dimanche 28 décembre 2008

La mémoire et le gardien


Toutes les fins d'année, les classements fleurissent sur Internet, dans la presse... Qu'il soit uniformisé, hors normes ou sans saveur, le bon goût révélé par ces classifications permet, par un exercice de mémoire à court terme, de communiquer à ses pairs sa (supposée) propre vision de l'année musicale, littéraire ou cinématographique.

La lecture de ces listes me permet parfois de faire de belles découvertes, mais elle peut évoquer en moi un sentiment de nostalgie et de dépit. L'année est finie, il faut ranger et ne surtout pas laisser en chantier toutes ces œuvres dont le statut est encore en train de se construire. Pour ma part, la commémoration peut attendre.

J'écoute beaucoup ces jours-ci le dernier album de The Caretaker Persistent Repetition of Phrases (Installsound). Comme le montrent les titres des morceaux (Lacunar Amnesia, Past Life Regression...), le travail sur la mémoire et les affections de cette dernière est capital pour l'artiste. D'ailleurs, il utilise principalement des samples de jazz et d'easy-listening de la première moitié du 20e siècle qu'il transforme en les ralentissant, leur ajoutant de la réverbération ou des craquements de vinyles.

Il s'agit d'une musique à la fois lyrique et sinistre, pleine d'ombres et de fantômes. Elle pourrait constituer la bande-son parfaite d'une visite en scaphandre d'un bateau de croisière coulé il y a des décennies. Plus sûrement, elle illustre à merveille l'effacement progressif des souvenirs d'une certaine mémoire collective pour des temps et musiques révolus.

Quand je me souviendrai de 2008, 1948, 1908...

mercredi 24 décembre 2008

Mes animaux préférés


Suite au concert du pianiste Steve Beresford et du saxophoniste Lol Coxhill (ce 14 décembre à l'Archiduc), j'ai souhaité m'intéresser d'un peu plus près à la discographie du premier. Je suis assez vite tombé sur sa participation au "super groupe" anglais Alterations, composé de David Toop, Peter Cusack, Terry Day et lui-même.

Leur quatrième et dernier disque My Favourite Animals (1984) témoigne de l'intérêt des membres du groupe pour l'ouverture de l'improvisation à des musiques plus populaires. Les dérapages contrôlés et collages dadaïstes qui en résultent en font un disque hautement jouissif. On peut y entendre pêle-mêle de la country psychédélique, de la musique électronique primitive, de la no-wave déglinguée, du jazz ou encore des échos de musiques traditionnelles extrême-orientales ou caribéennes.

On peut écouter cet album, le seul du groupe actuellement réédité, ici.

lundi 22 décembre 2008

Haïkus de prison


Pour survivre aux courses de Noël, j'achète en passant les Haïkus de prison de Lutz Bassmann (Verdier, 2008). Debout dans un rayon malodorant de Paris XL, je découvre à nouveau ce monde post-exotique, absurde et cruel, créé par un hétéronyme d'Antoine Volodine. De ce cadre carcéral dans un monde en ruines d'une noirceur absolue se dégage un humour coup de poing aux effets revitalisants. Pour plus d'infos sur le livre, voir ici.

Quelques exemples :

L'odeur d'oignon
chevauche l'odeur d'urine
bientôt la soupe du soir

Peu à peu la lune parcourt le ciel
aucun oiseau
ne passe devant

L'idiot perd son survêtement
il n'aurait pas dû
vendre l'élastique

L'infirmerie n'est pas très sûre
plus d'un vieux
n'en est pas revenu

vendredi 19 décembre 2008

Une symphonie adolescente

Il y a des albums qui dès les premières minutes laissent pantois et rêveurs. Marble Surf de James Ferraro en fait partie sans aucun doute. Avec ses deux morceaux formant une longue suite, ce disque parvient à accomplir un fantasme de synthèse de pop-gospel-minimalisme-lo-fi d'une grande spontanéité. Des chœurs angéliques associés à quelques notes de synthé répétitives entraînent dans une spirale d'émotion ascendante, tandis que la réverbération et l'aspect sale du son accentuent le côté enveloppant de cette musique mystique. Mélange improbable entre Beach Boys, Terry Riley, Charlemagne Palestine..., le disque constitue un exemple renversant de 'teenage symphony to God', comme il a été décrit sur le site de Volcanic Tongue où il est en vente. James Ferraro fait partie des Skaters (un duo de noise psyché plus abrasif) et sort plusieurs CD-R par an, à découvrir absolument.

