En voyage, certains éprouvent la corne de leurs pieds par le tranchant du silex. D'autres encore croisent la route d'animaux étranges et féroces. Et puis il y a ceux qui, tentant de faire des pointes en pantoufles, finissent par trébucher dans une vieille carne de dromadaire. L'aventure sourit souvent à ceux qui n'ont pas d'ambition.
lundi 28 juillet 2014
mercredi 16 juillet 2014
Le peintre (8)
Parce que c'était lui, parce que c'était toi. Le Peintre et Le Médecin. A ces deux-là, on a prêté une relation privilégiée qu'un portrait du second par le premier et un possible voisinage attesteraient. Mais une fois de plus, des éléments épars ne sont-ils pas envisagés comme des preuves ? De cette amitié, je n'ai trouvé aucun témoignage. Mais foin de scepticisme, ajoutons quelques mots aux récits brumeux qui composent l'Histoire et admettons cette historiette. Saigner du pif après les mêmes batailles de rue, marcher de front même si c'est dans la boue, rêver, espérer, et toujours ensemble. Puis les chemins bifurquent, il faut grandir, apprendre un métier, lisser sa mise. L'un reste, continue à tourner en rond dans les mêmes rues, et l'autre s'en va, pour étudier, dans une ville proche, puis en Italie. Avec une malle pleine de livres, une longue cape et un chapeau noir, il pense faire le tour du monde. De ce genre d'expérience, on accumule de la vanité pour une vie entière. Les premiers échanges épistolaires, confiants et diserts, peu à peu s'amenuisent. Les aspirations divergent, les liens se distendent, l'autre n'était pas forcément le même. Les kilomètres et les heures gagneraient-ils toujours ? Les années passent et ils se retrouvent, à nouveau voisins, à nouveau camarades, mais raidis. Pour tenter de garder en vie ce souvenir de réciprocité, Le Peintre fixe les traits du Médecin en Savant, pour la postérité. Malgré ce cadeau, le processus suit son cours. Et l'objet a survécu à l'idée. Capitulation, pourriture en bourbier, l'amitié git, le cul sur la tête.
Et amicorum ? Surtout ne pas répondre.
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mardi 15 juillet 2014
L'usage sonore du monde (27)
Le monde est trop bruyant. Et il fait peur. Mais au final, du bruit et du silence, c'est le second qui gagnera. Et l'éléphant, l'enfant, le lecteur, sera rassuré. C'est peu dire qu'on a beaucoup aimé le très beau Vacarme de Gaëtan Dorémus (Notari, 2014).
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lundi 7 juillet 2014
Les sans-noms (9)
Image de Nanook of the North
« Il est plus
difficile d'honorer la mémoire des sans-noms que celle des gens reconnus. A la
mémoire des sans-noms est dédiée la construction historique. »
Walter Benjamin, 1940
A la manière dont Walter
Benjamin définit le rôle de l'histoire, le cinéma documentaire œuvre depuis ses
origines à « honorer la mémoire des sans-noms », des gens de la
foule, des anonymes, des ignorés, des opprimés. Dès les premières œuvres des
frères Lumière et jusqu'à nos jours, des cinéastes ont en effet travaillé à
mettre sur le devant de la scène tous ces figurants de l'histoire. Ils l'ont
fait en filmant les ouvriers se pressant à la sortie des usines ou revendiquant
leurs droits dans des manifestations, en montrant la vie, parfois rude et
éprouvante, des pêcheurs, des soldats ou des paysans, en s'intéressant aux
malades et aux parias dans les hôpitaux et les prisons ou encore en
transmettant les manières d'être des différents peuples de la terre, qu'ils
soient Esquimaux, Papous, Arméniens, Français...
Si
on observe l'histoire du cinéma documentaire, on constate que cette volonté de
« filmer les sans-noms » est loin d'être périphérique. Elle en est
une des constantes principales, comme le montre peut-être la liste ci-dessous, constituée
de films indispensables. Bien évidemment partielle et partiale, ouverte au
domaine de la fiction, cette sélection pourra être complétée au fur et à mesure
des découvertes, conseils et retours de mémoire. Et pour citer quelques écrits qui ont inspiré la réalisation de cette liste, il y a bien évidemment ceux de Jean-Louis Comolli (Voir et pouvoir, Corps et cadre...), de Georges Didi-Huberman (Peuples exposés, peuples figurants en particulier), de Patrick Leboutte (Ces films qui nous regardent. Une approche du cinéma documentaire), la revue Images documentaires ...
