletées de terre le corps du soldat hongrois.
Giacomo avait assisté avec étonnement à toute l'opération, en silence, et quand son père le regarda et dit : "C'était un Hongrois. Lui aussi il avait une mère et une maison où on l'attendait", il éprouva une forte émotion et il s'éloigna. Peut-être voulait-il demander quelque chose, pourquoi son père s'était comporté ainsi, pourquoi la guerre. Mais il ne savait pas s'expliquer. Il ne parla pas de la journée."

vendredi 14 février 2014

Mnémotourisme (27)


Où il est question du sauvage, de la révolte liée à l'usage des bois et de la mise en scène "de rites de reconquête des périmètres forestiers désormais défendus". Où on ne peut s'empêcher de penser à certaines zones à défendre bien contemporaines... L'extrait est issu de la très bonne synthèse de Martine Chalvet, Une histoire de la forêt, Seuil, 2011, pp. 196-198 (pour les notes de bas de page, voir le livre).

"Pour les gens du bois comme pour ceux du finage, la forêt représentait donc le "sauvage", un monde de liberté échappant à l'univers de la ville et aux règles du social, "un espace de nature contre celui de la Société structurée". Les mythes médiévaux d'un âge d'or lointain de libre et total accès aux bois n'étaient pas morts. Face aux nouvelles entraves financières ou juridiques, ils ressortaient avec plus de force encore. Comme au Moyen Âge, les villageois se battaient pour le respect des anciennes libertés et des traditions locales.
Fermer l'accès aux bois, c'était faire renaître l'immense traumatisme du monde rural interdit de chasse et de futaie depuis le Moyen Âge. L'exclusion des "forêts" réactivait donc les profonds clivages sociaux qui avaient séparé les roturiers des nobles dans les usages du bois. Cette éviction renforçait, une fois encore, les constructions identitaires mais aussi les différentes échelles de cohésion du groupe, du village ou de la région contre l'intrusion d'un ordre nouveau et étranger. Lutter contre les gardes et la restriction des usages était aussi une question de fierté, de conscience de soi et d'affirmation de sa liberté. (...)
Jusqu'à la fin du XIXe siècle, le mécontentement des ruraux pouvait exploser en poussée de colère. Furieux d'une saisie, d'un bornage, d'un cantonnement "inéquitable", d'une réduction des affouages, on renversait les haies et on comblait les fossés, on insultait, pis, on rouait de coups un garde, on incendiait ou on pillait un bois. Ces contestations pouvaient aussi prendre une tournure plus agressive et se transformer en véritables jacqueries. Les XVIIe, XVIIIe, XIXe siècles furent émaillés de révoltes de paysans, de bûcherons, de scieurs, de fendeurs, de charbonniers et de manouvriers, protestations violentes contre le nouvel encadrement des bois. 
Les plus connues - la guerre des Demoiselles en Franche-Comté en 1765 ou la guerre des Demoiselles contre le Code forestier en Ariège (1829-1831) - se déroulèrent selon un même scénario. Les rebelles malmenaient les symboles de l'autorité pour bien montrer leur rejet d'un ordre étranger ou dominant. Ils s'en prenaient aux gardes, aux textes législatifs et mettaient en scène des rites de reconquête des périmètres forestiers désormais défendus. Ces manifestations se faisaient souvent sur un mode parodique avec des logiques d'inversion reprenant les rituels du carnaval. Affublés de longues chemises de femme ou le visage barbouillé de suie, les paysans et les coureurs des bois francs-comtois et ariégeois attaquaient les représentants de la loi puis disparaissaient en se repliant dans la forêt. Ces harcèlements de l'autorité s'inscrivaient plus dans une logique de défi que de véritable violence. Loin de chercher à renverser un régime ou un système politique, les insurgés voulaient simplement faire triompher la coutume et les pratiques traditionnelles d'une communauté villageoise ou d'une région face au droit écrit, à l'administration centralisée et au pouvoir national. En quelque sorte, ils souhaitaient rétablir une solidarité sociale et un passé idéalisés, un ordre soi-disant immuable des choses. Dépourvus de toute velléité révolutionnaire, ces mouvements n'en restaient pas moins préoccupants et comme tels étaient matés dans le sang."

mercredi 12 février 2014

Vers les cimes (39)


Trois poèmes du Portugais Herberto Helder issus du recueil Du monde (1994) (de l'anthologie Le poème continu 1961-2008 chez Gallimard)

"A la très-lente dont les cinq doigts puissants
désignent
ce sillon du coeur qui ruisselle de lumière,
et l'assaille, les cinq autres doigts sur la respiration,
les tubulures du corps vibrant
à la voix, l'émoi.
La force de la parole submergée m'ouvre tout entier, m'ouvre à travers abdomen et diaphragme, poumons, bronches, trachée, glotte,
palais, denture et langue
la cavité buccale : un chant,
le grand vent du corps.
Quand sur le coeur frémit ce sillon d'eau.
A la très-lente dans le monde."

"Œuvre à cette chose ancienne tandis que le monde marche sur son centre,
comme si chaque point de ton ouvrage formait le cœur du monde."

