lundi 28 juillet 2014

La danse des possédés (97)



En voyage, certains éprouvent la corne de leurs pieds par le tranchant du silex. D'autres encore croisent la route d'animaux étranges et féroces. Et puis il y a ceux qui, tentant de faire des pointes en pantoufles, finissent par trébucher dans une vieille carne de dromadaire. L'aventure sourit souvent à ceux qui n'ont pas d'ambition.

mercredi 16 juillet 2014

Le peintre (8)


Parce que c'était lui, parce que c'était toi. Le Peintre et Le Médecin. A ces deux-là, on a prêté une relation privilégiée qu'un portrait du second par le premier et un possible voisinage attesteraient. Mais une fois de plus, des éléments épars ne sont-ils pas envisagés comme des preuves ? De cette amitié, je n'ai trouvé aucun témoignage. Mais foin de scepticisme, ajoutons quelques mots aux récits brumeux qui composent l'Histoire et admettons cette historiette. Saigner du pif après les mêmes batailles de rue, marcher de front même si c'est dans la boue, rêver, espérer, et toujours ensemble. Puis les chemins bifurquent, il faut grandir, apprendre un métier, lisser sa mise. L'un reste, continue à tourner en rond dans les mêmes rues, et l'autre s'en va, pour étudier, dans une ville proche, puis en Italie. Avec une malle pleine de livres, une longue cape et un chapeau noir, il pense faire le tour du monde. De ce genre d'expérience, on accumule de la vanité pour une vie entière. Les premiers échanges épistolaires, confiants et diserts, peu à peu s'amenuisent. Les aspirations divergent, les liens se distendent, l'autre n'était pas forcément le même. Les kilomètres et les heures gagneraient-ils toujours ? Les années passent et ils se retrouvent, à nouveau voisins, à nouveau camarades, mais raidis. Pour tenter de garder en vie ce souvenir de réciprocité, Le Peintre fixe les traits du Médecin en Savant, pour la postérité. Malgré ce cadeau, le processus suit son cours. Et l'objet a survécu à l'idée. Capitulation, pourriture en bourbier, l'amitié git, le cul sur la tête.
Et amicorum ? Surtout ne pas répondre.

mardi 15 juillet 2014

L'usage sonore du monde (27)





Le monde est trop bruyant. Et il fait peur. Mais au final, du bruit et du silence, c'est le second qui gagnera. Et l'éléphant, l'enfant, le lecteur, sera rassuré. C'est peu dire qu'on a beaucoup aimé le très beau Vacarme de Gaëtan Dorémus (Notari, 2014).

lundi 7 juillet 2014

Les sans-noms (9)

Image de Nanook of the North

« Il est plus difficile d'honorer la mémoire des sans-noms que celle des gens reconnus. A la mémoire des sans-noms est dédiée la construction historique. »
Walter Benjamin, 1940

A la manière dont Walter Benjamin définit le rôle de l'histoire, le cinéma documentaire œuvre depuis ses origines à « honorer la mémoire des sans-noms », des gens de la foule, des anonymes, des ignorés, des opprimés. Dès les premières œuvres des frères Lumière et jusqu'à nos jours, des cinéastes ont en effet travaillé à mettre sur le devant de la scène tous ces figurants de l'histoire. Ils l'ont fait en filmant les ouvriers se pressant à la sortie des usines ou revendiquant leurs droits dans des manifestations, en montrant la vie, parfois rude et éprouvante, des pêcheurs, des soldats ou des paysans, en s'intéressant aux malades et aux parias dans les hôpitaux et les prisons ou encore en transmettant les manières d'être des différents peuples de la terre, qu'ils soient Esquimaux, Papous, Arméniens, Français...
Si on observe l'histoire du cinéma documentaire, on constate que cette volonté de « filmer les sans-noms » est loin d'être périphérique. Elle en est une des constantes principales, comme le montre peut-être la liste ci-dessous, constituée de films indispensables. Bien évidemment partielle et partiale, ouverte au domaine de la fiction, cette sélection pourra être complétée au fur et à mesure des découvertes, conseils et retours de mémoire. Et pour citer quelques écrits qui ont inspiré la réalisation de cette liste, il y a bien évidemment ceux de Jean-Louis Comolli (Voir et pouvoir, Corps et cadre...), de Georges Didi-Huberman (Peuples exposés, peuples figurants en particulier), de Patrick Leboutte (Ces films qui nous regardent. Une approche du cinéma documentaire), la revue Images documentaires ...

