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lundi 13 janvier 2014

Paradigme indiciaire (16)


"Il nous faut désapprendre de prétendre à disséquer la réalité sociale comme si nous pouvions avoir un regard objectif du dehors. Nous sommes toujours "dans" quelque chose, nous ne pouvons que glisser de perspective en nous mettant localement en dehors, un peu à la façon de ces surfaces topologiques où il n'y a pas d'observatoire qui soit en dehors de tout, seulement des points extérieurs par rapport à des constellations de lieux singuliers. Pour l'anthropologue, le défi est justement de changer souvent de place pour "remonter" les choses par des relations, suivre des traces comme un chasseur qui piste. Il y a toujours un moment où l'empreinte mène au gibier, on peut le consommer et le partager, ça fait partie de la survie, et ce n'est jamais terminé, sauf à considérer le plaisir d'un repas comme un achèvement en soi. Mais pour être un bon chasseur, disent les Aborigènes, il faut un peu se mettre à la place de l'animal lui-même, changer de rôle, s'arrêter, s'identifier à son environnement, à sa manière de voir, prédire ses mouvements, parfois courir, parfois ralentir, parfois crier, parfois rester sans un bruit, être patient, voire souffrir pour que ce qui nous échappe se laisse attraper sans que soit rompue l'alliance entre les humains et l'espèce en question. Beaucoup de gens n'aiment pas la chasse, la trouvant primitive, sanglante, trop meurtrière : ils oublient souvent qu'à travers nos actualités et nos films de divertissement nous sommes des prédateurs bien plus meurtriers. L'art du chasseur est indissociable de celui qui cherche à générer la vie : chaque société essaie de répondre à sa manière à cette question de comment se reproduire et faciliter la production créative de son environnement, quel qu'il soit." 

Extrait de Barbara Glowczewski, Rêves en colère. Avec les Aborigènes australiens. Plon, Terre Humaine, 2004.

jeudi 19 septembre 2013

De la musique à faire fuir les loups


Où l'on apprend que pour se garantir des attaques de loups, on a parfois usé de moyens de protection aléatoires... comme :

"Faire du bruit : du violon aux sabots

Dans le contexte de détestation de l'animal qui marquait l'époque de Buffon, un spécialiste de l'élevage du mouton comme l'abbé Carlier n'hésitait pas à écrire que cet "animal est tellement ennemi de l'harmonie que le son des instruments le fait fuir". Et de rapporter, dès 1770, l'histoire du violoneux à laquelle le XIXe siècle allait assurer, dans bien des provinces de France, une large fortune, avec les variantes du cru :

"Nous avons ouï raconter d'un ménestrier de village qu'ayant trouvé à sa rencontre deux loups mâtins - c'est-à-dire des loups charognards -, il leur avait donné quelques petites provisions qu'il rapportait d'une noce. Les loups, ayant tout dévoré, le menaçaient encore. Le ménétrier, auquel il ne restait que son violon, leur joua un air qui mit ces animaux en fuite."

Parmi les nombreux témoignages oraux recueillis sur la présence des loups, la Bourgogne est créditée de la même histoire. Dans les années 1840, sur le chemin de Vitteaux, à Blancey (Côte-d'Or), par la montagne, voici Faraud, un ménétrier réputé qui revenait de noce avec une provision de harengs au cœur d'un hiver. Il regagnait son village dans la neige, par la montagne, à travers bois. Deux ou trois loups l'avisent, décidant de le suivre. Pour les éloigner, Faraud leur lance un, deux puis trois harengs sur lesquels se jettent ces "maigres" bêtes. Mais le pauvre violoneux était toujours rejoint par les loups et sa provision de poissons tirait à sa fin quand il avisa un arbre sur lequel il grimpa. Les loups cernèrent notre homme et, le derrière à terre, n'attendaient que l'instant, selon l'histoire, où tomberait le violoneux. En ce moment critique Faraud eut une idée lumineuse : il prit son violon et se mit à jouer. La musique était si épouvantable que les importuns prirent la fuite. Une quinzaine d'années plus tard, à la Saint-Martin 1855, Faraud fit un émule toujours en Auxois, sur la route de Vaux-les-Grenand. Un manœuvre-vigneron, Alexis Dufour, allait de village en village jouer du violon pour faire danser la jeunesse. Quittant le village de Châteauneuf vers 3 heures du matin pour regagner sa maison à travers la montagne, notre ménétrier rencontre la même mésaventure avec un seul loup cette fois. C'est une brioche de la fête du village qu'il rapportait alors. De morceau en morceau lancé à l'animal, il n'en resta plus une miette. Poursuivi par le loup qui ne s'était pas satisfait du gâteau qu'il avait émietté, Dufour prit le parti de grimper sur un chêne et ne dut son salut qu'à son idée de jouer un air de danse qui fit disparaître l'encombrant visiteur comme une flèche. En Normandie, le même scénario persiste plus longtemps encore puisqu'on le retrouve, d'après Armand Billard (1913-2004), à la date du 5 juillet 1928. Dans une auberge de Rougemontier, dans l'Eure, deux frères rencontrent un violoneux qui revenait d'un mariage terrifié par un loup :

