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jeudi 18 juin 2015

Mnémotourisme (39)


De l'exploration du passé comme de la fouille archéologique... Qu'il est réjouissant le temps où l'on pouvait être à la fois préhistorien, explorateur, pionnier du cinéma muet et documentaire, et usager de la médiumnité ! Ainsi de Joseph Mandement, préhistorien réputé pour ses fouilles de la grotte du Mas d'Azil en Ariège, conservateur du lieu de 1936 à 1958 et chercheur quelque peu hétérodoxe :

"Il était un bien curieux personnage. Il s’était attaché à la grotte et il y menait des recherches à sa façon. Son but n’était pas l’étude de fines stratigraphies mais la découverte de nouvelles salles et de gisements inédits. Sa compagne, Madeleine, était médium. Elle entrait en contact avec les esprits et lui disait où il fallait creuser, lui, indiquant le chemin à parcourir pour accéder à la Salle des sépultures, véritable cimetière magdalénien qu’il chercha toute sa vie et ne renonça jamais à découvrir." (Source)

Joseph Mandement est également une figure méconnue du cinéma muet et documentaire. Une première recherche rapide donne peu de résultats. On serait en tout cas très curieux de voir son Voyage à la Terre de Feu, qu'il réalise en 1926 avec le géographe Paul Castelnau auprès des derniers Alakaloufs. Dans un genre exploratoire d'un autre niveau, temporel celui-ci, on lui doit également un Nanouk, l'homme des temps préhistoriques, qu'on brûle de voir, ne fut-ce parce qu'il est réalisé avant la guerre de 1914-1918 (sans date précise) dans le Grand Nord, soit plusieurs années avant le Nanouk de Flaherty (1922). Et donc de s'interroger sur cette double occurrence du prénom Nanouk et sur la vision de l'"Autre" préhistorique au début du 20e siècle. 
(Si un lecteur parvenu jusqu'à ce stade du texte a un plan pour voir ces films, qu'il m'écrive !)

Enfin, ci-dessous, un extrait passionnant du compte-rendu de la séance du 28 novembre 1929 de la Société préhistorique française, où Joseph Mandement était présent, soulève plusieurs points importants à propos de l’impossibilité de filmer des "vrais sauvages", sur le regard (ethnocentriste paraît faible non ?) porté à l'époque sur l'Autre par des scientifiques pourtant proches de l'anthropologie, et enfin, en matière de cinéma (je souligne l'extrait car il est important), sur le "trucage du réel" dans le cinéma dit documentaire.

"M. Mandement s'est spécialisé depuis 1913 dans l'art cinématographique documentaire et a présenté en France et en Europe de nombreux films de voyages et d'études ethnographiques, tels que a les Grandes Chasses en Afrique », « de l'Angola à Zanzibar par les sources du Nil », « Nanouk, l'homme des temps préhistoriques » et, ces dernières années, en collaboration avec Paul Castelnau « la Terre de Feu ». Il signale l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de filmer de vrais sauvages encore à l'état sauvage, puisque vivants presque nus et sans abri auprès d'éternels glaciers. Vêtus de défroques jetées en aumône par les paquebots de passage dans ces parages, armés non de silex, mais de couteaux de provenance européenne, allant au gré des Ilots, non dans une pirogue en écorce d'arbre, mais dans un mauvais canot fait de planches provenant de quelque épave, sachant construire la hutte ancestrale, mais au moyen d'outils modernes, les derniers des Abakaloufs, tout en se maintenant au dernier échelon de l'échelle humaine, ont perdu le pittoresque de leur état primitif et n'ont gagné, au contact de la civilisation que des vices, dont l'alcoolisme, qui les décime peu à peu. Il faut en conséquence, se hâter de recueillir les documents ethnographiques, avant la disparition totale des anciennes mœurs et coutumes, et l'on est parfois déjà obligé, pour les films documentaires, de truquer quelque peu les scènes."

On a eu vent du personnage de Joseph Mandement dans cet épisode du Salon noir, à propos de la grotte du Mas d'Azil.

lundi 25 mai 2015

Filmer les sans-noms #4


Samedi 6 juin à 21.00 (5 euros), ciné-concert avec L'homme d'Aran de Robert Flaherty (1934, 76') et le musicien David Chiesa (Contrebasse, cadre de piano, basse électrique - France, Cellule d'intervention Metamkine...).

Séance exceptionnelle avec un des films les plus mythiques de l'histoire du cinéma documentaire, tourné sur une île au large de l'Irlande pour montrer la vie d'une famille de pêcheurs.

