vendredi 26 février 2010

mercredi 24 février 2010

Le plaisir


Image du film Sátántangó de Béla Tarr (1994).
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"- Pouvez-vous développer l'allusion à Titanic que vous faites à la fin de votre texte sur La Ligne générale ? C'est le seul endroit de votre livre où vous utilisez le mot "plaisir".
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- La Ligne générale veut être la pure constitution d'une chaîne d'affects à partir d'une idée. C'est une utopie originaire du cinéma : les histoires sont finies, les affects traditionnels sont finis, désormais l'idée mise en image a une puissance propre et on peut dire adieu aux classiques histoires d'amour et de mort. Cameron a tous les moyens techniques de réaliser ce rêve d'Eisenstein, de passer par-dessus le naturalisme pour mettre directement l'idée sous des formes plastiques. Mais il utilise cette gigantesque logistique pour faire le contraire, pour renforcer la puissance pathétique de l'histoire d'amour d'une jeune fille riche pour un jeune homme pauvre.
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Le plaisir nomme la différence de potentiel dans un jeu d'affects. Dans le régime représentatif, ce terme dit que l'affect privilégié par l'auteur est le bon, il renvoie à une harmonie entre ce qui est fait par l'artiste et ce qui est attendu et éprouvé par un spectateur-type. Le régime esthétique substitue à cela des coupures, des suspensions, des déplacements, qui ne peuvent plus se résumer dans une notion unitaire. Le discours selon lequel l'art contemporain ne crée pas de plaisir est tautologique. Il demande à un régime sensible de se référer aux normes d'un autre.
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J'évite le terme de plaisir parce qu'il devient un drapeau nostalgique, qui renvoie à un temps mythique où l'art faisait plaisir. Il existe une infinité d'affects qui créent des dénivellations, des différences de potentiel. Ils doivent être étudiés pour eux-mêmes, sans être référés à cette idée du plaisir. J'ai vu récemment les sept heures et demie du Sátántangó de Béla Tarr. J'ai été fortement commotionné, mais prétendre que j'ai éprouvé du plaisir n'est pas la manière correcte de le dire. L'affect produit ne ressort pas d'une logique de l'attente comblée. On pourrait même parler d'attente déçue."
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Extrait de l'interview de Jacques Rancière Le cinéma, art contrarié, entretien réalisé par Stéphane Bouquet et Jean-Marc Lalanne, publié dans Les Cahiers du cinéma, n°567, avril 2002, pp. 57-6 et réédité dans le passionnant volume d'entretiens avec le philosophe Et tant pis pour les gens fatigués (Editions Amsterdam, 2009), p. 287.
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samedi 20 février 2010

Wind

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Le célèbre vent fouettant les étendues désolées de Patagonie a fait l'objet d'un magnifique disque par Francisco Lopez : Wind (Patagonia) (and/OAR, 2007). Une seule longue plage offre à l'auditeur "an extreme phenomenological immersion led by anti-rationality and anti-purposefulness" (d'après Lopez lui-même). La force sonore de ce vent naît de sa rencontre avec le paysage. Sa puissance d'évocation est double. D'une part, il constitue une matière enveloppante, toute en drones grondants et variations aléatoires. Il capte l'attention et fait retenir le souffle de qui veut bien se laisser happer par sa beauté. Par ailleurs, et comme nombre de phénomènes naturels spectaculaires, il évoque quelque chose d'incompréhensible, de presque terrible. Sa capacité à fasciner est également due au sentiment de solitude et de désolation qu'il provoque lorsque l'on pense à l'immensité, souvent vide et décharnée, parcourue par ses souffles.
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Le texte The Sublime and the Sonic Life of Nature du philosophe Christoph Cox (à qui on doit toutes les infos qui suivent) est intégré au livret accompagnant le disque. Dans cet essai éclairant, l'auteur nous explique qu'esthétiquement, Wind fait référence à la tradition ancienne des harpe et flute éoliennes, instruments qui domestiquent, humanisent et rendent le vent musical. Cependant, le projet de Lopez, en insistant sur l'intensité et l'impact du vent lui-même, s'intéresse plus à sa force élémentaire et à sa puissance non-humaine. La différence entre ces deux approches et sensibilités, c'est-à-dire la distinction entre le 'beau' et le 'sublime', a été théorisée dès le 18e siècle, notamment par Edmund Burke et Emmanuel Kant.
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Le beau offrirait un plaisir positif, un agrément esthétique résidant dans des formes et couleurs qui sont déterminées, harmonieuses et qui sont conçues dans le cadre de l'imagination humaine. Le sublime par contre procurerait un plaisir plus ambigu, mêlé à la douleur et la tension résultant de l'indétermination de formes excédant la compréhension humaine. La notion de sublime, d'après Burke et Kant, s'appliquerait dès lors parfaitement à la puissance des tempêtes, volcans et autres montagnes. D'après Christoph Cox, les vents patagoniens de Lopez auraient également cette beauté féroce et cette immensité : "And all of this produced by an invisible force that endlessly sweeps the surface of the globe. With this, we are no longer in the tidy world of human music, but have entered the sublime domain of natural sound."
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Je trouvais ces conceptions particulièrement intéressantes pour mieux comprendre l'intérêt pour l'enregistrement des milieux naturels. Pour aller plus loin, voir notamment l'article Environmental Sound Matter par Francisco Lopez. Sur le vent, écouter également les très beaux Wind et Storm de BJ Nilsen et Chris Watson (2001 et 2006).
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dimanche 14 février 2010

