mercredi 3 décembre 2008

Un homme qui dort


J'ai lu L'homme qui dort de Georges Perec (paru en 1967 chez Gallimard) un peu par hasard. J'avais bien aimé Les choses et La vie, mode d'emploi et les textes plus oulipiens me faisaient souvent rire. Je n'avais pas été préparé à cette prose désespérée, sèche et concise. L'histoire est simple. Un étudiant à Paris décide de quitter sa vie. Du jour au lendemain, il arrête ses études, reste dans sa chambre à regarder les murs et écouter les gouttes tomber du robinet. Il va de bar en bar, à la recherche de rien.

Le constat amer de cette dérive est qu'on ne peut même pas la considérer comme une révolte ou un refus de la société. En effet, comme l'écrit Perec : «Tu n'as rien appris, sinon que la solitude n'apprend rien, que l'indifférence n'apprend rien: c'était un leurre, une illusion fascinante et piégée. Tu étais seul et voilà tout et tu voulais te protéger: qu'entre le monde et toi les ponts soient à jamais coupés. Mais tu es si peu de chose et le monde est un si grand mot: tu n'as jamais fait qu'errer dans une grande ville, que longer sur quelques kilomètres des façades, des devantures, des parcs et des quais. L'indifférence est inutile. Tu peux vouloir ou ne pas vouloir, qu'importe! Faire ou ne pas faire une partie de billard électrique, quelqu'un, de toute façon, glissera une pièce de vingt centimes dans la fente de l'appareil. Tu peux croire qu'à manger chaque jour le même repas tu accomplis un geste décisif. Mais ton refus est inutile. Ta neutralité ne veut rien dire. Ton inertie est aussi vaine que ta colère.»

Un des ingrédients de la réussite de ce livre est la façon dont le narrateur s'adresse en tu au lecteur, comme si ce dernier était lui-même l'objet du malaise existentiel. Par sa nature, le livre s'intègre parmi les classiques de la littérature du renoncement, aux côtés par exemple de Bartleby le scribe de Herman Melville.

Après cette lecture, je me suis tout de suite procuré la réédition en dvd du film adapté du bouquin en 1974 par Georges Perec et Bernard Queysanne. Ce film en noir et blanc est un choc à plus d'un titre. Le caractère hypnotique du texte est ici accentué par sa récitation par une voix féminine, celle de Ludmila Mikael. L'ambiance musicale, composée par Philippe Drogoz et Eugénie Kuffler, évoque aussi bien la musique concrète que des atmosphères sinistres et oppressantes que ne devrait pas renier un groupe comme Nurse with Wound. La mise en scène s'accorde parfaitement au propos en alternant plans fixes, travellings lents sur des détails et déambulations dans les rues d'un Paris cauchemardesque à souhait.

Le film a obtenu le prix Jean Vigo en 1974, puis est tombé dans l'oubli avant d'être édité en DVD par La Vie Est Belle Films.

Ici, les dix premières minutes du film.
Je trouve à l'instant sur la toile la référence d'un article prometteur : YVAN FREDERIC "L'extase du vide de Un homme qui dort à Espèces d'espaces de Georges Perec." dans Savoirs et clinique 8 (2007): pp. 143-153.

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