"Man of Aran date de 1934. Il aura fallu plus de deux ans pour tourner le film et le monter. A ceci près qu'ici le montage ne suit pas le tournage : il l'accompagne et - en fait - le précède, le guide. Tourner, monter, tourner. Cette place centrale du montage, au milieu du tournage, fait de Man of Aran une expérience limite dans l'histoire du cinéma. Chaque tournage est à sa façon une aventure, les tournages documentaires d'autant plus qu'ils se font (en règle générale) hors des studios, dans des conditions de vie et de travail parfois difficiles. Il y a un thème romantique du tournage comme suite d'épreuves à traverser, d'où le film tirerait quelque chose de sa force ou de sa beauté... Tel est évidemment le cas de Man of Aran : isolement, état de tempête permanent de ces îles du bout du monde, tout y est... Sauf que le déchaînement des vagues et du vent, ici, n'est rien face àcelui qui soulève le film. Une tempête de pellicule. Une rage de cinéma.
(...)
Que nous raconte le film ? Avant le regard, avant le cinéma, le monde est entier, massif, compact, inentamable. Les choses sont là, enfermées dans leur être. Face à elles, les hommes ne seraient rien s'ils n'étaient des êtres de relation (de langage). Leur survie, leur existence est liée aux relations qu'ils sont capables d'entretenir avec le vent, la terre, la roche, la mer, les poissons, les algues... - et avec eux-mêmes. Autant que du langage, il convient de fabriquer du regard pour affronter les épreuves que nécessairement mettent en jeu ces relations. C'est pourquoi le cinéma commence par fragmenter le monde, le briser, le mettre en pièces. Le mettre en doute, c'est-à-dire en scène. Miettes mises en relation par le regard. Le montage recollera les morceaux. A la fin du film, après la tempête, les regards filmés en gros plan de l'homme, de la femme et de l'enfant nous disent non seulement qu'ici (au cinéma) les hommes ont tenu tête au monde, mais qu'ils en font partie."
Jean-Louis Comolli, extraits de L'homme essentiel. Man of Aran de Robert Flaherty (paru dans Images documentaires no. 20 et repris dans Voir et pouvoir. L'innocence perdue : cinéma, télévision, fiction, documentaire, Verdier, 2004, pp. 222-228.

La musique développée ici par David Chiesa est une approche résolument contemporaine, offrant une relecture de cette œuvre. S’appuyant sur du contrepoint, elle souligne non des actions, mais plutôt les tensions qui sont jouées dans ce film, notamment l’aller et retour qui existe constamment entre ceux qui restent à terre et ceux qui sont en mer.... Elle joue aussi du silence, comme un reflet des profondeurs qui entourent ces îles. 

lundi 27 avril 2015

Filmer les sans-noms #3


Ce dimanche 10 mai 2015 auront lieu au Cercle du Laveu deux séances de projection exceptionnelles de poèmes ethnographiques avec les Indiens Tarahumaras du Mexique, filmés durant près de trente ans par Raymonde Carasco et Régis Hébraud.

Projection unique de quatre films inédits, en présence de Régis Hébraud.

« On dit que Tarahumara veut dire « le peuple qui marche », « le pied qui court ». Mensonges. Pour nous, Tarahumara veut simplement dire : « les hommes » ».
Paroles de l'Indien Tarahumara Erasmo.

« C'est comme le squelette du devant qui revient, m'ont dit les Tarahumaras, du RITE SOMBRE, LA NUIT QUI MARCHE SUR LA NUIT. »
Antonin Artaud, Le Rite du Peyotl chez les Tarahumaras, 1948.

