mercredi 4 juin 2014

Le terril (15)


Les renouées du Japon fouettent les bras au passage. Les grandes herbes cachent les canettes au sol. Bientôt, ce sera l'été au terril. La végétation est d'une telle vigueur à ses accès que seuls quelques obstinés s'aventurent encore sur ses hauteurs. Hier, couché au travers d'un banc de graminées, j'entends une mélodie provenant d'un peu plus bas. Je m'approche et vois un vieil homme, à la peau noire et la barbiche blanche. Assis, il dodeline de la tête en chantant et regarde vers la vallée. Tandis que je m'accroupis à sa droite, je reconnais le morceau : "Un de ces matins, tu te lèveras en chantant. Et tu déploieras tes ailes. Pour t'envoler vers le ciel." C'est Summertime. Il se tourne et me salue. "Je sens qu'ici passent de nombreux fantômes. Ils ont des choses à nous dire, mais j'ai perdu mon instrument et ne peux plus leur parler. Jeune homme, les voyez-vous passer autour de nous ?" Je ne comprends rien et m'apprête à lui proposer gentiment de l'aide pour marcher jusqu'à la rue. Il m’interrompt et continue. "Jeune homme, la vérité est en marche, par le Saint-Esprit. Ils disent qu'on a repêché mon corps, que ce que j'ai chanté et prêché n'était qu'un rêve. Mais je suis là à vos côtés et la musique monte en moi." "Et j'entonnerai mon message universel d'ici", termine-t-il en frappant du pied. Il fixe alors les yeux vers le ciel, et commence à agiter les mains comme s'il jouait d'un saxophone. Et brusquement, il se tourne et part sans me laisser l'occasion de réagir. Avant de disparaître derrière un buisson, il me crie encore "Écoutez les fantômes !"
Probablement n'était-ce qu'un vieux fou, je ne sais pas... Ce matin, curieux, j'ai rejoint le lieu de notre rencontre. En guise d'offrande et comme acte de foi, j'y ai laissé un instrument qui l'aidera peut-être à se faire entendre.
Et je tends l'oreille, plus que jamais.
En avant.

Aucun commentaire: