dimanche 7 août 2011

Sur un morceau de poterie, des gouttes de sang

.
.
.
.
.
Le dimanche, on part en voyage avec d'illustres compagnons : Gustave Flaubert et Maxime Du Camp. Lors de leur expédition en Orient en 1849-1851, les deux hommes captent la vie de pays qui sentent encore l'Ailleurs. Ils passent par Malte, l'Egypte, le Liban, la Syrie, la Palestine, Chypre, la Turquie, la Grèce et l'Italie. Une promenade de deux ans ! Maxime Du Camp est accrédité par le ministère de l'Instruction publique afin de documenter les sites archéologiques visités. C'est ainsi qu'il réalise le plus important reportage photographique de son époque. En guise d'exemple, on trouvera ci-dessus quelques-uns des calotypes pris en Egypte. De son côté, Flaubert tient un journal détaillé de ses pérégrinations. Ces notes ont été éditées et comprennent nombre de pépites. Deux extraits ci-dessous :
.
Alors qu'il achève sa visite du site d'Abou Simbel :
"Réflexion : les temples égyptiens m'embêtent profondément. - Est-ce que ça va devenir comme les églises en Bretagne, comme les cascades dans les Pyrénées ? Oh ! la nécessité ! Faire ce qu'il faut faire ; être toujours, selon les circonstances (et quoique la répugnance du moment vous en détourne), comme un jeune homme, comme un voyageur, comme un artiste, comme un fils, comme un citoyen, etc. doit être !"
.
Et ici, à proximité du Caire (et en guise de clin d'œil à Jean Rolin) :
"Des chiens blanchâtres, à tournure de loup, à oreilles pointues, hantent ces puants parages ; ils font des trous dans le sable, nids où ils couchent - carcasses de chameaux, de chevaux et d'ânes ; il y en a qui ont le museau violet de sang caillé, recuit au soleil. Des mères pleines se promènent avec leurs gros ventres ; suivant leur caractère individuel, ils aboient aigrement ou se dérangent pour nous laisser passer. Un chien d'une autre tribu est fort mal accueilli lorsqu'il vient dans une tribu étrangère. Des huppes tigrées et au long bec picorent les vermisseaux entre les côtes de charognes - les côtes du chameau, plates et fortes, ressemblent à des branches de palmier dégarnies de feuilles et courbées. Une caravane de quatorze chameaux passe le long des arcs de l'aqueduc pendant que je suis à guetter des vautours - le grand soleil fait puer les charognes, les chiens roupillent en digérant, ou déchiquettent tranquillement.
Après la chasse aux aigles et aux milans nous avons tiré sur les chiens ; une balle qui tombait près d'eux sur le sable les faisait s'en aller lentement sans courir - nous étions sur un mamelon, eux sur un autre ; tout le vallon compris entre eux et nous était dans l'ombre. Un chien blanc posé au soleil, oreilles droites. Celui que Maxime a blessé à l'épaule s'est tourné en demi-lune, a roulé avec des convulsions par terre, puis s'est en allé... mourir dans son trou, sans doute. A la place où il avait été atteint, nous avons vu une flaque de sang, et une traînée de gouttelettes s'en allait dans la direction de l'abattoir. C'est un enclos, de médiocre grandeur, à trois cents pas de là ; mais il y a cent fois plus de charognes en dehors qu'en dedans, où il n'y a guère que des tripailles et un lac d'immondices. C'est au-delà, entre le mur et la colline qui est derrière, que se voient d'ordinaire le plus de cercles tournoyants d'oiseaux - tout le terrain de ce quartier n'est que monticules de cendre et poteries cassées - sur un morceau de poterie, des gouttes de sang."
.
Ces deux extraits sont issus de l'édition Folio-Gallimard, p. 158 et pp. 111-112.
.
Pour les photos, de haut en bas : Nubie Ibsamboul. Colosse médial, Palais de Karnak. Cour des Buhastites et entrée principale de la salle hypostyle, Nécropole de Thèbes, Grand Temple de Dendérah, Louqsor. Tous ces calotypes sont conservés et ont été numérisés par la BNF.
.

Aucun commentaire: