"Est-ce que c'est le
vent ou bien ce sont les fantômes qui chantent ?"
Arlt et les Artistes
d'enfance
Cela
fait un bout de temps que le soleil ne fait plus des bonds sur la
nuque, mais la musique d'Arlt
continue à nous accompagner, pour foutre le feu aux artifices, pour
atténuer les nausées d'être et pour secouer joyeusement les sens.
Pour la troisième fois, et comme point d'orgue possible à cet
espace, j'ai eu le bonheur de poser quelques questions à Sing Sing
du groupe Arlt. Il y a quelques mois déjà, l'album Deableries
est
sorti, puis il y a peu l'essentiel Patate
de vivre
en collaboration avec les Artistes d'enfance. Il y avait de quoi
causer. Un grand merci à Sing Sing donc, et à bientôt j'espère.
Patate
de vivre
est disponible (peut-être plus pour longtemps, dépêchez-vous !)
chez Objet Disque et Deableries
chez Almost Musique.
Deableries
est un album très cohérent et construit, donnant l'impression d'une
organisation réfléchie. Je me demande si le travail à quatre n'a
pas contribué à ce résultat. En quoi travailler à quatre quand on
est d'habitude un duo peut être une ouverture, mais aussi,
éventuellement, une limitation (en considérant bien entendu qu'une
limitation peut avoir des effets positifs) ?
Sing Sing :
Ah mais nous n'avons jamais enregistré à deux. Nous avons fait La
langue et Feu la
figure avec Mocke, et il y a eu cet album
avec Thomas Bonvalet où l'on reprend des titres des deux disques
précédents et que Thomas réarrange (ou dérange, serions-nous
tentés de dire).
Ce n'est pas du tout la même
histoire pour nous, de jouer avec Mocke ou avec Thomas. Le premier
met toute sa science, sa virtuosité, ses rêveries au service de nos
chansons. Son souci premier, c'est de se tenir en retrait, de les
accompagner, de les enluminer, de les enchanter. Il tient à se faire
discret même au plus brûlant de ses interventions. Son talent pour
rester toujours hyper singulier tout en s'adaptant complètement aux
exigences de la chanson est remarquable. Thomas, lui, a accepté le
défi de venir se tenir face à nos morceaux, sans rien lâcher du
vocabulaire inouï qu'il a élaboré ces dernières années. Arlt et
Bonvalet, c'est un pugilat, un duel. Il n'est pas là pour prendre
soin des morceaux mais pour tempêter tout contre, et tant pis si les
morceaux cassent. Le disque enregistré en sa compagnie est le récit
de luttes, de bagarres joyeuses, mais aussi de pacifications
miraculeuses. Il crée de magnifiques tensions, des débordements,
des menaces. C'est bourrasques, grêlons, foudre et compagnie,
Thomas, ça veut pas laisser les chansons tranquilles. Il nous
rature, il colorie en dépassant la ligne, il nous menace,
il nous tabasse, il pose des mines partout. Alors que Mocke, c'est
des arabesques, des figures souples, des nuées, des suggestions, des
phrases en pointillés, des apparitions, des disparitions, des
féeries.
C'était très intrigant,
très excitant de se demander comment ces deux-là allaient pour la
première fois accorder leurs poétiques, a
priori antinomiques. L'impressionnisme
radieux de l'un contre l'expressionnisme brutal de l'autre (bien sûr
je schématise). Rien que ça, ça nous motivait beaucoup, même
au-delà de Arlt, cette rencontre sinon contre nature, en tout cas
inattendue.
Mais nous savions que tous
deux avaient un jeu plein d'humour et de poésie, une science des
timbres, une musicalité hors norme, des idées fortes, beaucoup
d'instinct, de bravoure et de grâce. Nous savions que ce serait
forcément passionnant.
Ce qui comptait pour moi
c'est que chacun d'eux éclaire nos chansons de ses lumières
propres, sans se bouffer l'un l'autre ni faire trop pencher
l'histoire de tel ou tel "côté de la force".
C'est presque un miracle que
Deableries puisse
paraître cohérent, parce qu'il n'est construit que sur des
contradictions, des hétérogénéités. Tout y est super paradoxal.
Ce qui est chouette c'est
qu'on se rend compte que suivant les moments, le plus suave ou le
plus emporté n'est pas forcément celui qu'on aurait cru. Comme pour
Eloïse et moi, d'ailleurs, la belle et la bête s'échangent
continuellement les rôles et finissent parfois par se confondre.
