On découvre souvent les disques qui nous tiennent à coeur par des biais détournés. J'ai par exemple commencé à m'intéresser au saxophoniste Steve Lacy (1934-2004) non pour son oeuvre en elle-même, mais à cause de ses collaborations avec Evan Parker, et de l'influence déterminante qu'il avait exercée sur ce dernier. Cela fait donc quelque temps que je creuse l'immense discographie, entamée dès les années 1950, d'un musicien qui, je suis en train de m'en rendre compte, est probablement un des plus grands saxophonistes de tous les temps.
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La réunion de Steve Lacy et du pianiste Mal Waldron (1926-2002) remonte aux années 1950 où sur l'album Reflections (New Jazz, 1958) ils reprenaient déjà ensemble des compositions de leur maître Thelonious Monk. Au tout début des années 80, ils entament en duo une collaboration scénique fructueuse qui a donné lieu à une riche discographie (notamment sur le label Hat Hut). Une des meilleures portes d'entrée pour y accéder est peut-être le Live at Dreher Paris 1981 (Hat Hut, réédition en 2003), un coffret de 4 CDs documentant plusieurs morceaux issus des soirées des 10, 13, 14 et 15 août (originellement parus sur les LPs Let's call this, Herbe de l'oubli et Snake-Out).
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Je crois que c'est exactement le genre d'album que je conseillerais à des curieux qui resteraient encore dubitatifs à l'écoute de l'improvisation libre, mais voudraient aller plus loin qu'un jazz d'ameublement. Plus de quatre heures de musique constituent cette somme comprenant, outre des compositions de Steve Lacy ou Mal Waldron, des variations sur des morceaux emblématiques de Monk : Round Midnight, Epistrophy ou encore Let's call this. Documenter plusieurs soirées permet de comparer différentes versions d'un même morceau et d'appréhender le processus d'improvisation-dialogue entre les deux musiciens.
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C'est clair, la complémentarité de ces deux vétérans est sans cesse palpable. L'aisance avec laquelle ils construisent des climats nocturnes méditatifs, lyriques ou plus rythmiques (parfois tout cela à la fois) est incroyable. La formule saxophone-piano rend l'auditeur attentif à toutes les notes qui ont l'air tantôt de couler naturellement, tantôt de rebondir sur les murs selon un schéma parfait, mais sans autre logique qu'une nécessité sonore pure. Le pouvoir de fascination et la charge émotionnelle d'une telle musique ont peu d'équivalent. J'y retourne.
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