jeudi 8 mars 2012

Le livre des merveilles du monde

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Jean (ou plutôt Jehan) de Mandeville est un Liégeois du 14e siècle (?-1372) dont la particularité, rare en nos contrées, est d'avoir franchi les limites géographiques que sa naissance lui imposait. D'abord médecin, puis explorateur et soi-disant chevalier anglais, il a couché sur le papier le récit de ses nombreuses aventures. Le livre des merveilles du monde est rapidement devenu un best-seller : de nombreuses versions manuscrites subsistent, tandis qu'en 1501, il existe déjà 35 éditions imprimées. Ce fameux voyage aurait mené de 1322 à 1356 notre compatriote en Egypte, en Terre Sainte, puis en Asie, jusqu'en Inde et en Chine. Si la critique récente s'accorde à confirmer ses pérégrinations jusqu'en Egypte et au Levant, il semblerait qu'il n'ait pas été beaucoup plus loin. Peu importe, ses observations et affabulations décrivent une géographie médiévale enchanteresse, peuplée d'êtres fantastiques (licornes, dragons, acéphales...) et nourrie de références bibliques.
Le récit a été commenté et traduit en français moderne par C. Deluz pour Les Belles Lettres en 1993. En lisant Le fromage et les vers. L'univers d'un meunier du XVIe siècle de Carlo Ginzburg (ouvrage sur lequel on reviendra probablement), on tombe sur un extrait (pp. 84-85) du récit de Mandeville, issu du chapitre CXLVIII intitulé De l'île de Dondina où l'on se mange les uns les autres quand on n'a plus rien pour vivre et de la puissance de son roi, lequel règne sur LIV autres îles et de beaucoup d'autres sortes d'hommes qui habitent dans ces îles :
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"Dans cette île sont des gens de diverses natures car le père mange le fils et le fils le père, l'homme la femme et la femme son mari. et s'il advient que le père ou la mère ou aucuns de leurs amis soient malades, le fils ou d'autres vont aussitôt au prêtre de leur loi et lui font demander à leur idole, laquelle, par vertu du diable qui est derrière elle, dit et répond qu'il ne mourra pas cette fois et leur enseigne comment ils doivent le guérir : et aussitôt le fils s'en retourne pour servir son père comme l'idole le lui a enseigné, jusqu'à sa guérison ; et ainsi font les maris pour les femmes et les amis l'un pour l'autre. Et si l'idole dit que le malade mourra, alors va le prêtre avec le fils, avec la femme ou avec l'ami malade et lui mettent sur la bouche un drap pour l'étouffer, et l'étouffent ainsi et tuent. Et puis coupent le corps en pièces et mandent tous leurs amis à venir manger le corps mort. Et font venir tous les musiciens qu'ils peuvent réunir et le mangent en grande fête et grande solennité. Et quand ils ont mangé la chair, ils prennent les os et les ensevelissent, en chantant et en faisant grande fête et grande mélodie. Et tous les parents et amis qui ne viennent pas à cette fête sont réprouvés et ont grande honte et douleur, car ils ne sont plus tenus pour amis. Et disent les amis qu'ils mangent les chairs pour le libérer de ses peines. Et quand la chair est maigre, les amis disent qu'ils ont fait grand péché de lui avoir tant laissé languir et souffrir de peine sans raison. Et s'ils trouvent la chair grasse ils disent que c'est bien fait et qu'ils l'ont tôt envoyé au paradis et qu'il n'a point souffert de peines..."
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Le portrait posthume de Mandeville ci-dessus daterait de 1459.
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A Liège, la rue de Mandeville voit désormais passer les trains de navetteurs. C'est résolument une autre idée du voyage.
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