"S'il se pouvait, si un insecte insigne pouvait,
avec son nom originel,
entrer dans la turquoise, monstrueuse par l'expansion
de la couleur et de l'exemple,
s'il pouvait jusqu'au cœur de la pierre, jusqu'en son propre cœur dévorer la matière exaltée,
par soi, par elle et par son nom primordial il resterait vivant : profondément en un noeud corporel unique,
et brillerait jusqu'à se consumer
lui-même, tout entier - mais la terre, en supporterait-elle le poème ?"

mardi 11 février 2014

Bestiaire(s)




 







Quelques images sélectionnées à la va-vite parmi les centaines qui composent Taxidermy in Art, un inventaire s'intéressant à l'usage de la taxidermie dans les arts moderne et contemporain.

lundi 10 février 2014

La danse des possédés (87)



"Phil Minton sings the traditional English folk song from the Peasants' Revolt (1381) which was caused by many grievances, one of which was excessive Poll Tax. The Cutty Wren were the mercenary police whom the peasants fought and occasionally killed. When this happened, the peasants would destroy the evidence as well as stave off hunger and starvation. So the song is about eating policemen."

S'il est arrivé à certains de dévorer des représentants de l'ordre pour en effacer les traces, et bien nous, nous avons mangé une personne morale... Adieu Epiphonie, et dis bonjour à Jack Rose...

samedi 8 février 2014

Le terril (12)



Petit, j'étais fasciné par ces histoires de tunnels censés traverser le centre de la terre. Les roches en fusion n'existaient pas encore et les mondes merveilleux couvés par l'écorce terrestre paraissaient bien plus prometteurs que d'hypothétiques contrées lunaires ou martiennes. Et tout était sous nos pieds. Il m'aurait suffi d'un saut pour rejoindre une Chine dont on attendait la réveil en tremblant, des îles qui pouvaient encore être désertes, des jungles électriques. Un jour, il a bien fallu se résoudre : au point antipodal du lieu de nos vies se trouvait juste une grande étendue d'eau, au large de la Nouvelle-Zélande. Nulle terre où accoster donc, et comme à son habitude, le voyage s'achevait avant d'avoir commencé. Il y a peu pourtant, j'ai découvert sur le terril un tuyau mystérieux. Quand on en approche l'oreille se laisse deviner une musique à chaque fois différente : des bambous qui pleurent sur les îles Salomon, une symphonie poitrinaire d'un village Aka, le yodel ivre d'un berger suisse porteur de fouet, un blues tapant le point sur la table dans une prison du Texas, les vents terribles de Patagonie. Le plus beau disque y tourne sans fin. Et sauter dans le tunnel en quête d'ailleurs consiste désormais à tendre l'oreille. J'y retourne souvent et m'interroge. Et si l'usage sonore du monde, ce n'était que cela, rêver en culottes courtes à ce qu'il y a de l'autre côté ? 
En avant.

jeudi 6 février 2014

La danse des possédés (86)




C'est sucré et ça donne envie d'avoir des fleurs dans le nez. Et si vous souhaitez écouter le tube de l'été de l'hiver 2014, c'est Wild Side (Oh The Places You'll Go)... Mais je ne le trouve pas sur ytbe. A vous.

Paradigme indiciare (17)


" Un chasseur, du nom de Michael Hulzögger, raconte un almanach de la région, partit un jour d’été de l’année 1738 pour la forêt de l’Untersberg. Il ne revint pas, et ne se montra nulle part ailleurs. On tint finalement qu’il s’était perdu ou qu’il était tombé d’une paroi rocheuse. Quelques semaines plus tard, son frère fit dire une messe pour le disparu, aux communaux où se trouve un pèlerinage aux environs de la montagne. Or, durant la messe, le chasseur entra dans l’église pour rendre grâce à Dieu de son retour miraculeux. Mais de ce qui lui était arrivé, de ce qu’il avait appris dans la montagne, il ne souffla mot, il resta muet et grave, et déclara qu’il n’y avait rien à dire de plus que ce qu’avait écrit là-dessus Lazarus Gitschner : les enfants et petits-enfants ne devaient en apprendre guère plus. Ce Lazarus Gitschner pourtant n’avait rien vu qu’une galerie sous le Königsee et l’empereur Frédéric, devenu fantôme sur le Welserberg, aussi un livre avec des prophéties et tout ce qui était déjà par ailleurs entré dans les légendes. Impossible de tirer autre chose du chasseur. Mieux, en pleine contradiction avec sa nature antérieure, il devint bientôt complètement muet. L’archevêque Firmian de Salzbourg avait aussi entendu parler de la disparition et de la réapparition énigmatique du chasseur, il le fit appeler. Mais Hulzhögger resta tout aussi muet devant le prince de l’église ; à toutes les questions il répondait qu’il ne pouvait ni ne devait rien dire de ses aventures : seule la confession lui était permise. Après la confession, l’évêque abdiqua sa charge pastorale et se tut jusqu’à sa fin. Elle ne tarda pas à survenir pour l’un comme pour l’autre : elle fut paisible, dit-on. " 

Extrait de Ernst Bloch, Traces (Spuren), 1930 (1968 pour la traduction française chez Gallimard)
 

mercredi 5 février 2014

La danse des possédés (85)


« Un homme libre, quel qu’il soit, est plus beau que le marbre et il n’y a pas de nain qui ne vaille un géant quand il porte le front haut. »