"Nous
n'avons pas connu les feux ni les fumées ni les usines, ni la ville
saturée de vie et d'hommes. On dit qu'alors la vallée concentrait
en son fin fond toutes les densités du monde (nous ne demandons du
reste qu'à nous étourdir de légendes) et qu'un gigantesque cône
de crasse – visible à des dizaines de kilomètres – poussait
tutélairement son irradiante et fabuleuse cônerie jusqu'au ciel
incandescent et boursouflé de suie orange. Nous n'avons pas connu
non plus la mise à sac de cet enfer ni la destruction des sites.
Nous ne sommes arrivés qu'après, bien après la fin de l'histoire –
après les batailles d'hommes, après l'exode – et nous n'avons
connu que ruines. Nous-mêmes à vrai dire vivons là comme en exil,
arpentant la ville vide ainsi que des revenants. C'est en allant
braconner derrière le pont – une fantastique tempête nous avait
jetés dehors, puis poussés hors de la ville – que nous avons
trouvé ces monstres, échoués à même la neige. Nous avons d'abord
pensé qu'ils venaient de tomber du ciel ainsi que des spoutniks ou
bien des bouts de planète morte. Nous fûmes longtemps avant d'oser
nous avancer, longtemps encore avant de songer à sortir notre
objectif. Qui sait ? Peut-être bien qu'ils se traînent là
depuis mille ans, ces pachydermes ; peut-être même dix mille
ans. Inutiles et dignes, majestueux et purs de toute corruption comme
de toute convoitise, absolument coupés des hommes. A moins qu'il ne
s'agisse ici de l'authentique Léviathan."
(Julien Grandjean, juin 2014)
Il y a quelque temps déjà, Julien Grandjean (dont il était question ici hier) nous a transmis ces
quelques photographies. Nous lui avons demandé récemment d'en rédiger un
texte d'accompagnement et voici ce qu'il nous très généreusement envoyé. Merci à lui !