samedi 14 juin 2014

Monstres








"Nous n'avons pas connu les feux ni les fumées ni les usines, ni la ville saturée de vie et d'hommes. On dit qu'alors la vallée concentrait en son fin fond toutes les densités du monde (nous ne demandons du reste qu'à nous étourdir de légendes) et qu'un gigantesque cône de crasse – visible à des dizaines de kilomètres – poussait tutélairement son irradiante et fabuleuse cônerie jusqu'au ciel incandescent et boursouflé de suie orange. Nous n'avons pas connu non plus la mise à sac de cet enfer ni la destruction des sites. Nous ne sommes arrivés qu'après, bien après la fin de l'histoire – après les batailles d'hommes, après l'exode – et nous n'avons connu que ruines. Nous-mêmes à vrai dire vivons là comme en exil, arpentant la ville vide ainsi que des revenants. C'est en allant braconner derrière le pont – une fantastique tempête nous avait jetés dehors, puis poussés hors de la ville – que nous avons trouvé ces monstres, échoués à même la neige. Nous avons d'abord pensé qu'ils venaient de tomber du ciel ainsi que des spoutniks ou bien des bouts de planète morte. Nous fûmes longtemps avant d'oser nous avancer, longtemps encore avant de songer à sortir notre objectif. Qui sait ? Peut-être bien qu'ils se traînent là depuis mille ans, ces pachydermes ; peut-être même dix mille ans. Inutiles et dignes, majestueux et purs de toute corruption comme de toute convoitise, absolument coupés des hommes. A moins qu'il ne s'agisse ici de l'authentique Léviathan."
(Julien Grandjean, juin 2014)

Il y a quelque temps déjà, Julien Grandjean (dont il était question ici hier) nous a transmis ces quelques photographies. Nous lui avons demandé récemment d'en rédiger un texte d'accompagnement et voici ce qu'il nous très généreusement envoyé. Merci à lui !
 

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