"En traversant eun'bois i'fut surprins de s'aperchever qu'il avait été sieuvit pa'eun loup. Pou'calmi l'animal i'li avait baillé morciau pa'morcé la nourolle qu'i rapportait cheu li. Mais le gâtiau mâqué, le loup sieuvait toujours. Pisd'pus en pus menachant, not'e homme avait eu la présenche d'esprit de saisi s'archet pis de jouer les meilleus morciâs de san repertoire. S'i fallait mouri, autant le faire en musique.
Le loup, brun ha bitué à tieulle sérénade, pris la poud'e d'escampette. Les loups, com'les quins, n'aiment pas biaucoup le son des instruments. Chela leus agache les nerfs." (...)"

Jean-Marc Moriceau, L'homme contre le loup. Une guerre de deux mille ans, Fayard, 2011 (Pluriel, 2013, pp. 135-136).

mercredi 28 novembre 2012

La danse des possédés (48)



Dance and Trance in Bali est tourné entre 1936 et 1938 par Margaret Mead (l'auteur du célèbre Mœurs et sexualité en Océanie) et son mari Gregory Bateson. Le film sort en 1952. Qui de la sorcière ou du dragon sera le vainqueur ?

lundi 17 septembre 2012

Il n'y a pas de Nature


C'est en achevant notre lecture qu'on a la bonne idée d'aller chercher la traduction de l'extrait d'un très beau poème de Pessoa (uniquement donné dans sa langue originale) placé par Philippe Descola en exergue de son Par-delà nature et culture (Gallimard, 2005). Et en-dessous, un extrait de l'ouvrage (ô combien percutant et fascinant) dudit Descola (pp. 26-27). Pour que je considère les chats des voisins dans un rapport totémique, il n'y a désormais plus qu'un pas...

"J’ai vu qu’il n’y a pas de Nature,
Que Nature n’existe pas,
Qu’il y a collines, vallées, plaines,
Qu’il y a arbres, fleurs, herbages,
Qu’il y a rivières et pierres,
Mais qu’il n’y a pas un tout à quoi tout ça appartiendrait,
Qu’un ensemble réel et véritable
Est une maladie de nos idées.
La Nature est parties sans un tout.
Voilà peut-être le mystère en question dont ils parlent."
Alberto Caeiro, Le gardien de troupeaux, extrait du poème XLVII (1925) (traduction de Maria Antónia Câmara Manuel, Michel Chandeigne et Patrick Quillier).

"A l’instar des Achuar, les Makuna catégorisent les humains, les plantes et les animaux comme des « gens » (masa) dont les principaux attributs – la mortalité, la vie sociale et cérémonielle, l’intentionnalité, la connaissance – sont en tout point identiques. Les distinctions internes à cette communauté du vivant reposent sur les caractères particuliers que l’origine mythique, les régimes alimentaires et les modes de reproduction confèrent à chaque classe d’êtres, et non pas sur la plus ou moins grande proximité de ces classes au paradigme d’accomplissement qu’offriraient les Makuna. L’interaction entre les animaux et les humains est également conçue sous la forme d’un rapport d’affinité, quoique légèrement différent du modèle achuar, puisque le chasseur traite son gibier comme une conjointe potentielle et non comme un beau-frère. Les catégorisations ontologiques sont toutefois beaucoup plus plastiques encore que chez les Achuar, en raison de la faculté de métamorphose reconnue à tous : les humains peuvent devenir des animaux, les animaux se convertir en humains, et l’animal d’une espèce peut se transformer en un animal d’une autre espèce. L’emprise taxinomique sur le réel est donc toujours relative et contextuelle, le troc permanent des apparences ne permettant pas d’attribuer des identités stables aux composantes vivantes de l’environnement.
La sociabilité imputée aux non-humains par les Makuna est aussi plus riche et plus complexe que celle que les Achuar leur reconnaissent. Tout comme les Indiens, les animaux vivent en communauté, dans des « longues-maisons » que la tradition situe au cœur de certains rapides ou à l’intérieur de collines précisément localisées ; ils cultivent des jardins de manioc, se déplacent en pirogue et s’adonnent, sous la conduite de leurs chefs, à des rituels tout aussi élaborés que ceux des Makuna. La forme visible des animaux n’est en effet qu’un déguisement. Lorsqu’ils regagnent leurs demeures, c’est pour se dépouiller de leur apparence, revêtir parures de plumes et ornements cérémoniels, et redevenir de manière ostensible les « gens » qu’ils n’avaient pas cessé d’être lorsqu’ils ondoyaient dans les rivières et fourrageaient dans la forêt."
 

vendredi 10 août 2012

Contre l'amitié généralisée


Deux extraits de : Pierre Clastres, Archéologie de la violence. La guerre dans les sociétés primitives, 1977.

"(...) L'hypothèse de l'amitié de tous avec tous entre en contradiction avec le désir profond, essentiel de chaque communauté de maintenir et déployer son être de totalité une, c'est-à-dire sa différence irréductible par rapport à tous les autres groupes, y compris les voisins amis et alliés. La logique de la société primitive, qui est une logique de la différence, entrerait en contradiction avec la logique de l’échange généralisé qui est une logique de l’identité, parce qu’elle est une logique de l’identification. Or, c’est cela que par-dessus tout refuse la société primitive : refus de s’identifier aux autres, de perdre ce qui la constitue comme telle, son être même et sa différence, la capacité de se penser comme Nous autonome. Dans l’identification de tous à tous qu’entraîneraient l’échange généralisé et l’amitié de tous avec tous, chaque communauté perdrait son individualité. L’échange de tous avec tous serait la destruction de la société primitive : l’identification est un mouvement vers la mort, l’être social primitif est une affirmation de vie. La logique de l’identité donnerait lieu à une sorte de discours égalisateur, le maître mot de l’amitié de tous avec tous étant : " nous sommes tous pareils ! " Unification en un méta-Nous de la multiplicité des Nous partiels, suppression de la différence propre à chaque communauté autonome : abolie la distinction du Nous et de l’Autre, c’est la société primitive elle-même qui disparaîtrait. Il s’agit là non pas de psychologie mais de logique sociologique : il y a, immanente à la société primitive, une logique centrifuge de l’émiettement, de la dispersion, de la scission telle que chaque communauté a besoin, pour se penser comme telle (comme totalité une), de la figure opposée de l’étranger ou de l’ennemi, telle que la possibilité de la violence est inscrite d’avance dans l’être social primitif ; la guerre est une structure de la société primitive et non l’échec accidentel d’un échange manqué. À ce statut structural de la violence répond l’universalité de la guerre dans le monde de Sauvages."

"Qu'est-ce que la société primitive ? C'est une multiplicité de communautés indivisées qui obéissent toutes à une même logique du centrifuge. Quelle institution à la fois exprime et garantit la permanence de cette logique ? C'est la guerre, comme vérité des relations entre les communautés, comme principal moyen sociologique de promouvoir la force centrifuge de dispersion contre la force centripète d'unification. La machine de guerre, c'est le moteur de la machine sociale, l'être social primitif repose entièrement sur la guerre, la société primitive ne peut subsister sans la guerre. Plus il y a de la guerre, moins il y a de l'unification, et le meilleur ennemi de l'Etat, c'est la guerre. La société primitive est société contre l'Etat en tant que société-pour-la-guerre."

dimanche 13 novembre 2011

Des livres furent ouverts. Et un autre livre fut ouvert, celui qui est le livre de vie.

