mercredi 24 février 2010

Le plaisir


Image du film Sátántangó de Béla Tarr (1994).
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"- Pouvez-vous développer l'allusion à Titanic que vous faites à la fin de votre texte sur La Ligne générale ? C'est le seul endroit de votre livre où vous utilisez le mot "plaisir".
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- La Ligne générale veut être la pure constitution d'une chaîne d'affects à partir d'une idée. C'est une utopie originaire du cinéma : les histoires sont finies, les affects traditionnels sont finis, désormais l'idée mise en image a une puissance propre et on peut dire adieu aux classiques histoires d'amour et de mort. Cameron a tous les moyens techniques de réaliser ce rêve d'Eisenstein, de passer par-dessus le naturalisme pour mettre directement l'idée sous des formes plastiques. Mais il utilise cette gigantesque logistique pour faire le contraire, pour renforcer la puissance pathétique de l'histoire d'amour d'une jeune fille riche pour un jeune homme pauvre.
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Le plaisir nomme la différence de potentiel dans un jeu d'affects. Dans le régime représentatif, ce terme dit que l'affect privilégié par l'auteur est le bon, il renvoie à une harmonie entre ce qui est fait par l'artiste et ce qui est attendu et éprouvé par un spectateur-type. Le régime esthétique substitue à cela des coupures, des suspensions, des déplacements, qui ne peuvent plus se résumer dans une notion unitaire. Le discours selon lequel l'art contemporain ne crée pas de plaisir est tautologique. Il demande à un régime sensible de se référer aux normes d'un autre.
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J'évite le terme de plaisir parce qu'il devient un drapeau nostalgique, qui renvoie à un temps mythique où l'art faisait plaisir. Il existe une infinité d'affects qui créent des dénivellations, des différences de potentiel. Ils doivent être étudiés pour eux-mêmes, sans être référés à cette idée du plaisir. J'ai vu récemment les sept heures et demie du Sátántangó de Béla Tarr. J'ai été fortement commotionné, mais prétendre que j'ai éprouvé du plaisir n'est pas la manière correcte de le dire. L'affect produit ne ressort pas d'une logique de l'attente comblée. On pourrait même parler d'attente déçue."
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Extrait de l'interview de Jacques Rancière Le cinéma, art contrarié, entretien réalisé par Stéphane Bouquet et Jean-Marc Lalanne, publié dans Les Cahiers du cinéma, n°567, avril 2002, pp. 57-6 et réédité dans le passionnant volume d'entretiens avec le philosophe Et tant pis pour les gens fatigués (Editions Amsterdam, 2009), p. 287.
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