Thomas a complètement
inversé son rapport habituel, par exemple en divisant sa frappe
herculéenne en une multitude de polyrythmies naines qui fourmillent
dans le fond du bordel, dans une espèce d'arrière-monde de la
chanson. De temps en temps, plutôt que fondre comme un aigle et
s'abattre sur nous, il intoxique les chansons depuis leurs sous-sols
en y ouvrant des caisses de termites radioactives. D'autres fois, il
suggère un orchestre à corde avec un orgue à bouche
souffreteux dans le lointain. D'autres
fois encore, il répond au banjo aux phrases des guitares, comme si
on se passait la balle les uns les autres. Il varie ses volumes, ses
intensités, se démultiplie. Mocke, avec son jeu supra-déployé,
harmoniquement pas mal riche, forme avec Thomas une sorte de
réduction d'orchestre. Avec trois fois rien (des guitares, un
concertina, un banjo, des perdus de fortunes, et puis
les contrepoints vocaux d'Eloïse, on croirait entendre des faux
violons, des cuivres, des bois, mais qui sonneraient très
étrangement). Ce qui donne cette impression de cohérence, je pense
que c'est la disposition de chacun dans l'espace, la production très
pointilleuse d'Adrian Riffo, et, mais ce fut une surprise, que les
chansons se soient mises à rimer les unes avec les autres et former
un tout, une narration mystérieuse et secrète. Quand on l'a agencé,
quand on a trouvé son ordre (avec l'aide des mecs du label qui sont
doués pour aider à ça), le disque entier nous est apparu à la
fois comme un récit, troué, délabré, mais un récit quand même,
un tableau, une sculpture, un œuf. Au moins jusqu'à l'instrumental
de Pièges à loups 2
qui, au lieu de fermer le disque, casse l'œuf et libère l'ADN de
l'album jusque-là bien organisé, pour le laisser se répandre comme
un jaune dégueulasse. Certains ont voulu y voir une espèce
d'hommage à Sister Ray ou je ne sais pas quoi. Pas du tout. C'est
vraiment le disque qui s'évide et les forces très retenues tout du
long qui se libèrent comme on dit "ouf".
Avant ça, l'album est joué
comme sur ses gardes, sur le qui-vive, prêt à bondir mais ne
bondissant pas. Le diable est partout, souriant doucement. Jusqu'à
Pièges à loups 2,
Deableries c'est le
calme avant la tempête. Il faut se méfier de l'eau qui dort, tout
ça, tout ça.
Sur Deableries,
peut-être plus que sur les albums précédents, on peut compter les
silences entre les notes. On sent une forme d'assurance dans la
pause, dans l'arrêt et de même, un évitement de la frénésie. Il
n'y a absolument pas d'horreur du vide et ça me donne l'impression
d'un sentiment de confiance. Je me trompe ?
Sing Sing : J'imagine
que c'est dû au fait qu'il fallait particulièrement s'écouter les
uns les autres. Il fallait savoir jouer en pointillés, laisser des
espaces et des respirations. Très vite, plutôt que de tous jouer
les uns contre les autres, nous nous sommes mis à écrire une espèce
de ballet, avec des entrées, des sorties, des pas de danses qui se
répondent. Chaque instrument est un danseur. Plus nombreux nous
sommes (oui, pour Arlt dont les chansons sont écrites pour tenir
debout avec deux voix, quatre musiciens ça fait déjà du monde)
plus il faut ajourer les choses. Il n'y a pas quatre connards qui
foncent en même temps sur la grille, mais quatre connards qui se
regardent, s'attendent, se répondent, s'échangent des objets ou se
renversent les uns dans les autres. Jouer une note c'est aussi
remplir le silence suivant de l'écho de cette note, de l'ombre
portée de cette note, de la mémoire de cette note. Jouer de la
musique c'est aussi renseigner l'auditeur sur la qualité du silence,
qui se révèle comme à l'encre sympathique. Jouer de la musique,
c'est peut-être moins remplir le silence qu'essayer de le sculpter.
Il y a dans Deableries
du tissage, de la tapisserie, de la marqueterie, de facture un peu
grossière, certes. Et puis un petit jeu de lumières qui passent et
dansent là-dessus.
Depuis votre premier
album, j'ai souvent constaté dans les textes des chansons la
récurrence de rapports de connivence, d'échange, voire
d'identification avec des êtres singuliers ou des objets. Ainsi, on
pourrait presque définir Arlt comme un groupe de tendance animiste,
dans le sens où l'anthropologue Philippe Descola conçoit le mot.