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Malgré le titre de ce post, on trépigne à l'idée de découvrir les 10 DVD du coffret Filmer le monde. Les prix du festival Jean Rouch (Editions Montparnasse) qui reprend 25 documentaires primés lors d'un festival dont la 30e édition a lieu actuellement à Paris. Niveau cinéma documentaire, on en profite également pour mentionner l'excellente programmation du festival Filmer à tout prix, dont une soirée en compagnie de Jean-Louis Comolli ce soir à Flagey dès 19.00.
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mercredi 9 novembre 2011

Une berceuse pour aller dormir


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Hier, c'était un peu comme ça.
Pour plus d'infos sur la vidéo (un documentaire d'Alain Epelboin et François Gaulier, 1987, CNRS), voir ici.
Bonne nuit.
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mardi 4 octobre 2011

Du cannibalisme humanisant

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Cette toile (Copenhague, Nationalmuseet) d'Albert Eckhout montre une femme cannibale Tapuya peinte au Brésil en 1641. Le peintre hollandais est à l'époque chargé par le comte Maurice de Nassau d'enregistrer les différents types humains et les richesses naturelles de la colonie. Le portrait est composé de manière classique, avec le modèle en pied au premier plan d'un vaste paysage. Aucun artifice ne semble accuser la bestialité de la cannibale. Tout semble presque normal, hormis l'avant-bras porté par la femme et la jambe dans son panier. Le peintre fait-il preuve d'ironie, se conforme-t-il à une vision du bon sauvage ou a-t-il une intuition de la nature humanisante du cannibalisme ? Bien plus tard (mais c'est déjà ce que pensait Voltaire, à quelques différences près), Claude Levi-Strauss écrira dans son article Siamo tutti cannibali (Nous sommes tous des cannibales), publié dans La Repubblica le 10 octobre 1993 (extraits) :
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"Les auteurs qui nient l'existence présente et passée du cannibalisme prétendent que sa notion fut inventée pour creuser encore davantage le fossé entre les sauvages et les civilisés. Nous attribuerions faussement aux premiers des coutumes et des croyances révoltantes afin de nous donner bonne conscience et de nous confirmer dans la croyance en notre supériorité.
Inversons cette tendance et cherchons à percevoir dans toute leur extension les faits de cannibalisme. Sous des modalités et à des fins extraordinairement diverses selon les temps et les lieux, il s’agit toujours d'introduire volontairement, dans le corps d'êtres humains, des parties ou des substances provenant du corps d'autres humains. Ainsi exorcisée, la notion de cannibalisme apparaîtra désormais assez banale. Jean-Jacques Rousseau voyait l'origine de la vie sociale dans le sentiment qui nous pousse à nous identifier à autrui. Après tout, le moyen le plus simple d’identifier autrui à soi-même, c’est encore de le manger."
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jeudi 29 septembre 2011

La fabrique des images

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Après une écoute très stimulante du grand anthropologue français Philippe Descola, ce matin à l'ULg, on plonge dans un de ses classiques publiés dans la collection Terre Humaine : Les lances du crépuscule. Relations jivaros. Haute-Amazonie (1993). Dans cet ouvrage, le scientifique faisait état de son suivi des Jivaros Achar en Amazonie. Pour la peine, en voici un extrait ci-dessous (p. 381 de l'édition de poche) avec en prime une illustration de Philippe Munch d'un chamane soignant un malade issue du livre. Ce matin, Descola exposait quelques concepts clés de ses recherches récentes qui concernent "La fabrique des images" (d'après l'intitulé d'une expo qu'il a dirigée au Musée du quai Branly en 2010-2011) : naturalisme, animisme, analogisme et totémisme. Pour en savoir plus, voir ici plusieurs cours donnés au Collège de France à voir et écouter.
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"Bien souvent, les maux qui affligent le client d'un chamane sont imaginaires ou de type psychosomatique. J'ai vu plusieurs fois des gens quasiment à l'article de la mort, ayant abdiqué toute volonté de vivre tant ils étaient persuadés que rien ne saurait les délivrer de leur ensorcellement, et dont j'aurais pourtant parié qu'ils étaient en parfaite santé, vu l'absence apparente de tout symptôme préoccupant. Entraînés par l'un de leurs proches chez un uwishin renommé dont ils gagnaient la demeure avec une peine infinie, ils s'en revenaient quelques jours plus tard d'un pas vif et la mine florissante, délivrés d'un tourment qui n'avait sans doute jamais eu de base organique. Parce qu'ils apaisent l'angoisse de ceux qui les consultent, parce qu'ils les délivrent de l'aliénation terrible du face-à-face avec la douleur et l'inconnu, les chamanes arrivent même à provoquer un mieux-être temporaire chez des gens réellement malades, toute détérioration postérieure de leur état apparaissant moins comme le signe d'un échec que comme l'indice d'un nouvel ensorcellement sans rapport avec le premier. Contrairement à ce que pensent avec une certaine naïveté les missionnaires catholiques qui imputent le présent mercantilisme des chamanes jivaros à une navrante dégradation des valeurs antiques, il semble bien que le réconfort apporté par la cure soit proportionnel à son prix. Chacun sait ici que la guérison est d'autant plus rapide qu'elle a coûté plus cher, les chamanes ayant compris ce que les psychanalystes ont découvert tardivement, à savoir qu'il faut littéralement "payer de sa personne" pour faire d'une situation de dépendance la condition de son propre salut."
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lundi 19 septembre 2011

Le paradis blanc (2)

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On continue la semaine du froid avec deux textes frissonnants trouvés dans l'indispensable anthologie de Jerome Rothenberg Les techniciens du sacré (José Corti, 2007, pp. 295-296). Il s'agit de poèmes en prose esquimaux issus du classique de Knud Rasmussen Intellectual Culture of the Iglulik Eskimos (Copenhague, 1930). Et en bonus, quelques photographies d'Esquimaux réalisées par Edward S. Curtis en 1929 (avec notamment de la viande de baleine qui sèche en 3e position).
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"Mère & Enfant

Une femme enceinte mit au monde un enfant. À peine l'enfant était-il né qu'il se jeta sur sa mère & la tua. Puis il se mit à la manger.

Brusquement l'enfant s'écria:

Le petit doigt de ma mère est resté coincé en travers de ma gorge & je n'arrive pas à le retirer.

Sur ces mots, l'enfant se donna la mort, après avoir tué & dévoré sa mère

(raconté par Inugpasugjuk)

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La femme qui élevait une larve

Il était une fois une femme stérile qui ne pouvait pas avoir d'enfant. Elle finit par adopter une larve, qu'elle nourrissait en lui faisant sucer ses aisselles. Au bout de peu de temps, la larve se mit à grossir. Mais plus elle grandissait, et moins la femme avait de sang pour la nourrir. Elle allait donc souvent marcher dans le voisinage, pour activer sa circulation. Mais elle ne restait jamais longtemps loin de chez elle, car elle pensait sans cesse à sa larve chérie & se hâtait d'aller la retrouver. Elle lui manquait tellement, elle s'était tellement entichée d'elle que chaque fois, en arrivant dans l'entrée de sa maison, elle l'appelait en disant:

Oh, toi mon petit qui sais siffler, fais-moi"ti-i-i-i-I-I".

Et à peine avait-elle dit ça, que la larve lui répondait:

"ti-i-i-i-I-I".

La femme se hâtait alors d'entrer, prenait la larve sur ses genoux et lui chantait:

Toi mon petit qui m'apporteras de la neige

quand tu auras grandi

Toi mon petit qui m'apporteras de la viande

quand tu auras grandi...

Puis elle se mettait à la mordiller de partout, tellement elle l'aimait.

La larve grandit & finit par devenir énorme. Elle se mit alors à ramper dans le village, entre les maisons, & les gens avaient peur d'elle & voulaient la tuer-d'une part parce qu'ils avaient peur & d'autre part parce qu'ils se disaient que c'était vraiment une honte de rester les bras croisés, alors que cette malheureuse pâlissait de jour en jour, tant elle donnait de son sang.

