dimanche 8 février 2009

Gaspard de la nuit

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Ondine, mesure 61
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Parmi les œuvres pour piano de Maurice Ravel, une de mes préférées est le Gaspard de la nuit (1908), composé d'après trois poèmes du recueil éponyme d'Aloysius Bertrand (1807-1841). Malgré ses connaissances dans le milieu romantique parisien (Victor Hugo par exemple), cet écrivain que l'on considère comme l'inventeur du poème en prose français connut peu de succès durant sa courte vie. Ce n'est d'ailleurs qu'après sa mort que son ami le sculpteur David d'Angers a tout fait pour publier Gaspard de la nuit, son œuvre maîtresse. Admiré par Baudelaire, puis par les Symbolistes, l'ouvrage de Bertrand a enfin été inclus par André Breton dans son Manifeste en tant que préfigure du surréalisme.
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Sous-titré Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot, le livre est composé d'une suite de courts textes où sont convoqués divers thèmes chers au Romantisme : Moyen-Age, fantastique, sorcellerie... Une langue précieuse et subtile sert à l'évocation de "tableaux" baignant dans un climat onirique et doucement étrange. L'influence de la peinture, affirmée dans le sous-titre, se situe non seulement au niveau des thèmes abordés (les textes font souvent penser aux gravures fantastiques de Goya, à l'imagerie populaire médiévale ou à certaines peintures carnavalesques de maîtres flamands) que dans cette façon de brosser une scène à l'aide de quelques phrases et termes bien choisis. Signe de l'angoisse d'un écrivain tourmenté, la mort intervient régulièrement dans ses pages d'où se dégage une noirceur inquiétante. En voici un exemple :
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Un des dessins de l'auteur accompagnant son manuscrit autographe.

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LE GIBET.

Que vois-je remuer autour de ce gibet?
FAUST.

Ah! ce que j'entends, serait-ce la bise nocturne qui glapit, ou le pendu qui pousse un soupir sur la fourche patibulaire?

Serait-ce quelque grillon qui chante tapi dans la mousse et le lierre stérile dont par pitié se chausse le bois?

Serait-ce quelque mouche en chasse sonnant du cor autour de ces oreilles sourdes à la fanfare des hallalis?

Serait-ce quelque escarbot qui cueille en son vol inégal un cheveu sanglant à son crâne chauve?

Ou bien serait-ce quelque araignée qui brode une demi-aune de mousseline pour cravate à ce col étranglé?

C'est la cloche qui tinte aux murs d'une ville, sous l'horizon, et la carcasse d'un pendu que rougit le soleil couchant.
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D'après l'édition publiée par Gallimard en 1980 dans sa collection Poésie (pp. 241-242).
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Le gibet, avec Ondine et Scarbo, sont les trois textes que Maurice Ravel a choisi de "transcrire" en musique. Leur grande virtuosité ne cache absolument pas une absence de vision, tant l'ambiance crépusculaire est bien évoquée. Les divers effets pianistiques confèrent aux trois plages une tension et un caractère hypnotique qui font de leur écoute une expérience sans nulle autre pareille. Martha Argerich est considérée comme une des grandes interprètes de la partition. En voici un échantillon, avec quelques images un peu désuètes censées traduire le romantisme de l'œuvre...
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