And summer is away

There comes a warning like a spy

A shorter breath of Day

A stealing that is not a stealth

And summer is away-

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Emily Dickinson

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mardi 9 février 2010

Can't Stop Won't Stop

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Pour ceux qui voudraient comprendre pourquoi un millier d'incendies furent allumés dans le Bronx la nuit du 13 juillet 1977, qui était le gang des Savage Skulls, pourquoi la politique jamaïcaine s'inspirait des sound systems locaux, pourquoi le premier disque de rap a été produit en studio par d'illustres inconnus, comment les émeutes de Watts en 1965 ont contribué à l'émergence du Gangsta Rap... Lisez absolument le passionnant Can't Stop Won't Stop. Une histoire de la génération Hip-Hop de Jeff Chang (2005 et Allia, 2006 pour la traduction française) ! Merci à Yves pour le conseil.
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vendredi 5 février 2010

Compost and Height

Mark Peter Wright prenant du son sur la côte Nord Est de l'Angleterre pour son album Mal de Mer.
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Mon blog musical préféré du moment est sans aucun doute Compost and Height. S'y trouvent des productions hautement recommandables offertes en téléchargement libre par de nombreux artistes. Field Recording, improvisation, Sound Art... La cohérence de l'ensemble réside non dans les genres proposés, mais dans cette faculté qu'ont certaines réalisations musicales de changer l'expérience de l'écoute. Lawrence English, Michael Northam, Eric La Casa, Steve Roden... Ce ne sont que quelques-uns des noms que cette belle entreprise nous invite à découvrir. Compost and Height édite également des mini albums "split", avec entre autres Rhodri Davies, Loren Chasse ou encore Angharad Davies. Bref, au boulot !
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lundi 1 février 2010

Berger d'Aubrac

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Egalement des éditions Ouïe/Dire, Berger d'Aubrac est une phonographie de Jean Pallandre et Laurent Sassi. Enregistrée en 1997 sur ce plateau du Massif Central, cette carte postale sonore suit la voix du berger Raymond Redon. On entend l'homme dans des tranches de vie aussi anecdotiques qu'esssentielles : dans sa bergerie, sur le plateau environné des bruits de cloches de ses animaux, dans sa cuisine avec le tic tac de l'horloge... Avec un parler rude ("Il vient par le cul cette pute d'agneau"), il évoque les naissances de moutons ou encore le vol de l'alouette. La qualité de l'enregistrement et le choix des instantanés communiqués à l'auditeur donnent une image sensible d'un métier en voie de désuétude. Plutôt que l'homme, c'est l'homme dans son milieu qui est ici envisagé. Pour preuve, ces plages où résonnent simplement quelques bruits nocturnes ou les cris lointains du berger dans ses prairies.
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