Arlt naviguerait dans une zone poétique où des continuités
s'établiraient entre les intériorités des hommes, des animaux et
des objets. Je pense à des chansons comme Rhinocéros,
Le pistolet. Il y a
aussi cette expression « Se prendre pour un éboulis de
pierre », mais d'autres exemples pourraient être convoqués.
Le recours récurrent à la métamorphose est également un phénomène
typiquement animiste. D'où vient ce rapport aux choses que j'appelle
animiste par commodité ?
Sing Sing :
J'aimerais bien le savoir. Animiste c'est beaucoup dire. Disons au
moins que j'ai le sentiment de tenir tout autant moi-même du singe,
du rongeur rigolo, du fauve blessé, du moustique agaçant. Je vois
Eloïse comme une longue sauterelle somnolente, puis comme un manchot
pris de joie sur la banquise, puis comme un puma déployé. Tout ça
travaille en nous, je crois. J'ai aussi un certain goût pour les
figures mythologiques, fantastiques (j'aime à voir dans les
chansons, sans avoir nécessairement besoin de les nommer, courir les
faunes, bouder les centaures, clignoter les sirènes). Et nous sommes
émus par les choses, les objets (les cailloux, les plantes, les
marteaux). Ce qui nous intéresse c'est moins les choses dans leur
essence que dans leurs relations avec les autres choses. Il y a
là-dedans peut-être comme une vision un peu médiévale
(fantasmée?) du monde. Un monde polyphonique, sans centre ni
périphérie mais fait d'entrelacs et de mouvements, de passages et
d'échanges entre les êtres et les choses, entre le passant hébété
et les alentours, les alentours agissants, bondissants, les éléments
qui font les cons et déchaînent comiquement le paysage. Les
chansons s'échinent à organiser tout ce tohu-bohu sous forme de
petites formules dansantes et fredonnables. Peut-être qu'écrire,
chanter, gesticuler sur scène revient parfois à convoquer des
figures, appeler des renversements, c'est bricoler des prières sans
dieu, retrouver par accident les gestes de rituels anciens, mais
forcément déréglés, sur un mode mi-tragique, mi-burlesque, jouer
sans mode d'emploi avec l'hypnose, l'ensorcellement, mais comme on
joue à la marelle ou je ne sais quoi. Au final c'est surtout ça
Arlt, des enfants qui s'essayent à des tours de magie qui parfois
ratent et c'est marrant, qui parfois ratent un peu moins et c'est
assez beau.
Dans ma question
précédente, j'évoquais le phénomène de métamorphose. Et la
transformation est à la base de la création. A ce propos, je
reprends ci-après quelques extraits du dernier livre de Vinciane
Despret (Au bonheur des morts. Récits de ceux
qui restent, La Découverte, 2015) où
l'auteur s'inspire du concept d'instauration forgé par Etienne
Souriau (voir le livre, pp. 16-18 pour les références) : «
L'artiste (...) n'est jamais le seul créateur, il est «
l'instaurateur d'une œuvre qui vient à lui mais qui, sans lui, ne
procéderait jamais vers l'existence. » (...) L’œuvre en quête
d'existence appelle le peintre, le poète ou le sculpteur, et
celui-ci va se dévouer pour la mener à sa pleine réalisation, pour
l'accomplir en tant qu’œuvre. (...) C'est cela « instaurer » une
œuvre, la conduire d' « œuvre à faire » à son existence d’œuvre
accomplie. »
Ces propos m'ont fort
marqué, et j'avais très envie d'en avoir un écho par un créateur.
Donc, est-ce que les chansons d'Arlt appellent Arlt et comment ?
Sing Sing : Il
y a de ça, oui, je crois. En tout cas, je les sens qui bourdonnent,
qui existent déjà, dans une certaine mesure, et qui attendent qu'on
leur donne une forme. Après c'est de l'établi, du bidouillage. Il y
a quelque chose qui gueule et que tu es, ou que tu crois être, le
seul à entendre. Tu entends, mais tu ne comprends rien. Tu dois
traduire, pour traduire, tu dois trouver une forme. La chanson est
finie, tu reconnais qu'elle est finie quand ça ne bourdonne plus
dans l'invisible. Une fois que c'est fait, que c'est écrit, que
c'est traduit, tu te demandes pourquoi ça parle de ça et d'ailleurs
de quoi ça parle au juste, tu ne le sais pas toujours (tu peux alors
écrire d'autres chansons pour poser la question "je ne sais
plus de quoi on parle, si c'est de la mort qui vient ou bien du café
qui brûle, si c'est de l'amour qui s'en va ou bien de quoi?").
