Niveau concerts, voyager à New York durant la première quinzaine du mois de juin devrait enthousiasmer n'importe quel amateur de jazz moderne. En effet, a lieu annuellement le Vision Festival, probablement une des vitrines les plus prestigieuses d'un free jazz inventif et progressiste, aussi bien américain qu'international. La dernière programmation comprenait, pour ne citer qu'eux : William Parker, Hamid Drake, Henry Grimes, Marshall Allen et son Sun Ra Arkestra, Sunny Murray, Joe McPhee, Matthew Ship, Milford Graves, Peter Brötzmann et Joe Morris. J'arrête là, je crois que la liste parle pour elle-même. L'évènement est d'une double importance puisque de nouvelles oeuvres et des formations y sont créées chaque année. Enfin, de nombreux disques y sont enregistrés, par exemple les excellents Double Sunrise Over Neptune de William Parker (Aum Fidelity, 2008) et 17 Musicians in Search of a Sound: Darfur de Bill Dixon (Aum Fidelity, 2008).
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Pour des raisons d'incompatibilité de calendriers, je n'ai pas pu assister à ce rendez-vous exceptionnel. Une prochaine fois peut-être ? Cependant, tout n'était pas perdu puisque le Rise Up Creative Music and Arts (RUCMA), la plate-forme à la base du festival, organise également des concerts hebdomadaires au Local 269, un bar dans le Lower East Side. Le lundi 29 juin s'y produisaient le Flow Trio de Joe Morris et le Ray Anderson Trio.
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En quelques années, Joe Morris est devenu un des guitaristes les plus fascinants et réputés de la scène free jazz. Son désir d'expérience s'est traduit dernièrement par son passage à la contrebasse (parce qu'il ne trouvait personne qui en jouait comme il le souhaitait !), instrument qu'il alterne désormais avec la guitare. On lui connaît également des expériences ponctuelles et singulières comme sur l'étrange Eloping with the Sun (Riti Records, 2002, label fondé par Morris dès 1981) où il joue du banjo en compagnie du contrebassiste William Parker (ici au guembri, une espèce de luth nord-africain) et du percussionniste Hamid Drake. Autodidacte, le musicien a nourri son jeu d'influences diverses, telles que le free jazz bien sûr, mais aussi la musique traditionnelle d'Afrique de l'Ouest, Olivier Messiaen ou des jazzmen plus "classiques" comme Eric Dolphy et Jimmy Lyons. La liste de ses disques et collaborations est longue. Citons par exemple Andrew Cyrille, Peter Kowald, Joe McPhee ou Ken Vandermark. Il joue de la guitare dans le nouveau quartet de David S. Ware et accompagne désormais le pianiste Matthew Ship à la contrebasse à la place de William Parker.
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Dans le Flow Trio, Joe Morris, ici à la contrebasse, est épaulé par le saxophoniste Louie Belogenis et le batteur Charles Downs (Rashid Bakr). Leur musique, sous l'influence de John Coltrane ou Albert Ayler, condense lyrisme puissant, envolées contrôlées en solo et rythmique grondante et soutenue. La nature des instruments induit une plus grande écoute du saxophone, dont la langage se rapproche le plus de ce qui pourrait être assimilé à une "histoire". Pourtant, les deux autres musiciens sont suffisamment inventifs pour nous rappeler à leur attention. Cette oeuvre libre et passionnée est documentée par deux albums : The Flow, concert enregistré en 2004 (Ayler, 2007), et Rejuvenation (ESP-Disk, 2009).
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Le tromboniste Ray Anderson a quant à lui oeuvré aux côtés d'Anthony Braxton, Charlie Haden ou Roscoe Mitchell. En compagnie du saxophoniste, flutiste et clarinettiste Marty Ehrlich et du batteur Gerald Cleaver, il élabore une musique aux accents plus tribaux. Caractérisée par l'utilisation de rythmes répétitifs et de sons lâchés avec parcimonie et justesse, elle évoque aussi bien les fanfares de New Orleans que les transes de Don Cherry ou de l'Art Ensemble of Chicago. De quoi en tout cas achever une belle soirée de découverte...
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