Ce dimanche 10 mai 2015
auront lieu au Cercle du Laveu deux séances de projection
exceptionnelles de poèmes ethnographiques avec les Indiens
Tarahumaras du Mexique, filmés durant près de trente ans par Raymonde
Carasco et Régis Hébraud.
Projection unique de
quatre films inédits, en présence de Régis Hébraud.
« On dit que
Tarahumara veut dire « le peuple qui marche », « le
pied qui court ». Mensonges. Pour nous, Tarahumara veut
simplement dire : « les hommes » ».
Paroles de l'Indien
Tarahumara Erasmo.
« C'est comme le
squelette du devant qui revient, m'ont dit les Tarahumaras, du RITE
SOMBRE, LA NUIT QUI MARCHE SUR LA NUIT. »
Antonin Artaud, Le
Rite du Peyotl chez les Tarahumaras, 1948.
C'est ainsi que
« l'éternel envoûté »
Antonin Artaud achève un de ses derniers textes consacrés aux rites
et croyances des Indiens Tarahumaras du Mexique, peu avant de mourir,
en 1948. En 1936 déjà, il se rend au Mexique afin « de
retrouver et ressusciter les vestiges de l'ancienne culture
solaire ». D'après la légende, il part à cheval dans la
montagne à la rencontre des Tarahumaras et s'y fait initier aux
mystères du Ciguri, c'est-à-dire du Peyotl. Il en ramènera des
mots, des visions qui le bouleverseront à jamais. Il écrit
d'ailleurs peu après les Nouvelles
révélations de l'être avant de se faire interner durant
de nombreuses années.
Autre temps, autres
lieux. A la fin des années 1970, Raymonde Carasco (1939-2009), alors
chercheuse en philosophie et cinéma à l'Université de Toulouse,
décide de se rendre au Mexique, sur les lieux qui ont tant marqué
ses idoles Serguei Eisenstein et Antonin Artaud. Et là, c'est le
choc de la rencontre : le « bleu du ciel », la
« terrible montagne », et au sein de ce paysage, et
inséparable de celui-ci, les Tarahumaras, « les hommes ».
Durant une trentaine
d'années, Raymonde Carasco se rend en compagnie de son mari Régis
Hébraud sur ces terres sèches et immémoriales. Elle y tisse des
liens avec les Indiens, s'initie au Peyotl et aux mystères des
derniers chamans, qui finiront par la reconnaître comme une des
leurs. Avec des moyens financiers et logistiques dérisoires, elle y
filme les rituels, les paysages, les hommes et les femmes, composant
une vaste fresque documentaire, sensuelle et lyrique. Et alors que le
chant du Tutuguri et la râpe du Ciguri laissent peu à peu place au
silence, ces images resteront, ultimes témoignages d'autres
réalités, d'autres manières de « voir ». Jean Rouch,
réalisateur et inventeur de la ciné-transe, séduit, prêtera sa
voix au commentaire de deux de ces films (La danse du Peyotl
et Le dernier Chaman).
Diverses rétrospectives
ont reconnu cette œuvre unique, en 2014, au festival Cinéma du Réel
à Paris et au festival L'âge d'or à Bruxelles, en 2015, au
Ficunam à Mexico et au center of Contemporary Culture of
Barcelona....
Régis Hébraud, époux
de Raymonde Carasco, mais aussi compagnon de voyage, monteur,
opérateur et preneur de son de tous ces films sera présent
pour introduire les séances
et prendre part à une discussion.
"L'Ombra della serra (L'ombre du soir)", statuette étrusque, 3e siècle BC, Volterra, Musée Guarnacci.
Alberto Giacometti, Grande femme VI, 1960-1961, Fondation Alberto et Annette Giacometti.
"Les historiens de l'art et de la littérature savent qu'il y a entre l'archaïque et le moderne un rendez-vous secret, non seulement parce que les formes les plus archaïques semblent exercer sur le présent une fascination particulière, mais surtout parce que la clé du moderne est cachée dans l'immémorial et le préhistorique. C'est ainsi que le monde antique se retourne, à la fin, pour se retrouver, vers ses débuts ; l'avant-garde, qui s'est égarée dans le temps, recherche le primitif et l'archaïque. C'est en ce sens que l'on peut dire que la voie d'accès au présent a nécessairement la forme d'une archéologie. Celle-ci ne nous fait pas remonter à un passé éloigné, mais à ce que nous ne pouvons en aucun cas vivre dans le présent."
Giorgio Agamben, Qu'est-ce que le contemporain ?, Paris, 2008.
On pense aux arts plastiques, à la littérature bien sûr, mais aussi à la musique, à Moondog, au Velvet Underground, à Benjamin Britten, à Albert Ayler, à Leoš Janáček, à Matana Roberts, à Arlt, au label La Nòvia, sans compter quantité d'autres, tous conviés à ce "rendez-vous secret"...
Il
y a ceux qui thésaurisent et il y a ceux qui partagent. Parmi les
seconds figure en bonne place le tenancier du blog globe
glauber, lieu d'exception où j'ai eu pendant longtemps
l'impression de découvrir les musiques et cinémas les plus
excitants qui soient. Ce blog-corne d'abondance était tenu par une
personne qui n'en était pas à son coup d'essai en matière de
transmission : Philippe Delvosalle. Chroniqueur et passeur de témoins
au désormais Point Culture,
mais aussi au sein de l'émission MU (Radio Campus), ce dernier avait
déjà œuvré à la Cinémathèque,
à la Ferme du Biéreau,
créé le label Ubik et le fanzine Bardaf! et contribué à la
programmation du Ptit
Faystival, de Filmer à tout
prix et de l'indispensable Âge
d'or... Ouf, n'en jetons plus !
Il
y a bientôt deux ans et demi, sans crier gare, Philippe a lancé un
nouveau label, Okraïna records,
avec un
disque, indispensable à plus d'un titre, d'Eloïse Decazes (Arlt...) et
Eric Chenaux (Constellation Records...). Le choix des artistes édités depuis ce premier essai, le soin porté aux
disques et les projets du label m'ont donné envie d'en savoir plus. Un tout grand merci à Philippe pour les mots qui suivent, pour les sons et les images, passés et à venir !
Pour trouver les disques Okraïna, ça se passe ici. Pour les projets 2015, c'est là.
Pour les dates des prochains concerts de Rev Galen, c'est un peu plus loin là.
Et pour suivre presque au quotidien l'actualité des artistes "Okraïna", on clique sur la page fcbk du label.
Okraïna est le nom
d'un film russe réalisé en 1933 par Boris Barnet. Pourrais-tu
m'expliquer les raisons du choix de cette filiation ?
En
fait, le label aurait pu – ou aurait dû – s’appeler L'amour existe,
du nom d’un autre film. Un court métrage documentaire, à la fois
poétique, très touchant et très visionnaire, du jeune Maurice
Pialat sur la banlieue parisienne et qui est pour moi un des plus
beaux films du monde. L’idée était de sortir un double vinyle
(30cm dans ce cas là, ça aurait été la seule exception dans les
sorties de ce label) avec toute la bande-son du film sur une face (la
musique de Georges Delerue, le texte de Pialat lu par Jean-Loup
Reynhold) et des reprises-hommages-relectures sur les trois autres
faces… J’ai fait l’erreur d’écrire à la veuve du cinéaste,
la productrice de L’Inconnu
du lac, Timbuktu,
etc. Je n’ai jamais eu de réponse à mes différents courriers.
J’aurais bien sûr dû demander l’autorisation pour reprendre la
bande-son du film sur disque mais je n’aurais pas dû écrire pour
demander l’autorisation d’utiliser le titre du film comme nom de
label. J’aurais dû le faire de manière plus sauvage. C’était
clairement un hommage, positif… Mais, bon…
Mais en tout cas, c’est
clair que depuis plus de vingt ans la musique et le cinéma sont les
deux sources d’énergies qui me font avancer. Du coup, après la
« déconvenue Pialat », j’ai vite cherché du côté
d’un autre cinéaste que j’aime beaucoup qui est Boris Barnet.
C’est un cinéaste autodidacte, ancien boxeur, qui a fait tous ses
films dans le cadre du cinéma soviétique mais en jouant avec les
limites du film de propagande. Comment faire une œuvre personnelle,
comment injecter de vrais personnages humains et non juste des
archétypes, comment infuser de l’humour, etc. dans des films qui
devaient obtenir l’aval de l’administration stalinienne et de ses
services de censure… Strictement au niveau du film, je crois
qu’aujourd’hui je préfère Au bord de la mer bleue (1936)
à Okraïna (1933 – que j’aime vraiment bien, mais avec
des moments plus forts et d’autres plus faibles) mais je suis un
cinéphile bruxellois des années 1990 et à l’époque, ici,
c’étaient plutôt les muets de Barnet (La Jeune fille au carton
à chapeau, La Maison de la rue Troubnaïa, le sérial
Miss Mend, etc. ) et Okraïna qui passaient souvent. À Paris,
c’était plutôt Au bord de la mer bleue. Nicole Brenez a écrit un
très très beau texte sur le film et sur Barnet (cf. vidéo
ci-dessous), sur son « éthologie » : selon elle,
« l’euphorie d’avoir un corps ». Mais, pour revenir
au label (!), Au bord de la mer bleue, c’était un peu long
comme nom. Donc…
Si j'en connais quelques
éléments épars, j'aimerais lire les différentes étapes de la
préhistoire d'Okraïna. Par ailleurs, qu'est-ce qui t'a conduit au
choix du format particulier de tous ces disques ?
Si on repart de la
préhistoire de la préhistoire d’Okraïna, de son ère
pré-cambrienne, j’avais un autre label, Ubik, à la fin des années
1990 (de 1994 à 2000-2001, je crois). Une époque d’avant
Internet ; une époque de cassettes, de catalogues papiers, de
timbres postes et de billets de banque cachés dans les enveloppes.
Ubik était un label très lié à la scène lo-fi internationale
avec des sorties de disques de Folk Implosion (Lou Barlow + John
Davis), de Jad Fair et David Fair (de Half Japanese), de Wio, etc.
J’avais lancé ce label parce que j’étais très fan de la
musique en chambre du Bruxellois Dodes’ka-den (Phil Vandresse, par
ailleurs chanteur de l’excellent groupe (post-) punk Typhus). Il
avait enregistré plus de 100 morceaux dans son grenier dont
plusieurs dizaines étaient assez stupéfiants. Je les faisais
écouter aux responsables de plusieurs labels existants, la plupart
trouvaient ça très bien mais personne ne faisait le pas pour les
sortir (quelques années plus tard, Dominique A. a publié un 45t de
Dodes’ka-den sur son label de 45t Bilbo Product). Du coup, en ayant
l’opportunité de sortir aussi le disque avec Lou Barlow, j’ai
lancé Ubik pour sortir la musique de Phil Vandresse. Récemment,
j’ai réécouté son album Underwhere Everywear (1997) et
j’étais à nouveau soufflé par l’originalité et la qualité de
ses chansons et très fier de l’avoir sorti. Un autre disque Ubik
dont je suis extrêmement fan mais dont je regrette qu’il soit à
ce point méconnu (alors que pour moi il pourrait devenir culte, être
réédité, voir certains de ses morceaux repris sur des
compilations) est le Bol d’or e.p. des Sick Ducks (ubik 003
en 1994), enregistré par trois jeunes banlieusards des Yvelines (je
pense) dans le salon de leurs parents, quelque part entre les Zip
Code Rapists et Stereolab (en version moins contrôlée, plus dans le