Les chansons débarquent avec leurs chevaux, leurs oiseaux, leurs
chutes, leurs os en pagaille. Pourquoi tous ces animaux, toutes ces
chutes, tous ces os? D'où ça vient? Qui dicte ça? Les martiens? La
voix des morts? Les rêves? Des souvenirs de lectures qui remontent?
Bon. C'est un mélange pas très clair d'inspiration (je n'ai jamais
su me résoudre à renoncer complètement à ça), de bricolage
patient et de jeu pur et simple.
En interview, tu évoques
régulièrement des sentiments qu'on associe peu souvent à la
musique : l'étonnement, la perplexité, l'hésitation, la
sidération, la stupéfaction. Ce sont des états qu'on associe
plutôt aux balbutiements, aux actions parfois incohérentes,
perceptions maladroites et dérives qui font la vie. Comment
expliques-tu ce mouvement qui tend chez Arlt, et dans la manière
dont vous concevez le groupe et sa musique, à éliminer, ou en tout
cas, atténuer la frontière entre l'art et la vie ?
Sing Sing :
On ne cherche pas à éliminer quoi que ce soit. Vivre m'étonne,
écrire m'étonne, chanter m'étonne. Je n'ai pas d'avis sur les
frontière entre ceci et cela. En revanche, j'ai peut-être la
prétention oui, de tendre à ce petit truc, qui serait plus ou moins
MON petit truc, NOTRE petit truc, qui serait d'écrire des chansons
au présent, qui se recommencent à chaque fois qu'elles sont
chantées, qui ne se contenteraient pas de dire ce que nous savons
déjà, ni de d'énoncer nos opinions sur les choses, ni de raconter
des histoires mais de rejouer sans cesse (c'est une illusion, ben
sûr) le surgissement et la surprise. Plutôt que "j'ai été
amoureux, c'était beau mais c'était triste" on préfère dire:
"je commence à avoir chaud, ma tête tourne, j'ai bouffé un
truc pas frais ou qu'est-ce qui se passe? et puis d'abord qu'est-ce
que tu fais là?". Enfin, tu vois.
Est-ce
que tu pourrais retracer le processus qui a mené à la publication
du disque Patate de vivre
? Si je ne me trompe pas, il s'agit d'une résidence ?
J'aimerais
par exemple en savoir plus sur le processus d'écriture, le concert
qui a clôturé la résidence, le rapport avec les "artistes
d'enfance"...
Sing
Sing : Pour aller vite, ça s’est effectivement bricolé au
cours d’une résidence au collège Anatole France, aux
Pavillons-sous-bois, en banlieue parisienne dans le cadre d’un
dispositif appelé IN SITU, mis en place par la région et qui
distribue comme ça chaque année une dizaine d’artistes
(musiciens, écrivains, cinéastes, metteurs en scène, chorégraphes)
dans autant de bahuts du 93. On nous a confié une salle de classe où
entreposer des bouquins, des images, et où on pouvait venir
travailler quand bon nous semblait. Deux fois par semaine tous les 15
jours à peu près nous intervenions dans les cours de français, de
musique, parfois d’EPS (où la prof les faisait travailler sur la
danse contemporaine et le cirque) et d’arts-plastiques d’une
classe de 6ème. Les 6ème c’était très bien, ils ont encore un
pied dans l’enfance et en même temps ça commence à muer, ça
allonge le geste un peu fébrilement vers l’adolescence. C’est un
moment de mue excitant à accompagner.
On n’a
pas voulu bosser particulièrement sur le côté « banlieue »,
ni documenter leur quotidien, mais plutôt mettre au point avec eux
une espèce de territoire mental irrigué autant par nos obsessions
que par leur propre imaginaire. A partir d’images fondatrices pour
Arlt (Bosch, Bruegel, les bestiaires médiévaux, Zotl, le Musée de
la chasse et de la nature à Paris que nous avons visité avec eux,
les vieilles photos d’Halloween, les costumes de Carnaval ou de
rituels païens) on les a laissés délirer, écrire, dessiner. Nous
avons parlé de fantômes, on a lu du Desnos… On leur a fait
écouter le Langley’s School Project, et aussi les versions
originales de Bowie, des Beach Boys, on leur a demandé d’écrire
là-dessus. Ils se sont révélés être de très bons critiques
musicaux. Ils ont écrit sur le disque Artl & Thomas Bonvalet,
aussi et c’était formidable. Ils trouvent des formules très
étonnantes pour témoigner de leur propre capacité à se laisser
surprendre, déplacer. Lors des derniers ateliers, tu les entendais
récuser leurs propres propositions: « il faut que ce soit plus
mystérieux, il faut que ce soit plus singulier », mot pour
mot.