Aussi, un jour où la femme était partie en visite, ils se rendirent dans sa maison & mirent la larve dehors, la poussant dans le caniveau. Puis les chiens se jetèrent sur elle et la déchiquetèrent. Le sang giclait de partout, car la larve en était pleine.

La femme revint de sa visite sans nourrir le moindre soupçon & une fois arrivée chez elle, elle appela la larve comme à son habitude. Mais personne ne lui répondit & la femme s'exclama:

Oh ils ont chassé de chez moi on enfant chéri.

Elle fondit en larmes & pénétra dans sa demeure en pleurant.

(raconté par Ivarluardjuk)"
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dimanche 11 avril 2010

Ce que savent les Aché

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"Bujamiarangi (un homonyme de celui qui copulait avec le fourmilier) était un Aché incestueux. Un jour, il oublia que cette jolie dare qui partageait sa hutte, c'était sa propre fille, il ne vit plus en elle qu'une femme désirable, et il la posséda. Ces choses se produisent rarement et les gens, tout en commentant sévèrement et en se moquant du coupable, n'estiment pas qu'il leur revient de châtier la faute : on sait bien qu'à leur mort les Bujamiarangi se transforment en chevreuil. Mais il y prit goût et persista à faire meno avec sa fille, au lieu d'en jouir une fois et de n'y plus penser. Son obstination indisposa les Aché et une femme exigea que son mari se chargeât de tuer Bujamiarangi : "Celui qui fait l'amour avec sa propre fille, il manque totalement de vaillance, les Aché ne veulent pas voir cela. Va le flécher !" Et elle ajouta, pour donner à son mari une raison supplémentaire d'accomplir le meurtre : "J'ai envie de manger de la chair d'Aché. Celui qu'il faut flécher, le possesseur de sa propre fille, c'est Bujamiarangi." Le mari tua le père incestueux, et les Aché le mangèrent. Qui fut plus puissant dans l'âme de l'épouse irritée : l'horreur de l'inceste ou le désir de la chair humaine ? Et la première pouvait-elle n'être qu'un alibi pour le second ? Pour décrire l'action de Bujamiarangi, les Aché utilisaient beaucoup moins le terme adéquat de meno - faire l'amour - que son équivalent, mais en bien plus brutal et sauvage dans l'esprit même des Indiens : uu, ou bien tyku - manger. "Bujamiarangi mange sa fille, moi je veux manger Bujamiarangi", voilà en fait ce que disait la femme. Voulait-elle, mais sur un plan inconscient, copuler symboliquement avec le père en le mangeant réellement, de la même manière que lui-même mangeait symboliquement sa fille en copulant réellement avec elle ? Peut-être, en effet, l'ambiguïté sémantique des mots pouvait-elle susciter un besoin de chair fraîche qui déguisait secrètement un désir d'ordre bien différent. Pourquoi les Aché seraient-ils moins que nous sensibles à la charge érotique que le langage laisse parfois éclater ?"
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Pierre Clastres, Chronique des Indiens Guayaki. Ce que savent les Aché, chasseurs nomades du Paraguay (Terre Humaine/Poche, édité pour la première fois en 1972), pp. 263-264.
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Grand livre.
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Quelques textes et interviews de Pierre Clastres, dont certains repris dans l'anthologie La société contre l'état (Editions de Minuit), sont lisibles en ligne, notamment ici. La photographie ci-dessus, montrant un Aché malade recouvert de plumes de vautour en 1963, est issue du fonds Sebag du Laboratoire d'anthropologie sociale. Pour l'info, Lucien Sebag a publié en juin 1964 dans la revue Les Temps modernes une Analyse des rêves d'une Indienne guayaki (ici, un article au sujet de cette étude).
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mercredi 4 novembre 2009

Bon voyage quand même

Rue des Archives/PVDE
L'anthropologue Claude Lévi-Strauss en Amazonie au Brésil.
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"Je hais les voyages et les explorateurs."
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1908-2009
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