dérapage)… Quoi qu’il en soit, malgré ces motifs de
satisfaction, vers 2000-2001 j’ai décidé de mettre Ubik en
veilleuse. D’une part parce que j’avais d’autres activités
(peu de temps après, je me suis retrouvé à habiter et à
programmer cinéclub et concerts à la Ferme du Biéreau à
Louvain-la-Neuve – okraïna #2 en rend (très) partiellement
compte) mais aussi, d’autre part, parce que j’avais le sentiment
que la promo, la vente, l’écoulement des disques n’était
vraiment pas mon point fort, que ce n’était « pas mon
truc »…
Pendant une petite dizaine
d’années, cela ne m’a vraiment pas manqué de ne pas sortir de
disques. Mais j’ai continué à beaucoup en acheter (surtout aux
concerts que j’organisais ou que j’allais écouter). Puis, en
2008, à Bruxelles, Catherine Plenevaux a lancé le label de 45t Lexi
Disques et ça a été un des éléments pour raviver plus clairement
une sorte d’envie… C’est une belle histoire parce que Catherine
raconte qu’une des sources d’inspirations pour Lexi Disques…
c’étaient les 45t Ubik ! Ubik a donc partiellement contribué
à faire naître Lexi qui a contribué à faire naître Ubik 2.0
c'est-à-dire Okraïna !
Par rapport au format, il y
a deux sous-questions dans la question : « Pourquoi en
vinyle ? » et « Pourquoi des vinyles 25cm (ten
inches) ? » Pour Okraïna, je sors des disques que
j’aimerais acheter si quelqu’un d’autre les publiait et dans
tout ce contexte de dématérialisation de la musique, je trouve que
si on fait le choix de continuer à diffuser de la musique sur un
support, à jouer la carte de l’objet, il faut que cet objet soit
un « vrai objet », un bel objet… Par rapport au format
25cm je pourrais essayer de répondre avec des arguments plus ou
moins rationnels (la taille intermédiaire entre le 30cm et le 17cm,
la manière dont on le tient en mains, ce que cela veut dire en terme
de durées, etc.) ou avec des éléments plus émotionnels (le 25cm
comme format-clé des disques 78t ou des exemples marquants de The
Ex, Huggy Bear, Thinking Fellers Union Local 282, Maher Shalal Hash
Baz, Daniel Johnston, Richard Youngs ou du BBC Radiophonic Workshop
sortis sur ce format)… Mais… Il ne faut pas trop tourner autour
du pot, il y a quand même une bonne dose de fétichisme là-dedans !
Le nom du label est
directement lié à un film donc, mais ce n'est pas le seul lien
qu'il partage avec le monde des images. Le label est en effet
caractérisé par une identité visuelle forte : chaque disque
est « décoré » par l'artiste Gwénola Carrère.
Pourrais-tu évoquer cet aspect du label et introduire le
travail de l'illustratrice ?
J’aurais
envie de dire : le cinéma c’est plus que des images, c’est
aussi entre autres du son et du temps. Les disques Okraïna, c’est
aussi du son (de la musique) et des images (généralement deux :
le recto et le verso). Et du temps. Ce qui m’intéresse dans la
manière de travailler de Gwénola Carrère – avec qui on avait
fait une série d'affiches de concertsen sérigraphie pour la Ferme du Biéreau vers 2007 – c’est
comment elle se confronte à la musique qu’elle est censée
« illustrer ». Le temps qu’elle passe, les dizaines
d’écoutes pour qu’une idée apparaisse puis s’affine…
L’idée de départ de ce
qui allait devenir Okraïna, avant même que le label existe, était
d’avoir deux constantes (le format 25cm et les pochettes de Gwénola
Carrère) et qu’à partir de ces deux points d’ancrages « tout »
était possible…
Si les parutions du label
sont variées dans leur style, je ressens tout de même une « ligne
éditoriale » forte, cohérente. J'ai parfois l'impression
qu'Okraïna suit un chemin similaire au label ESP-Disk. Il y a les
disques d'Ed Askew, d'Ed Sanders des Fugs, la chanson et l'esprit de
Black is the Colour... d’Éloïse Decazes et Delphine
Dora... Je serais heureux de te lire à ce propos !
En tout cas, rien n’était
prémédité. Au moment de sortir okraïna #1 (Éloïse Decazes et
Eric Chenaux), il y avait juste le projet du #2 (la compilation
d’enregistrements live de concerts acoustiques à la Ferme du
Biéreau). Mais je n’avais aucune idée du #3. C’est un peu comme
si je tirais sur le fil d’un tricot fait de laines multiples et à
travers le trou d’une serrure : je tire, il y a du fil qui
vient, noué à un autre fil, etc. mais je ne sais pas vraiment, plus
de 3-4 « coups » à l’avance où je vais, où cela va
me mener… Bien sûr, il y a des choix, c’est aussi lié à mes
goûts… Mais si on m’avait dit en 2011 que j’allais sortir des
disques d’Éloïse Decazes, d’Ignatz, d’Ed Askew ou d’Ed
Sanders, j’aurais traité mon interlocuteur de fou et je n’y
aurais pas cru.
Ce n’est qu’après que
je remarque certaines choses, certaines lignes qui apparaissent. Oui,
il y a deux Ed américains, septuagénaires et ayant sorti des
disques sur ESP à la fin des années 1960. Et « Black is the
Color of My True Love’s Hair » par Éloïse Decazes et
Delphine Dora (okraïna #6) qui te fait penser à Patty Waters…
aussi sur ESP. Mais c’est une chanson traditionnelle dont il existe
des dizaines de versions (de Nina Simone à Nurse With Wound, en
passant par Davy Graham et Espers) et Delphine et Éloïse la
reprennent plus via la filiation John Jacob Niles / Luciano Berio /
Cathy Berberian que via Patty Waters…
Un
autre élément que j’ai remarqué il y a quelque temps, c’est le
nombre de duos : Decazes / Chenaux, Decazes / Dora, Ignatz /
Harris Newman, Ed Askew / Steve Gunn, Ed Askew / Joshua Burkett,
Senyawa (Rully
Shabara / Wukir Suryadi), Rev Galen (Catherine Hershey / Gilles
Poizat) ! Sinon, Alex Neilson (entre autre le batteur de Richard
Youngs) avait remarqué dans sa chronique de Okraïna #3 dans le Wire
que « Okraïna forge[ait] des connexions ‘avant folk’ entre
l’ancien et le nouveau monde ». Je ne me l’étais jamais
dit en ces termes avant de le lire. Et par rapport à ça, je suis
très content de sortir le disque du groupe indonésien Senyawa qui
va tirer ce côté folk à la fois vers un autre continent et vers un
autre type d’énergie, plus électrique, plus rock.
Mais sinon, tout ça est
aussi affaire de rencontres (et donc, oui, de connexions). La
rencontre avec Éloïse et Sing Sing de Arlt a été très
importante. Je visite quotidiennement leur page Facebook qui est pour
moi une fameuse source de (re-) découvertes musicales. C’est via
eux que je suis rentré en contact avec Eric Chenaux, avec Harris
Newman, avec Catherine et Gilles de Rev Galen, que j’ai découvert
le projet Sourdure d’Ernest Bergez dont je sortirai très
probablement un disque en 2016, etc. Ed Sanders, je le connaissais
via les Fugs depuis un article d’Emmanuel Levaufre sur ESP dans mon
fanzine papier des années 1990 Bardaf ! mais j’ai
découvert ses projets solos et son synthétiseur à doigts (Pulse
Lyre) via l’incroyable morceau « Matisse » que
David Mennessier – avec qui je fais de la radio tous les dimanches
soirs sur radio Campus à Bruxelles – m’a fait écouter en 2012.
C’est
comme ça que, par rebonds, j’ai découvert sa cassette Yiddish
Speaking Socialits of the Lower East Side.
C’est un autre élément qui apparaît après coup : presque
toutes mes sorties sont des rééditions de musiques qui ont eu
jusque là une existence plus confidentielle : des CD-R à 50
exemplaires, une cassette devenue culte, des sessions radio
uniquement disponibles sur le Net, des enregistrements live inédits…
Cela fait en tout cas une différence avec ESP : on n’est pas
dans « The
artists
alone decidewhat
you will hear on theirESP-Disk»
mais
plutôt dans « The
artists
and the label manager decidetogether
what you will hear on theirOkraïna
record»
!
Il y a eu le disque d'Eric
Chenaux et d’Éloïse Decazes. Il y aura bientôt celui de cette
dernière avec Delphine Dora, mais aussi le disque de Rev Galen et
d'autres projets. On pourrait donc dire que le label accompagne ce
qui se passe en France depuis quelques années avec des groupes comme
Arlt et des labels comme La Nòvia ou La Souterraine. Tu peux
m'écrire quelques mots à ce sujet ?
C’est clair qu’il se
passe des choses intéressantes aujourd’hui en France. Mais pour
moi ce n’est pas vraiment nouveau. Même si cela ne s’entend
peut-être pas dans les sorties Okraïna, j’ai cru très
sincèrement que le label bordelais des Potagers natures était le
meilleur label du monde dans les années 2005-2010. Les accents de la
musique passionnante produite en France se sont peut être légèrement
déplacés vers des musiques un peu plus folk ou une peu plus
« chanson » mais ce sont des mondes perméables et
complémentaires. Des gens comme Thomas Bonvalet ou Yann Gourdon
font d’ailleurs la jonction. Récemment, j’ai acheté d’un coup
tous les CD de La Nòvia que je n’avais pas encore. C’est un
excellent label. Je rêve d’une double affiche La Nòvia / Okraïna,
ça pourrait très bien fonctionner. Il y a aussi Sourdure qui est
très proche – à la fois musicalement et amicalement – de leurs
manières d’appréhender ces patrimoines anciens comme quelque
chose de vivant, de vibrant, de contemporain et de non-muséifié.
Par rapport à La Souterraine, il y a leur choix de se focaliser sur
la langue française ce qui n’est pas (du tout) un pré-requis chez
Okraïna. Il y a « Rossignolet du bois » et les deux
morceaux occitans des Folk Songs de Berio par Decazes / Dora…
mais sinon, pour avoir des chansons en français, il faudrait aller
chercher du côté de « Je crois que je ne t’aime pas »
ou de « Parsec finitude » des Sick Ducks sur Ubik…
Peux-tu nous présenter en
quelques mots les prochaines parutions d'Okraïna ?
Une série de… simples
25cm (après quatre doubles). Après Yiddish Speaking Socialists
of the Lower East Side, morceau quasi spoken word de 17
minutes de Ed Sanders (okraïna #5) et les reprises des Folk Songs
« de » Luciano Berio par Éloïse Decazes et Delphine
Dora, il y aura la bande-son (chansons ET intermèdes en mode field
recording) du court métrage Calling the New Gods dans
lequel Vincent Moon filme Senyawa in situ à Yogyarkarta.
Puis, il y aura Rev Galen,
projet de Catherine Hershey et Gilles Poizat qui ont mis en musique
(deux voix, guitare, trompette) les poèmes du grand-père de
Catherine, révérend de son état. De très, très belles chansons
touchant à la quintessence de ce qu’est pour moi la pop : une
musique accessible, abordable, touchante… mais qui ne s’interdit
en rien recherches, singularités, audaces et surprises ! Comme
une sorte de transmutation alchimique !