C'est ainsi que « l'éternel envoûté » Antonin Artaud achève un de ses derniers textes consacrés aux rites et croyances des Indiens Tarahumaras du Mexique, peu avant de mourir, en 1948. En 1936 déjà, il se rend au Mexique afin « de retrouver et ressusciter les vestiges de l'ancienne culture solaire ». D'après la légende, il part à cheval dans la montagne à la rencontre des Tarahumaras et s'y fait initier aux mystères du Ciguri, c'est-à-dire du Peyotl. Il en ramènera des mots, des visions qui le bouleverseront à jamais. Il écrit d'ailleurs peu après les Nouvelles révélations de l'être avant de se faire interner durant de nombreuses années.
Autre temps, autres lieux. A la fin des années 1970, Raymonde Carasco (1939-2009), alors chercheuse en philosophie et cinéma à l'Université de Toulouse, décide de se rendre au Mexique, sur les lieux qui ont tant marqué ses idoles Serguei Eisenstein et Antonin Artaud. Et là, c'est le choc de la rencontre  : le « bleu du ciel », la « terrible montagne », et au sein de ce paysage, et inséparable de celui-ci, les Tarahumaras, « les hommes ».
Durant une trentaine d'années, Raymonde Carasco se rend en compagnie de son mari Régis Hébraud sur ces terres sèches et immémoriales. Elle y tisse des liens avec les Indiens, s'initie au Peyotl et aux mystères des derniers chamans, qui finiront par la reconnaître comme une des leurs. Avec des moyens financiers et logistiques dérisoires, elle y filme les rituels, les paysages, les hommes et les femmes, composant une vaste fresque documentaire, sensuelle et lyrique. Et alors que le chant du Tutuguri et la râpe du Ciguri laissent peu à peu place au silence, ces images resteront, ultimes témoignages d'autres réalités, d'autres manières de « voir ». Jean Rouch, réalisateur et inventeur de la ciné-transe, séduit, prêtera sa voix au commentaire de deux de ces films (La danse du Peyotl et Le dernier Chaman).

Diverses rétrospectives ont reconnu cette œuvre unique, en 2014, au festival Cinéma du Réel à Paris et au festival L'âge d'or à Bruxelles, en 2015, au Ficunam à Mexico et au center of Contemporary Culture of Barcelona....

Régis Hébraud, époux de Raymonde Carasco, mais aussi compagnon de voyage, monteur, opérateur et preneur de son de tous ces films sera présent pour introduire les séances et prendre part à une discussion.

Programme :
16.00 - Gradiva esquisse 1 (1978, 25') - Tutuguri. Tarahumaras 79 (1980, 25')
20.30 - Ciguri Tarahumaras 98. La danse du peyotl (1998, 42') - Ciguri Tarahumaras 99. Le dernier Chaman (1999, 65')

Prix : (2 €) et 20.30 (3 €) (4 € pour les deux séances)

Infos :
Le site de Raymonde Carasco et Régis Hébraud : http://raymonde.carasco.free.fr/index2.htm
Les extraordinaires carnets de Raymonde Carasco Dans le bleu du ciel. Au pays des Tarahumaras (1976-2001) ont été publiés récemment par les éditions François Bourin : http://www.bourin-editeur.fr/fr/books/dans-le-bleu-du-ciel/381/
 

mardi 3 mars 2015

Mnémotourisme (36)




Lorsqu'il part enquêter dans le Sud de l'Italie, notamment sur les possédées du tarentulisme, l'ethnologue Ernesto de Martino (trois volumes d’œuvres parus en français aux Empêcheurs de tourner en rond) est accompagné par le photographe Franco Pinna (voir photographies ci-dessus), mais aussi par un psychiatre, un ethnomusicologue, un historien des religions.... Durant les années 1950, cet homme élabore une pensée singulière sur la magie et les coutumes d'un monde sur le point de s'éteindre (le même d'ailleurs superbement filmé à la même époque par Vittorio De Seta et enregistré par Alan Lomax...). Au début des années 1960, ce travail hors normes, auquel viendra, parmi d'autres, puiser un certain Carlo Ginzburg, inspire le réalisateur Gianfranco Mingozzi pour son film Tarantula (1962, voir ci-dessous). Et ce film est un petit bijou, réalisé avec les conseils d'Ernesto De Martino et accompagné d'un commentaire du poète Salvatore Quasimodo (qui pour l'anecdote a écrit les vers à l'origine du titre de Déjà s'envole la fleur maigre de Paul Meyer...).


Pour une traduction en français du commentaire de Salvatore Quasimodo, voir ici.
Plus sur le tarentulisme et Ernesto De Martino ici.

dimanche 15 février 2015

Le geste cinématographique


Ce dimanche soir à 20.00, au local B9 de l'école supérieure des arts Saint-Luc à Liège, Patrick Leboutte exposera sa vision du 7e art lors d'une rencontre dédiée au "geste cinématographique". Critique, marcheur, enseignant, pilier des Rencontres de Laignes, Patrick Leboutte est également l'éditeur du Geste cinématographique (aux éditions Montparnasse), indispensable collection où l'on retrouve pêle-mêle les films de Jean Rouch, Jean-Louis Comolli, Robert Flaherty, Rithy Panh, Fernand Deligny, Denis Gheerbrant, et bien d'autres.

