jeudi 10 avril 2014

Le peintre (5)


Tu as seize ans, Le Peintre, et tu dois bien apprendre un métier. Fils de peintre, tu deviendras peintre. Et ton père de t'emmener à l'atelier pour préparer les couleurs, encoller les panneaux, et nettoyer les pinceaux. Il n'y a pas de débuts modestes, il n'y a que des apprentissages. Fils de, on aurait pu penser que tu jouirais d'une situation privilégiée au sein de l'entreprise paternelle. Mais tu dois bien vite te rendre à l'évidence. Durant quatre ans, tu vas morfler. Ton père, ses apprentis, tes frères même te voient d'un mauvais œil. Ils te feront bouffer de la garance, te jetteront de la poudre d'azurite dans les yeux, te défriseront à l'huile de lin. Et puis aussi, ils t'enfermeront dans la caisse d'une retable à destination du Nord dont tu sortiras, exsangue, après plusieurs jours de cris et de nausées. Et ne mentionnons même pas les savates, coquarts, croche-pieds qui seront ton quotidien de futur maître. Et puis il y a ces soirs où seul, tu termines le nettoyage autour des chevalets. Le soleil passe à travers la fenêtre, te brûle les yeux et toi aussi, malgré tout, tu éprouves de la joie. Et ce leurre de te faire exister, de faire en sorte que l'Histoire soit. Et que je révèle ton calvaire à mon profit. Merci Le Peintre, et prends le bus.

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