Donc
voilà, on a installé ce territoire ensemble, fait de figures
animales, de spectres et de considérations sur l’étonnement
d’exister, sur la joie paradoxale, la joie mauvaise, la joie
violente et ils ont écrit beaucoup à partir de ces thèmes. Nous
dégagions de notre côté des tournures, des formules qui nous
paraissaient particulièrement excitantes et nous écrivions à
partir de ça des débuts de chansons que nous terminions ensuite
tous ensemble. On a mis les trucs en musique et constitué la
chorale. Avec Rémy Poncet, qui a fait l’Artwork de Deableries,
on leur a demandé des propositions de pochettes, d’affiches, de
tracts. Le principal de toute cette matière poétique et graphique a
fait l’objet d’un bouquin de 68 pages qui accompagne le cd.
On en
a exposé les planches à La maison de la poésie de Paris où nous
avons donné un concert avec eux, un des concerts les plus fous de
notre vie. Ils étaient incroyables, de la présence pure, hyper
magnétique, pas cucul pour un sou.
Et on
a enregistré ce disque de trois chansons, dans la salle polyvalente
du collège, avec Cyril Harrison, qui est un ingé son du tonnerre
parce qu’il fallait la faire sonner, hein, la salle polyvalente.
Ils ont rentré les versions très vite, en une ou deux prises. Ils
sont spectaculairement bons.
On
a déjà causé du rapport fort qu'entretient Arlt avec l'enfance
(voir interview 2014). Je ne me lasse pas de te lire à ce sujet,
surtout au lendemain de l'expérience qui a donné naissance à ce
disque. Est-ce que cette rencontre a changé et/ou renforcé ce
rapport ?
Sing
Sing : Les
voir toute l’année bouger, chanter, mimer des bagarres,
plaisanter, poser des questions, se foutre de notre gueule, se foutre
sur la tronche, courir, bondir, rire, pleurer, tout ça nous a
inspiré terriblement. Leur enfance, on n’a pas eu d’autre choix
que de la saisir telle quelle, avec sa joie pleine, ses coups de
blues terribles, ses moments de trouille et d’angoisses, sa
cruauté, sa brutalité, sa tendresse et ses turbulences. Tu leur
apportes ta propre matière et tu les laisses se l’approprier, te
la rendre modifiée par eux. L’enfance chez Arlt était tout de
même assez théorique avant l’apparition de ces gosses. D’ailleurs
eux, ils ne débarquent pas pour te parler d’enfance, hein, ils
s’en foutent de l’enfance, tu peux pas te servir d’eux pour
idéaliser le sujet. Ils ne se considèrent pas comme des mômes eux.
C’est pourquoi on les a soumis aux bestiaires, au masque, au
fantastique. Leur enfance y a surgi naturellement, je veux dire les
restes d’enfance encore brûlants dans l’adolescence qui vient.
Mais ce qu’ils voulaient c’était écrire de la poésie, chanter,
jouer, pas parler de l’enfance.
D’ailleurs
le nom du groupe « Les artistes d’enfance », le plus
beau de leurs propositions a été amené par la petite Ferielle.
Quand on l’a validé, les autres se sont un peu renfrognés, ils
trouvaient ça niais.
Il ne
fallait pas instrumentaliser cette enfance, mais la laisser
s’exprimer.
Si tu
viens pour parler de l’enfance avec des gosses du haut de l’idée
que toi tu t’en fais, tu finis avec un machin mièvre, des petits
singes apprivoisés. Tu viens pour reformer les enfants perdus de
Peter Pan et tu finis avec les petits chanteurs à la croix de bois.
Des enfants qui singent l’enfance. Là, on est contents parce que
je crois qu’on en entend pas mal des impuretés, des torsions, la
mue, jusque dans les déraillements des voix. Il y a du déséquilibre,
une ferveur sans inhibition, une certaine maladresse mais aussi une
très grande musicalité, un vrai sens instinctif du rythme, de la
mélodie, du phrasé, de la langue.
Bref,
je pourrais parler d’eux des heures mais pas particulièrement
mieux de l’enfance.