·
Auguste
et Louis Lumière, La sortie de l'usine Lumière à Lyon, 1895
·
Thomas
Reis, Sertões de Mato Grosso, 1913-1914
·
Robert
Flaherty, Nanook of the North, 1922
·
Herbert
Ponting, The Great White Silence,
1924
·
Merian C. Cooper et Ernest B. Shoedsack, Grass :
A Nation Battle for Life, 1925
·
Walter Ruttmann, Berlin, Die
Sinfonie der Großstadt, 1927
·
Sergei M. Eisenstein, Старое и новое «Генеральная линия» (La ligne
générale), 1929
·
Jean
Epstein, Finis terrae, 1929
·
Jean
Grémillon, Gardien de phare, 1929
·
John
Grierson, Drifters, 1929
·
Robert
Siodmak, Menschen am Sonntag, 1930
·
Dziga
Vertov, Enthousiasme ou la Symphonie du Donbass, 1930
·
Jean
Vigo, A propos de Nice,
1930
·
Manoel
de Oliveira, Douro, Faina Fluvial, 1931
·
Luis
Buñuel, Las Hurdes, 1933
·
Henri
Storck, Misère au Borinage, 1933
·
Basil Wright, Song of Ceylon, 1935
·
Joris Ivens, The Spanish Earth, 1937
·
Marcel
Griaule, Pays dogon et Sous les masques noirs, 1938
·
Paul
Strand et Leo Hurwitz, Native Land, 1942
·
John Huston, Let There Be Light, 1945
·
Georges
Rouquier, Farrebique, 1946
·
Maya Deren, Divine
Horsemen. The Living Gods of Haïti, 1947-1981
·
Georges
Franju, La sang des bêtes, 1948
·
Giuseppe
De Santis, Riso amaro, 1949
·
Roberto
Rossellini, Stromboli, 1949
·
Jonas Mekas, Lost, Lost, Lost, 1949-1976
·
Morris Engel, The Little Fugitive, 1953
·
Vittorio
De Seta, Le monde perdu (divers
films), 1954-1959
·
Alain
Resnais, Nuit et brouillard, 1955
·
Jean
Rouch, Les maîtres fous, 1955
·
Lionel Rogosin, On the Bowery, 1957
·
Michel
Brault et Gilles Groulx, Les Raquetteurs, 1958
·
Karel Reisz, We are the Lambeth Boys, 1959
·
Margot
Benacerraf, Araya, 1959
·
Richard
Leacock, Primary, 1960
·
Paul
Meyer, Déjà s'envole la fleur maigre, 1960
·
Jean
Rouch et Edgar Morin, Chronique d'un été, 1960
·
Maurice
Pialat, L'amour existe, 1961
·
Luc
de Heusch, Les amis du plaisir, 1961
·
Mario
Ruspoli, Les inconnus de la terre, 1961 et Regards sur la folie, 1962
·
Pier
Paolo Pasolini, La rabbia, 1963
·
Pierre
Perrault, Pour la suite du monde, 1963
·
Chris
Marker et Pierre Lhomme, Le joli mai,
1963
·
Fernand
Deligny, Le moindre geste, 1963-1971
·
Pier
Paolo Pasolini, Il Vangelo secondo Matteo, 1964
·
Louis
Malle, L'Inde fantôme, 1968
·
Fernando
Solanas, La hora de los hornos,
1968
·
Albert
Maysles, Salesman, 1969
·
Marcel
Ophuls, Le chagrin et la pitié, 1969
·
Groupes
Medvedkine, A bientôt, j'espère, 1970
·
Ken
Loach, Kes, 1970
·
Eliane
de Latour, Comptes et décomptes de la
cour, 1970
·
Jean
Eustache, Numéro zéro, 1971
· Shohei
Immamura, Mikikanhei O Otte (En suivant
ces soldats qui ne sont pas revenus), 1971-1973
·
Artavazd Pelechian, Tarva Yeghanaknère, Vremena
goda (Les saisons), 1972
·
Yann
Le Masson, Kashima Paradise, 1973
·
Jean-Daniel
Pollet, L'ordre, 1973
·
Robert
Kramer, Milestones, 1975
·
Agnès
Varda, Daguerréotypes, 1975
·
Hailé Gérima, Mirt Sost Shi Amit (La moisson de
3000 ans), 1976
·
António
Reis et Margarida Cordeiro, Trás-os-Montes,
1976
·
Jean-Michel
Carré, Alertez les bébés, 1978
·
Ermanno Olmi, L'albero degli zoccoli, 1978
·
Georges
Perec, Récits d'Ellis Island, 1978-1980
·
Luc
Dardenne, Lorsque le bateau de Léon M. Descendit la Meuse..., 1979
·
Raymond
Depardon, San Clemente, 1981
·
David
MacDougall et Judith MacDougall, A Wife
Among Wives, 1981
·
Bob Connolly et Robin Anderson, First Contact,
1983
·
Frederick
Wiseman, The Store, 1983
·
Claude
Lanzmannn, Shoah, 1985
·
Jean
Gaumy, La boucane, 1986
·
Eric
Pauwels, Rites de possession en Asie du Sud-Est, 1986
·
Jacqueline
Veuve, Les métiers du bois, 1987-1992
·
Abbas
Kiarostami, Close-up, 1990
·
Alain
Cavalier, Portraits, n° 1 et 2, 1991-1992
·
Dominique
Cabrera, Chronique d'une banlieue ordinaire, 1992
·
Claire
Simon, Récréations, 1992
·
Chantal
Akerman, D'est, 1993
·
Jean-Louis
Comolli, La vraie vie (dans les bureaux), 1993
·
Ian
Dunlop, Conversations with Dundiwuy
Wanambi, 1995
·
Mohsen
Makhmalbaf, Salam cinema, 1995
·
Nicolas
Philibert, La moindre des choses, 1996
·
Johan van der Keuken, Amsterdam Global Village,
1996
·
Pedro Costa, No
Quarto da Vanda, 2000
·
Sergei
Loznitsa, Полустанок (L'attente),
2000
·
Iossif
Pasternak et Hélène Chatelain, Goulag,
2000.