·         Auguste et Louis Lumière, La sortie de l'usine Lumière à Lyon, 1895
·         Thomas Reis, Sertões de Mato Grosso, 1913-1914
·         Robert Flaherty, Nanook of the North, 1922
·         Herbert Ponting, The Great White Silence, 1924
·         Merian C. Cooper et Ernest B. Shoedsack, Grass : A Nation Battle for Life, 1925
·         Walter Ruttmann, Berlin, Die Sinfonie der Großstadt, 1927
·         Sergei M. Eisenstein, Старое и новое «Генеральная линия» (La ligne générale), 1929
·         Jean Epstein, Finis terrae, 1929
·         Jean Grémillon, Gardien de phare, 1929
·         John Grierson, Drifters, 1929
·         Robert Siodmak, Menschen am Sonntag, 1930
·         Dziga Vertov, Enthousiasme ou la Symphonie du Donbass, 1930
·         Jean Vigo, A propos de Nice, 1930
·         Manoel de Oliveira, Douro, Faina Fluvial, 1931
·         Luis Buñuel, Las Hurdes, 1933
·         Henri Storck, Misère au Borinage, 1933
·         Basil Wright, Song of Ceylon, 1935
·         Joris Ivens, The Spanish Earth, 1937
·         Marcel Griaule, Pays dogon et Sous les masques noirs, 1938
·         Paul Strand et Leo Hurwitz, Native Land, 1942
·         John Huston, Let There Be Light, 1945
·         Georges Rouquier, Farrebique, 1946
·         Maya Deren, Divine Horsemen. The Living Gods of Haïti, 1947-1981
·         Georges Franju, La sang des bêtes, 1948
·         Giuseppe De Santis, Riso amaro, 1949
·         Roberto Rossellini, Stromboli, 1949
·         Jonas Mekas, Lost, Lost, Lost, 1949-1976
·         Morris Engel, The Little Fugitive, 1953
·         Vittorio De Seta, Le monde perdu (divers films), 1954-1959
·         Alain Resnais, Nuit et brouillard, 1955
·         Jean Rouch, Les maîtres fous, 1955
·         Lionel Rogosin, On the Bowery, 1957
·         Michel Brault et Gilles Groulx, Les Raquetteurs, 1958
·         Karel Reisz, We are the Lambeth Boys, 1959
·         Margot Benacerraf, Araya, 1959
·         Richard Leacock, Primary, 1960
·         Paul Meyer, Déjà s'envole la fleur maigre, 1960
·         Jean Rouch et Edgar Morin, Chronique d'un été, 1960
·         Maurice Pialat, L'amour existe, 1961
·         Luc de Heusch, Les amis du plaisir, 1961
·         Mario Ruspoli, Les inconnus de la terre, 1961 et Regards sur la folie, 1962
·         Pier Paolo Pasolini, La rabbia, 1963
·         Pierre Perrault, Pour la suite du monde, 1963
·         Chris Marker et Pierre Lhomme, Le joli mai, 1963
·         Fernand Deligny, Le moindre geste, 1963-1971
·         Pier Paolo Pasolini, Il Vangelo secondo Matteo, 1964
·         Louis Malle, L'Inde fantôme, 1968
·         Fernando Solanas, La hora de los hornos, 1968
·         Albert Maysles, Salesman, 1969
·         Marcel Ophuls, Le chagrin et la pitié, 1969
·         Groupes Medvedkine, A bientôt, j'espère, 1970
·         Ken Loach, Kes, 1970
·         Eliane de Latour, Comptes et décomptes de la cour, 1970
·         Jean Eustache, Numéro zéro, 1971
·      Shohei Immamura, Mikikanhei O Otte (En suivant ces soldats qui ne sont pas revenus), 1971-1973
·         Artavazd Pelechian, Tarva Yeghanaknère, Vremena goda (Les saisons), 1972
·         Yann Le Masson, Kashima Paradise, 1973
·         Jean-Daniel Pollet, L'ordre, 1973
·         Robert Kramer, Milestones, 1975
·         Agnès Varda, Daguerréotypes, 1975
·         Hailé Gérima, Mirt Sost Shi Amit (La moisson de 3000 ans), 1976
·         António Reis et Margarida Cordeiro, Trás-os-Montes, 1976
·         Jean-Michel Carré, Alertez les bébés, 1978
·         Ermanno Olmi, L'albero degli zoccoli, 1978
·         Georges Perec, Récits d'Ellis Island, 1978-1980
·         Luc Dardenne, Lorsque le bateau de Léon M. Descendit la Meuse..., 1979
·         Raymond Depardon, San Clemente, 1981
·         David MacDougall et Judith MacDougall, A Wife Among Wives, 1981
·         Bob Connolly et Robin Anderson, First Contact, 1983
·         Frederick Wiseman, The Store, 1983
·         Claude Lanzmannn, Shoah, 1985
·         Jean Gaumy, La boucane, 1986
·         Eric Pauwels, Rites de possession en Asie du Sud-Est, 1986
·         Jacqueline Veuve, Les métiers du bois, 1987-1992
·         Abbas Kiarostami, Close-up, 1990
·         Alain Cavalier, Portraits, n° 1 et 2, 1991-1992
·         Dominique Cabrera, Chronique d'une banlieue ordinaire, 1992
·         Claire Simon, Récréations, 1992
·         Chantal Akerman, D'est, 1993
·         Jean-Louis Comolli, La vraie vie (dans les bureaux), 1993
·         Ian Dunlop, Conversations with Dundiwuy Wanambi, 1995
·         Mohsen Makhmalbaf, Salam cinema, 1995
·         Nicolas Philibert, La moindre des choses, 1996
·         Johan van der Keuken, Amsterdam Global Village, 1996
·         Pedro Costa, No Quarto da Vanda, 2000
·         Sergei Loznitsa, Полустанок (L'attente), 2000
·         Iossif Pasternak et Hélène Chatelain, Goulag, 2000.
·         José Luis Guerín, En construcción, 2000-2001
·         Naomi Kawase, きゃからばあ (Dans le silence du monde), 2001
·         Stéphane Breton, Eux et moi, 2001
·         Raymond Depardon, Profils paysans, 2001-2008
·         Rithy Panh, S 21, la machine de mort khmère rouge, 2002
·         David Simon et Ed Burns, The Wire (Sur écoute), 2002-2008.
·         Wang Bing, 铁西区 (A l'ouest des rails), 2003
·         Denis Gheerbrant, La république Marseille, 2006-2007
·         Jia Zhangke, 三峡好人 (Still Life), 2006
·         Emmanuelle Demoris, Mafrouza, 2007-2010
·         Brillante Mendoza, Serbis, 2008
·         Miguel Gomes, Aquele Querido Mês de Agosto, 2008
·         Wang Bing, 无名 (L’homme sans nom), 2009
·         Antoine Boutet, Le plein pays, 2009
·         Bill Morrison, The Miner's Hymn, 2011
.         Peter Snowdon, The Uprising, 2013

