jeudi 27 novembre 2008

Des fantômes affamés

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On trouve pas mal de bonnes choses sur le label Root Strata. Aujourd'hui, j'écoute le LP une face de Starving Weirdos intitulé Harry Smith. On cherchera en vain le rapport entre cette noise méditative et les morceaux blues et folk compilés par Smith dans sa fameuse Anthology of American Folk Music, si ce n'est quelques accords de guitare déglinguée à la fin du morceau. Le lien est à chercher du côté des courts métrages expérimentaux de l'ethnomusicologue. Ces derniers consistaient notamment en manipulation directe de la pellicule, peinte par exemple. La conception de leur accompagnement musical a changé au cours du temps. D'abord, Harry Smith leur destinait des morceaux de Dizzy Gillespie. Depuis, des artistes tels que DJ Spooky ou Philip Glass ont écrit des musiques pour les illustrer. Starving Weirdos a à son tour rendu hommage au poète beatnik. Leur musique fantomatique est aussi à apprécier en concert, voici par exemple un extrait de leur passage au Bunker à Bruxelles le 26 septembre dernier.
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Un exemple des courts métrages d'Harry Smith ici.
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mercredi 26 novembre 2008

Eureka !

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Aujourd'hui, d'abord une berceuse : la chanson Eureka sur l'album du même nom de Jim O'Rourke.
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Ensuite, la version ébouriffante du même morceau, par le Otomo Yoshihide's New Jazz Quintet sur le Live in Lisbon, paru cette année sur le label Clean Feed. Invité lors de ce concert, le saxophoniste Mats Gustafsson introduit éructions et lancinances, tandis qu'à la fin du morceau, la batterie s'emballe pour aboutir à un climat lyrique exalté assez éloigné des délicatesses de O'Rourke.
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mardi 25 novembre 2008

L'ordre et l'infini

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« Dans la vérité de son ordre, bien ordonnée, la cour s’étendait à ma vue. A gauche les murs du bâtiment d’écurie avaient été soigneusement chaulés de frais pour combattre l’humidité du sol qui y montait sans cesse et qui, maintenant encore, réapparaissait. On pouvait apercevoir sur les toits les traces d’un entretien aussi méticuleux : entre les tuiles, noircies par la pluie, du toit d’écurie, on avait inséré des tuiles neuves, rouge clair, et la couverture de la grande aire de battage qui, en face du bâtiment d’habitation, ferme la cour et la sépare du jardin avait été rénovée de larges bandes jaunes de bardeaux neufs. C’était presque trop net pour le nid d’hirondelles, qui, intact et même protégé, était suspendu sous la saillie du toit des étables à côté de la rangée des seaux d’incendie et des échelles. Le bleu-myosotis du firmament avait maintenant viré au lilas tendre de pensées aux tons clairs, et en même temps, comme participant à cet effacement progressif, la brise printanière ralentissait son souffle, pour finalement mourir tout à fait. Seul était demeuré, un calme d’une extrême délicatesse, où les colombes se berçaient. Devant les fenêtres des étables et au-dessus du tas de compost, soigneusement entouré d’une bordure de ciment et sur lequel pointait l’herbe, volaient des essaims de mouches. Vers le fond, dans la percée du jardin, la nature en fleur faisait un salut, mais à droite, là où le mur aveugle de la maison Laurenz borde la cour, le clocher passait la tête. Je comprenais l’équilibre de l’ordre rural où la rigidité, créée par l’homme, se combine en une unité parfaite avec la croissance vitale, où aucun acte manuel ne peut être exécuté, aucun pas ne peut être fait, aucune respiration ne peut s’inscrire dans la vie sans que la respiration de l’homme, les mains de l’homme, les pieds de l’homme soient en contact incessant et irrévocable avec la germination de la vie. Je comprenais l’ordre statique, l’ordre sans démence de l’existence, l’ordre où travail et croissance entre-pénètrent à tel point leur domination que, une à une, les couches de l’Etre se déposent l’une dans l’autre, infiniment combinées, s’entre-reflétant à l’infini, se vivifiant, se réalisant mutuellement, secours infini pour l’homme, secours de l’équilibre, afin que l’homme ne soit pas subjugué par sa propre création comme c’est le cas à la ville, où sa vie est pour ainsi dire le seul brin d’herbe entre les pierres, et où il n’a rien d’autre à opposer à la rigidité, que son cœur battant. »
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BROCH, Hermann, Le Tentateur (Der Versucher, 1954, traduit en français en 1960), Paris, Gallimard, 2005, pp. 138-139.
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lundi 24 novembre 2008

Des cèdres et du souffle


Il faut souligner la très grande qualité des enregistrements du label Al-Maslakh (L’abattoir). Créé en 2005, il a pour but d’initier des rencontres entre jeunes improvisateurs de la scène libanaise, parfois avec des musiciens venus d’autres horizons géographiques. On citera par exemple Gene Coleman, Ingar Zach ou encore Michael Zerang. Le concert de ce dernier avec le célèbre Peter Brötzmann à Beyrouth en 2005 est paru sur le même label et présente un duo saxo-batterie de haute tenue. D’après les notes de la pochette, les musiciens surprirent d’abord l’audience, peu habituée à ce genre d’intense performance, avant de l’entraîner dans leur tornade rythmique et mélodique.

Ce concert était un des évènements du festival Irtijal, un festival international de musique improvisée libre, initiative inédite et remarquable dans le coin, qui a lieu tous les ans et dont les organisateurs sont étroitement liés au label Al-Maslakh. Une idée de destination ? En tout cas, un fameux démenti à une vision d’une région a priori rétive aux musiques aventureuses.