Voici comment l'intéressé présente son intervention : 

" Partir, au plus loin comme au plus proche, enregistrer d'autres gestes, d'autres corps, d'autres décors, d'autres savoirs, puis revenir ensuite pour transmettre cette expérience du monde aux spectateurs : ce mouvement définit traditionnellement la vocation du cinéma documentaire, art de rendre compte de la réalité à partir de la réalité même, sans artifices. Pour ma part, j'attends davantage du cinéma : qu'il ne se contente pas de filmer le monde tel qu'il serait, mais qu'il fasse voir au-delà; qu'il ne l'entérine pas, qu'il ne s'en contente pas, mais qu'il l'interroge, l'interprète, le mette en forme, le reconstruise, m'offrant de me situer personnellement face à lui. La vérité documentaire tient dans ce geste-là, elle est la vérité du cinéma : art de faire apparaître ce que nul encore n'avait perçu, expression de la relation particulière qui lie un cinéaste au monde, un monde toujours à constituer, au départ de soi, comme on le voit, comme on se voit ". (Patrick Leboutte)

On en profite pour mentionner l'excellent blog de JC Tatum Le vieux monde qui n'en finit pas, blog sur lequel viennent d'être publiés les films préférés en 2014 par Patrick Leboutte, blog qu'on explorera par ailleurs avec grand profit.

En attendant, et en guise d'apéritif pour ce soir, voici le texte de Patrick Leboutte, adressé donc à JC Tatum : 

" Cher JC,
Qu’elle est difficile, ta question: nos films de l’année. Comment y répondre quand comme toi (du côté d’Allaire) ou comme moi, à Liège, pareillement otages des monopoles locaux, quand bien même se rhabilleraient-ils "art et essai", on ne voit plus rien. La voilà, la vraie question: comment fait-on pour vivre dans la nuit, dans l’obscurité, à l'entrée d’un tunnel provisoirement sans fin, dont je crains qu’à nos âges, nous ne puissions espérer voir le terme, nous qui venons du cinéma, des trois lumières, l’image, les corps, les sons ? Un de tes contributeurs a parlé récemment d’ébranlement. Il avait raison. À quel moment, dans quel film, même venu de nulle part, une forme cinématographique a-t-elle rencontré mes propres interrogations, mes inquiétudes, ma situation dans ce monde-ci ? Voici la liste des films qui m’ont "ébranlé" cette année, sans commentaires, à tes lecteurs de se renseigner.

1. Feng ai [À la folie], Wang Bing (Chine, 2013)
2. Coffret Epstein, « Poèmes bretons » (1928-1948) (Éditions Potemkine)
3. La corde du diable, Sophie Bruneau (Belgique, 2014)
4. Les tourmentes, Pierre-Yves Vandeweerd (France-Belgique, 2014)
5. L’art de s’égarer, Boris Lehman (Belgique, 2012)
6. P’tit Quinquin, Bruno Dumont (France, 2014)
7. Juste avant la guerre, Yvan Petit (France, 2014)
8. L’œil du cyclope, Jen Debauche (Belgique, 2014)
et Rond est le monde, Olivier Dekegel (Belgique, 2014)
9. Films de mes amis, parce que notre histoire est sans fin: On a rêvé, Denis Gheeerbrant, 2014 ~ Se battre, Jean-Pierre Duret et Andrea Santana, 2014 ~ Le Pédalogue, Alain et Washtie Comte (série en cours depuis quinze ans) ~ Pas son genre, Lucas Belvaux, 2013
10. « Pour la suite du monde » : Marianne Amaré, travaux en cours, 2015, 2016, 2017...
~
Et par ailleurs, picorés cette année dans l'histoire du cinéma

Der Neue Schreibtisch (Le nouveau bureau), Karl Valentin, 1914
(hommage à David Legrand, artiste, ma rencontre cinématographique de l'année)
Day of the Outlaw (La chevauchée des bannis), André de Toth, 1959
(hommage au Cercle du Laveu, la plus belle salle de Liège,
un cinéma Nova mosan en puissance, puissent-ils se le dire...)
Matti da slegare (Fous à délier), Marco Bellocchio and co, 1975
(Hommage à Matthias Chouquer et Théodora Olivi, âmes damnées du cinéma Eldorado de Dijon,
la meilleure salle de France, c'est évident)
Un beau jardin, par exemple, Jean-Pierre Duret, 1986
(Hommage à mes grands-parents, eux d'où je viens)

 PS pour mes amis découvrant ce mail : voir le blog ..."