lundi 7 mai 2012

Vers les cimes (20)


Il est fascinant de voir grandir ses enfants et parfois, d'imaginer ce qui se passe dans leur esprit. Tenter de comprendre leurs sensations, leurs peurs, leurs espoirs constitue une voie d'accès possible à la remembrance de nos propres premières expériences. On en a lu plusieurs des récits d'enfance, mais celui-ci est sans nul autre pareil, tant son écriture parvient à réveiller ce continent perdu qui est notre passé, notre pays, notre enfance : Rosie ou le goût du cidre. Une enfance dans les Cotwolds de l'Anglais Laurie Lee (1959), auteur dont on avait lu les très beaux souvenirs dans Un beau matin d'été (1969). On en livre ici les premières phrases, en manière d'hommage à nos héros de petite taille, présents et à venir.

"A l'âge de trois ans, je fus déposé de la carriole du transporteur, et ma vie au village commença dans la terreur et le désarroi.
L'herbe de juin, partout, était plus haute que moi, et je pleurais. Je n'avais jamais vu l'herbe d'aussi près. Elle me dominait et m'entourait, chaque brin tatoué comme la peau d'un tigre par le soleil. Elle était coupante, sombre, d'un vert mauvais, aussi épaisse qu'une forêt et pleine de criquets qui, dans un bruit de crécelle, fendaient l'air d'un bond comme des singes.
J'étais perdu et ne savais où aller. Du sol montaient une chaleur tropicale et une forte odeur prégnante de racines et d'orties. De blancs nuages de sureau s'accumulaient dans le ciel, déversant sur moi de floconneuses et suffocantes vapeurs qui me donnaient le vertige. Loin au-dessus de ma tête, s'élançaient des alouettes qui s'enivraient de chants, comme si le ciel se déchirait.
Pour la première fois de ma vie, j'étais hors de vue des humains. Pour la première fois de ma vie, j'étais seul dans un monde que je pouvais pas sonder et dont je ne pouvais prévoir les réactions : un monde d'oiseaux qui piaillaient, de plantes qui puaient, d'insectes qui sautaient partout sans prévenir. J'étais perdu, sûr qu'on ne me retrouverait jamais. Jetant la tête en arrière, je me mis à hurler et le soleil me cogna en pleine figure comme une brute."

La photo ci-dessus montre Slade (vers 1908), le petit village anglais où arrive le narrateur durant la première guerre mondiale.

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