samedi 31 mars 2012

La danse des possédés (24)

Vers les cimes (19)

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Des livres bouleversent en même temps qu'ils apprennent à voir.
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Le dépaysement. Voyages en France (2011) de Jean-Christophe Bailly. Extrait du premier récit:
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"Bordeaux, la maison Larrieu, au numéro 51 de la rue Sainte-Colombe, entre la Grande Cloche et le cours d'Alsace-et-Lorrain. Jean-Louis Larrieu, l'actuel directeur de la firme - car il s'agit bel et bien d'une fabrique -, n'aime pas que l'on parle de boutique. C'est comme cela pourtant que, par des objets présentés derrière des vitrines donnant sur la rue, s'annonce cette maison et que se manifeste le pouvoir qu'elle a d'arrêter le passant : car ce que l'on y voit, et ce que l'on en devine, est extraordinaire. Je n'en connais en tout cas pas d'autre exemple en France, ou en Europe. Il s'agit d'une fabrique de filets, de nasses et, plus généralement, de tout ce qui sert ou peut servir à attraper des animaux vivants ou à les faire venir, les faire approcher : par conséquent un ensemble exubérant d'objets ayant à voir avec la chasse et la pêche (même si les filets servent aussi à bien d'autres choses et, notamment, à protéger, dans le bâtiment par exemple) - donc des objets qui a priori ne sont pas sympathiques, puisqu'ils sont des résultats directs de la volonté humaine de maîtrise et de domination. Oui, mais voilà, ce qui s'impose et saute aux yeux, dès la rue, dès cette rue du vieux Bordeaux, c'est une science infusée du paysage, ce sont des procédures de ruse et de lecture, ce sont des affects presque inconnus et secrets, liés à des lieux éprouvés comme des territoires et parcourus depuis des siècles : appeaux imitant la grive, la caille ou le sanglier, filets à papillons, cordages, épuisettes et autres outils pour la pêche à pied, mais surtout filets et nasses de toutes tailles et de toutes sortes, à grandes ou à petites mailles, extensibles, souples, articulés."
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jeudi 29 mars 2012

Quand le soleil voulait tuer la lune (2)

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Les Selk-nam sur la plage vers 1930...
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Quand le soleil voulait tuer la lune

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Je ne sais pas si j'ai envie d'entendre le chant du dernier être humain. Il y a beaucoup de chances que ce soit bien peu romantique... Je suis en train d'écouter les chants de Lola Kiepja, une des dernières survivantes du peuple Selk'nam, de la mythique Terre de Feu. L'imparfait est de mise : si à la fin du 19e siècle, les Selk'nam comptaient plus ou moins 3000 personnes, ils n'étaient plus que 25 en 1945. Leur ultime représentante, Angela Loij, est morte en 1974. Les enregistrements de la chamane Lola Kiepja (voir photo ci-dessus) ont été captés par Anne Chapman en 1966 et publiés par Folkways en 1972. Ces chants sans accompagnement, rudes et vibrants, ne font pas dans la séduction et l'exotisme bon marché. Mais l'essentiel est dit. Il s'agit en effet de repousser la maladie, d'évoquer l'esprit de la guerre, de deviner les éclipses de lune...
Dans le catalogue de l'exposition Patagonie. Images du bout du monde (Musée du quai Branly, expo en cours), on trouve de magnifiques documents concernant les Selk'nam, dont d'incroyables photographies illustrant la cérémonie du Hain. Durant ce rite d'initiation, des esprits Shoort, maquillés et masqués, surgissent du monde invisible pour terroriser les jeunes hommes, notamment en gesticulant et en leur tirant les parties génitales. Certains aspects de cette cérémonie, très complexe et pouvant durer plus d'un an, sont proches du théâtre. Pour en savoir plus, on se procurera au plus vite Aux confins de la terre : Une vie en terre de Feu (1874-1910) de E. Lucas Bridges (Nevicata, 2010) et Quand le soleil voulait tuer la lune : Rituels et théâtre chez les Selk-nam de Terre de Feu d'Anne Chapman (Métailié, 2008).
Les Selk'nam ont fait l'objet d'un génocide parce qu'ils avaient tué et mangé des bœufs importés par les colons.
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mercredi 28 mars 2012

Comme un cou de vautour hors de l’air dressé

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Trois éruptions du Vésuve, successivement en 1872, 1895 et 1944.
Et ci-dessous, un extrait de Dicté après juillet 1830 dans les Chants du crépuscule du patron Victor Hugo.

"Quand longtemps a grondé la bouche du Vésuve,
Quand sa lave, écumant comme un vin dans la cuve,
Apparaît toute rouge au bord,

Naples s’émeut ; pleurante, effarée et lascive,
Elle accourt, elle étreint la terre convulsive ;
Elle demande grâce au volcan courroucé ;
Point de grâce ! un long jet de cendre et de fumée
Grandit incessamment sur la cime enflammée,
Comme un cou de vautour hors de l’air dressé.

Soudain un éclair luit ! Hors du cratère immense
La sombre éruption bondit comme en démence.
Adieu le fronton grec et le temple toscan !
La flamme des vaisseaux empourpre la voilure.
La lave se répand comme une chevelure
Sur les épaules du volcan.

Elle vient, elle vient, cette lave profonde
Qui féconde les champs et fait des ports dans l’onde ;
Plages, mer, archipels, tout tressaille à la fois ;
Ses flots roulent, vermeils, fumants, inexorables ;
Et Naple et ses palais tremblent, plus misérables
Qu’au souffle de l’orage une feuille des bois !

Chaos prodigieux ! la cendre emplit les rues,
La terre revomit des maisons disparues ;
Chaque toit éperdu se heurte au toit voisin ;
La mer bout dans le golfe et la plaine s’embrase ;
Et les clochers géants, chancelant sur leur base,
Sonnent d’eux-mêmes le tocsin !

Mais – c’est Dieu qui le veut – tout en brisant des villes,
En comblant les vallons, en effaçant les îles,
En charriant les tours sur son flot en courroux,
Tout en bouleversant les ondes et la terre,
Toujours Vésuve épargne en son propre cratère
L’humble ermitage où prie un vieux prêtre à genoux !"

La danse des possédés (23)


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