samedi 5 juillet 2014

Les sans-noms (8)


"La population des rêves s'affaiblit.
L'origine s'oublie

1872. Dans la grande vision où Élan-Noir trouve son nom il y a le grand-père de l'Ouest, le grand-père du Nord, le grand-père de l'Est, le grand-père du Sud, le grand-père du Ciel, le grand-père de la Terre, douze chevaux noirs, avec des colliers de sabots de bison, douze chevaux blancs entourés d'une troupe d'oies sauvages, douze chevaux alezans, avec des colliers de dents d'élan, douze chevaux fauves, un aigle tacheté, une coupe d'eau, un arc, une baguette fleurie, une pipe sacrée ou calumet, etc.
1919. Dans la vision où Cerf-Boiteux trouve son nom il n'y a plus qu'un arrière-grand-père : le sien. Après quatre jours et quatre nuits passés seul sur la colline, sans eau, sans nourriture, dans la fosse de voyance, il entend certes la voix du peuple des Oiseaux mais il ne voit rien... jusqu'à ce que, dans le brouillard tourbillonnant, une forme se dresse devant lui :
"Je reconnus mon arrière-grand-père, Tahca Ushte, Cerf-Boiteux le vieux chef des Minniconjous. Je pouvais voir le sang s'écouler de sa poitrine, là où un soldat blanc l'avait tué. Je compris que mon arrière-grand-père souhaitait que je prenne son nom. J'en conçus une joie indicible."
1950. Un Indien mexicain :
"Mon nom est Juan Pérez Jolote, parce que ma mère accoucha le jour de la Saint-Jean, patron du village. Pérez Dindon, parce que c'était le nom de mon père. Je ne sais pas comment nos vieux ont fait pour nous donner des noms d'animaux."

1977. Au Canada, un chauffeur de taxi charge, entre Edmonton et Calgary (Alberta) :

Silas Peau-d'Hermine
Franck Piquet-de-Clôture
Rufus Casseur-d'Etalons
Rufus-tire-dans-l'étui
Charlie Couverture
Sadie-n'a-qu'une-blessure
Winnie-l'Oursonne
Ruth-la-Bisonne
Joe-le-Bison
Chef Tom Œil-de-Corbeau
Robert-Louis-Sandra-Coyote
Wilbur Genoux-Jaunes
Suzie Robe-de-Veau
Tom-le-Poney
Fred-la-Bouteille
Hobart-le-Tonnerre
Sam-qu'est-debout-à-la-porte"

Extrait de Partition rouge. Poèmes et chants des Indiens d'Amérique du nord (Introduction, choix et traduction de Florence Delay et Jacques Roubaud), Seuil, 1988. 

mardi 1 juillet 2014

Des milliards de pères (10)




J'ai des milliards de pères.
Lui m'apprend à m'éloigner de moi-même, avec des émotions qui sont autant de déluges de soleils.