lundi 17 septembre 2012

Il n'y a pas de Nature


C'est en achevant notre lecture qu'on a la bonne idée d'aller chercher la traduction de l'extrait d'un très beau poème de Pessoa (uniquement donné dans sa langue originale) placé par Philippe Descola en exergue de son Par-delà nature et culture (Gallimard, 2005). Et en-dessous, un extrait de l'ouvrage (ô combien percutant et fascinant) dudit Descola (pp. 26-27). Pour que je considère les chats des voisins dans un rapport totémique, il n'y a désormais plus qu'un pas...

"J’ai vu qu’il n’y a pas de Nature,
Que Nature n’existe pas,
Qu’il y a collines, vallées, plaines,
Qu’il y a arbres, fleurs, herbages,
Qu’il y a rivières et pierres,
Mais qu’il n’y a pas un tout à quoi tout ça appartiendrait,
Qu’un ensemble réel et véritable
Est une maladie de nos idées.
La Nature est parties sans un tout.
Voilà peut-être le mystère en question dont ils parlent."
Alberto Caeiro, Le gardien de troupeaux, extrait du poème XLVII (1925) (traduction de Maria Antónia Câmara Manuel, Michel Chandeigne et Patrick Quillier).

"A l’instar des Achuar, les Makuna catégorisent les humains, les plantes et les animaux comme des « gens » (masa) dont les principaux attributs – la mortalité, la vie sociale et cérémonielle, l’intentionnalité, la connaissance – sont en tout point identiques. Les distinctions internes à cette communauté du vivant reposent sur les caractères particuliers que l’origine mythique, les régimes alimentaires et les modes de reproduction confèrent à chaque classe d’êtres, et non pas sur la plus ou moins grande proximité de ces classes au paradigme d’accomplissement qu’offriraient les Makuna. L’interaction entre les animaux et les humains est également conçue sous la forme d’un rapport d’affinité, quoique légèrement différent du modèle achuar, puisque le chasseur traite son gibier comme une conjointe potentielle et non comme un beau-frère. Les catégorisations ontologiques sont toutefois beaucoup plus plastiques encore que chez les Achuar, en raison de la faculté de métamorphose reconnue à tous : les humains peuvent devenir des animaux, les animaux se convertir en humains, et l’animal d’une espèce peut se transformer en un animal d’une autre espèce. L’emprise taxinomique sur le réel est donc toujours relative et contextuelle, le troc permanent des apparences ne permettant pas d’attribuer des identités stables aux composantes vivantes de l’environnement.
La sociabilité imputée aux non-humains par les Makuna est aussi plus riche et plus complexe que celle que les Achuar leur reconnaissent. Tout comme les Indiens, les animaux vivent en communauté, dans des « longues-maisons » que la tradition situe au cœur de certains rapides ou à l’intérieur de collines précisément localisées ; ils cultivent des jardins de manioc, se déplacent en pirogue et s’adonnent, sous la conduite de leurs chefs, à des rituels tout aussi élaborés que ceux des Makuna. La forme visible des animaux n’est en effet qu’un déguisement. Lorsqu’ils regagnent leurs demeures, c’est pour se dépouiller de leur apparence, revêtir parures de plumes et ornements cérémoniels, et redevenir de manière ostensible les « gens » qu’ils n’avaient pas cessé d’être lorsqu’ils ondoyaient dans les rivières et fourrageaient dans la forêt."
 

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