jeudi 26 juin 2014

Les sans-noms (7)





On est plongé dans la passionnante anthologie Outsiders. 80 francs-tireurs du rock et de ses environs de Guy Darol (Le Castor Astral, 2014). Ce qu'on aime dans cet ouvrage touffu, c'est moins le choix des artistes envisagés (on y retrouve bien entendu les aimés Moondog, Joe Meek, Tim Buckley, John Jacob Niles, The Monks, Bruce Haack..., mais aussi quantité d'inconnus à découvrir) que la manière dont leur vie est racontée, avec style, passion et érudition. Chaque biographie d'artiste y est en effet envisagée comme une nouvelle "où l'on croise des escrocs, des tueurs en série, des gourous, de faux devins et de vrais illuminés." Et puis des récits qui s'achèvent comme celui-ci, on en redemande : "Hasil Adkins est décédé le 26 avril 2005 dans le mobile home aménagé dans son jardin d'enfant, à l'endroit où il maquillait de rouge sang des poupées dont il tranchait la tête afin de n'être jamais bercé par l'illusion sentimentale."
Ci-dessous, quelques extraits de la fin de la préface, à propos de ces outsiders :

"(...) Si leurs œuvres semblent souvent placées sous le signe de l'art brut, de l'expérimentation sans compromis, de la recherche qui se méfie des simulacres, on peut espérer qu'une baguette de noisetier finira par détecter ces sources sulfureuses. Ce que l'on avait ignoré sera redécouvert, un peu comme un cadeau oublié dans un coin. Sous l'emballage et la poussière, la merveille demeure intacte.
(...) l'outsider n'entend rien aux contraintes, aux objectifs du marché. Il a remplacé le mot consommation par celui de consumation. Les outsiders se brûlent et ils brûlent les étiquettes et les catégories. Ce sont les partisans d'un rock où la vie est un fil au-dessus d'un volcan. Qui miserait sur du feu ?
Les francs-tireurs ont sacrifié toute complaisance au nom de la sincérité. Ce sont d'authentiques chercheurs qui vont contre les vents à la découverte d'un nouveau langage, incendiaire, anarchique. Les conventions sont abolies, comme le beau, l'acceptable, le factice, le musicalement correct. Leur bouillonnement est chaotique, imprévisible et dangereux. Il incarne le geste de l'art qui fait parler la foudre, le cauchemar, la folie, d'autres forces pour communiquer des sons, des rythmes, des résonances, des alliages qui enflamment l'imagination en s'attaquant au règne du mainstream qui demande de répéter la même chose, encore et encore. On ne naît pas outsider, on le devient. C'est ainsi que chacun d'eux tend un miroir rassurant où la différence, l'accident, l'anomalie composent une réalité plus vraie que le spectacle des images où le fiasco n'est pas de mise.
Dans ce temps où la réussite est devenue mot d'ordre - gare à ceux qui tâtonnent hors des pistes balisées -, les outsiders apportent une respiration salubre, l'air devient plus léger. Ils montrent que l'errance et le risque d'échec ne font pas une vie ratée. Leurs trajectoires, qu'elles s'accomplissent dans la joie ou qu'elles mordent la poussière, démentent la définition selon laquelle "ils ne sont pas des nôtres". Ils sont des nôtres, et l'on peut être sûr de se trouver quelques ressemblances avec l'un de ces forcenés que le système, la société, ou tout autre mot, rembarrent dès que l'on cherche à imposer sa discordance et son refus d'agréger le troupeau."

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