vendredi 10 mai 2013

Mnémotourisme (18) : La mort cessera d'être absolue


La négation de la mort apparaît comme une thématique fréquente lorsqu'il s'agit de rendre compte de l'invention du cinématographe à la fin du 19e siècle. Ci-dessous par exemple, un texte anonyme paru dans La poste du 30 décembre 1895 (édité récemment dans la très belle anthologie Le cinéma : naissance d'un art 1895-1920 de Daniel Banda et José Moure, Champs arts, 2008).
Et ci-dessus, Le repas de bébé de Louis Lumière, film dont il est question dans l'article. Par rapport à la conclusion de ce dernier, il ne paraît pas inutile de préciser qu'Andrée, la fille d'Auguste Lumière et sa femme Marguerite, mourra plus tard, en 1918, de la grippe espagnole.
Alors, absolue ?

On voit Andrée dans d'autres films des frères Lumière comme La Pêche aux poissons rouges.

"MM. Lumière, père et fils, de Lyon avaient hier soir convié la Presse à l'inauguration d'un spectacle vraiment étrange et nouveau, dont la primeur a été réservée au public parisien.
Ils ont installé leur ingénieux appareil dans l'élégant sous-sol du Grand Café, boulevard des Capucines.
Figurez-vous un écran, placé au fond d'une salle aussi grande qu'on peut l'imaginer. Cet écran est visible à une foule. Sur l'écran apparaît une projection photographique. Jusqu'ici rien de nouveau. Mais tout à coup l'image de grandeur naturelle ou réduite suivant la dimension de la scène, s'anime et devient vivante.
C'est une porte d'atelier qui s'ouvre et laisse échapper un flot d'ouvriers et d'ouvrières avec des bicyclettes, des chiens qui courent, des voitures ; tout cela s'agite et grouille. C'est la vie même, c'est le mouvement pris sur le vif. 
Ou bien c'est une table intime, une famille réunie autour d'une table. Bébé laisse échapper de ses lèvres la bouillie que lui administre le père, tandis que la mère sourit. Dans le lointain, les arbres s'agitent ; on voit le coup de vent qui soulève la collerettte de l'enfant.
Voici la vaste Méditerranée. Elle est encore immobile, comme dans un tableau. Un jeune homme, debout sur une poutre, s'apprête à s'élancer dans les flots. Vous admirez ce gracieux paysage. A un signal, les vagues s'avancent en écumant, le baigneur pique une tête, il est suivi par d'autres qui courent plonger dans la mer. L'eau jaillit de leur chute, le flot se brise sur leur tête ; ils sont renversés par le brisant, ils glissent sur les rochers.
La photographie a cessé de fixer l'immobilité. Elle perpétue l'image du mouvement.
La beauté de l'invention réside dans la nouveauté et l'ingéniosité de l'appareil.
Lorsque ces appareils seront livrés au public, lorsque tous pourront photographier les êtres qui leur sont chers non plus dans leur forme immobile mais dans leur mouvement, dans leur action, dans leurs gestes familiers, avec la parole au bout des lèvres, la mort cessera d'être absolue."

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