·
José
Luis Guerín, En construcción,
2000-2001
·
Naomi Kawase,
きゃからばあ (Dans le silence du
monde), 2001
·
Stéphane
Breton, Eux et moi, 2001
·
Raymond
Depardon, Profils paysans, 2001-2008
·
Rithy
Panh, S 21, la machine de mort khmère rouge, 2002
·
David
Simon et Ed Burns, The Wire (Sur écoute),
2002-2008.
·
Wang
Bing, 铁西区 (A l'ouest des rails), 2003
·
Denis
Gheerbrant, La république Marseille, 2006-2007
·
Jia
Zhangke, 三峡好人 (Still Life), 2006
·
Emmanuelle
Demoris, Mafrouza, 2007-2010
·
Brillante
Mendoza, Serbis, 2008
·
Miguel
Gomes, Aquele Querido Mês de Agosto,
2008
·
Wang
Bing, 无名者 (L’homme sans nom), 2009
·
Antoine
Boutet, Le plein pays, 2009
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Bill Morrison, The Miner's Hymn, 2011
. Peter
Snowdon, The Uprising, 2013
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les sans-noms,
liste,
Walter Benjamin
samedi 5 juillet 2014
Les sans-noms (8)
"La population des rêves s'affaiblit.
L'origine s'oublie
1872. Dans la grande vision où Élan-Noir trouve son nom il y a le grand-père de l'Ouest, le grand-père du Nord, le grand-père de l'Est, le grand-père du Sud, le grand-père du Ciel, le grand-père de la Terre, douze chevaux noirs, avec des colliers de sabots de bison, douze chevaux blancs entourés d'une troupe d'oies sauvages, douze chevaux alezans, avec des colliers de dents d'élan, douze chevaux fauves, un aigle tacheté, une coupe d'eau, un arc, une baguette fleurie, une pipe sacrée ou calumet, etc.
1919. Dans la vision où Cerf-Boiteux trouve son nom il n'y a plus qu'un arrière-grand-père : le sien. Après quatre jours et quatre nuits passés seul sur la colline, sans eau, sans nourriture, dans la fosse de voyance, il entend certes la voix du peuple des Oiseaux mais il ne voit rien... jusqu'à ce que, dans le brouillard tourbillonnant, une forme se dresse devant lui :
"Je reconnus mon arrière-grand-père, Tahca Ushte, Cerf-Boiteux le vieux chef des Minniconjous. Je pouvais voir le sang s'écouler de sa poitrine, là où un soldat blanc l'avait tué. Je compris que mon arrière-grand-père souhaitait que je prenne son nom. J'en conçus une joie indicible."
1950. Un Indien mexicain :
"Mon nom est Juan Pérez Jolote, parce que ma mère accoucha le jour de la Saint-Jean, patron du village. Pérez Dindon, parce que c'était le nom de mon père. Je ne sais pas comment nos vieux ont fait pour nous donner des noms d'animaux."
1977. Au Canada, un chauffeur de taxi charge, entre Edmonton et Calgary (Alberta) :
Silas Peau-d'Hermine
Franck Piquet-de-Clôture
Rufus Casseur-d'Etalons
Rufus-tire-dans-l'étui
Charlie Couverture
Sadie-n'a-qu'une-blessure
Winnie-l'Oursonne
Ruth-la-Bisonne
Joe-le-Bison
Chef Tom Œil-de-Corbeau
Robert-Louis-Sandra-Coyote
Wilbur Genoux-Jaunes
Suzie Robe-de-Veau
Tom-le-Poney
Fred-la-Bouteille
Hobart-le-Tonnerre
Sam-qu'est-debout-à-la-porte"
Extrait de Partition rouge. Poèmes et chants des Indiens d'Amérique du nord (Introduction, choix et traduction de Florence Delay et Jacques Roubaud), Seuil, 1988.
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mardi 1 juillet 2014
Des milliards de pères (10)
J'ai des milliards de pères.
Lui m'apprend à m'éloigner de moi-même, avec des émotions qui sont autant de déluges de soleils.
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