Un des piliers du label est le trompettiste Mazen Kerbaj, connu par ailleurs pour ses activités de dessinateur. Il tient notamment un blog dessiné où est évoqué son quotidien avec beaucoup d’humour. Son album solo BRT VRT ZRT KRT est une vraie merveille où différentes techniques d’utilisation de l’instrument, notamment en conjonction avec divers objets (sourdines et autres), créent une atmosphère très poétique, où les chants d’oiseaux se transforment en rumeurs industrielles et vice versa.


A l’occasion du festival Irtijal 2006, le batteur Michael Zerang (batteur du Peter Brötzmann Chicago Tentet et collaborateur régulier de Mats Gustafsson, Hamid Drake ou encore John Butcher) est retourné à Beyrouth et a participé à une session d’enregistrements avec des musiciens locaux. Cedarhead le voit croiser le fer successivement avec Christine Sehnaoui (saxophone alto), Béchir Saadé (ney), Jassem Hindi (dispositifs électroniques), Mazen Kerbaj (trompette), Raed Yassin (dispositifs électroniques), Sharif Sehnaoui (guitare acoustique) et Charbel Haber (guitare électrique). Chaque duo est l’occasion d’un dialogue-improvisation où la palette de l’instrument est exploitée dans plusieurs registres. Seul le dernier morceau, où Zerang utilise une darbouka, évoque les musiques orientales.


Christine Sehnaoui n’arrête pas de tourner et de multiplier les rencontres, que ce soit avec des pionniers de l’improvisation (on l’a vu par exemple jouer cette année au festival Interact à Hasselt aux côtés du batteur suédois Sven-Ake Johansson, du saxophoniste anglais Evan Parker…), des rockers (The Ex) et bien d’autres. Sur Shortwave (enregistré au GRM à Paris), son partenaire est Michel Waiswisz, un compositeur / performeur de musique électronique live, qui a développé de nouveaux instruments de musique électronique, basés sur le contact avec le corps humain. Décédé récemment, il n’aura pas vécu la sortie de cet album où il utilise « The Hands », des espèces de poignées équipées de micros pouvant créer des boucles et des vibrations que le musicien module selon son envie.
Pour avoir une idée plus concrète de leur collaboration : http://fr.youtube.com/watch?v=AedrvTXBgEA

Remarquons enfin que la ligne graphique du label est très classieuse. Bref, n’hésitez pas à commander ces albums !

Christine Sehnaoui sera en concert en Belgique avec Olivier Toulemonde et Mathias Forge début de l’année prochaine, le 31 janvier à l’An vert à Liège et le 1er février au Q-O2 à Bruxelles.

dimanche 23 novembre 2008

Phill Niblock et Kan Mikami

Pour sa dixième édition, le festival Images Sonores à Liège présente diverses compositions de musique contemporaine dont des oeuvres des pionniers Karlheinz Stockhausen et John Cage.
Le vendredi soir, Jean-Marc Montera (guitare) que l'on a notamment vu jouer avec Sonic Youth, et Chris Cutler (persussion), fer de lance du rock anglais expérimental depuis une quarantaine d'années (il a notamment officié au sein de Henry Cow), rencontrent les musiciens Daan Vandewalle (piano) et Arne Deforce (violoncelle).
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Silence, tensions et couleurs radiophoniques s'offrent en un bouquet sonore abstrait passionnant dans les pièces Kurzwellen (1968) de Karlheinz Stockhausen et Four (1954) de John Cage.
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Le clou de la soirée est certainement l'interprétation par Arne Deforce de la pièce Poure de Phill Niblock. Seul à son instrument, le violoncelliste est installé entre deux écrans où est projeté un documentaire réalisé par Niblock lui-même. The Movement of People Working tente de montrer la dynamique du travail manuel par la juxtaposition de séquences de gestes techniques spécialisés (par exemple, raboter un outil, coudre un tissu...) où le cadre est essentiellement bloqué sur les mains des artisans.
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Les suites de frottements au violoncelle sont enregistrées et superposées pour former petit à petit un bloc sonore impressionnant diffusé dans l'ancienne église baroque Saint-André par plusieurs enceintes. Cette musique lancinante donne aux images une signification équivoque : aliénation due à la technicité des gestes ou infinie répétition du geste créateur ? A la fin de la performance, le violoncelliste fait applaudir un monsieur assez âgé assis au premier rang. S'agirait-il de Phill Niblock ?
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Le DVD du film de Phill Niblock, malheureusement épuisé, est édité par le label Extreme. Ses derniers albums dont le magnifique triple Touch Three sont sortis sur le label Touch Records.
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Le samedi soir, au Cinéma Nova à Bruxelles, le troubadour japonais Kan Mikami a rendez-vous avec son public à 22.00. Il est difficile de ne pas être scotché par la présence physique impressionnante du bonhomme. Des hurlements et soupirs, des sauts, des pantomimes inquiétants transforment le concert en un spectacle théâtral magnétisant. La compréhension du japonais n'est pas nécessaire pour apprécier ce chant d'écorché vif, très romantique. Le jeu de guitare, free, évoque aussi bien le fantôme de Derek Bailey que celui de Davy Graham.
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Le bluesman japonais a sorti de nombreux albums dont certains sur le label P.S.F. records sur lequel on trouve la crème des musiques psychédéliques nippones.
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