mercredi 17 décembre 2008

Genèse d'un repas


Dans l'Essai d'ouverture de Luc Moullet, le mélange d'absurde et de tragique s'incarne principalement dans le réalisateur à l'allure cartoonesque. Même si on rit beaucoup durant la vision de ce court métrage, le côté monomaniaque confinant à l'obsession de cet homme passant sa vie à essayer d'ouvrir une bouteille de coca peut mettre mal à l'aise. Ce type d'humour qui peut à tout moment basculer se retrouve dans ses autres films dont six ont été réédités dans un coffret en 2006.
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Dans Genèse d'un repas (1978), le cinéaste se met à nouveau en scène et s'interroge sur les différentes chaînes de production qui lui ont permis de déguster une omelette, du thon en boîte et des bananes. Il part alors à la rencontre des cultivateurs, éleveurs, grossistes, importateurs et autres fabricants. Il les questionne sur leur salaire et leur confort de travail et révèle ainsi des incohérences, et même des injustices et des mensonges, au niveau des stratégies publicitaires ou encore des différences de traitement entre ouvriers du nord et du sud.
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Le réalisateur va même plus loin. Il part en effet de l'idée que toute personne qui vit et donc consomme de quelque manière que ce soit est coupable par rapport à certains de ses semblables. Il va donc remonter la chaîne de production des pellicules qu'il emploie pour son film et finir par se mettre en cause. Par rapport aux gens qu'il a interviewés, est-il un voyeur, un exploiteur d'un nouveau genre ? Cette interrogation sur le rôle et les procédés du cinéaste-documentariste achève un film qui va donc plus loin qu'une charge simpliste contre le système capitaliste.

mardi 16 décembre 2008

Pour les ornithologues et les autres

Quelques disques auxquels participe le saxophoniste Evan Parker figurent parmi mes albums préférés. Il y en a un pourtant dont l'écoute me plonge à chaque fois dans un état de torpeur béate : Evan Parker with Birds, sorti en 2004 sur le label Treader (lancé par John Coxon et Ashley Wales du groupe d'improv pop Spring Heel Jack). Ces deux derniers ont pour l'occasion créé une chape sonore composée de chants d'oiseaux juxtaposés et associés à des manipulations électroniques. Sur cette base, Evan Parker improvise au saxophone en utilisant différentes techniques avec une grande subtilité : souffle circulaire, percussions sur les touches de l'instrument... Comparativement à d'autres enregistrements, le jeu du saxophoniste est marqué par une grande retenue. Par moments, seul son souffle est perceptible. Ailleurs, on ne sait plus distinguer le cri de l'oiseau de celui de l'artiste. Un dialogue fragile s'installe parfois, avant d'être interrompu par le cri retentissant d'un faisan. J'adore me plonger dans cette atmosphère très poétique évoquant des ambiances de sous-bois à l'aube ou au crépuscule. Le disque est dédié à la mémoire du grand Steve Lacy. D'autres disques magnifiques sont parus sur le label Treader : on peut y croiser des anciens tels que John Tchicai ou Wadada Leo Smith, mais aussi de plus jeunes improvisateurs à la carrière déjà bien entamée comme Alex Ward ou les membres de Spring Heel Jack. Tous ces disques sont marqués par une ligne graphique sobre et cohérente, puisque chacun d'entre eux est monochrome et décoré par une image d'animal.

lundi 15 décembre 2008

Jooklo et les maîtres fous


Ce samedi 13 décembre, la première édition du festival prometteur L'aventure c'est l'avventura avait lieu au Carlo Levi à Liège. Je rate malheureusement les quelques groupes liégeois et bruxellois en début de soirée pour arriver dans un cadre réchauffé par de magnifiques affiches reproduisant de curieuses photographies datant du début du 20e siècle. Un cadre parfait pour la musique psychédélique d'Ernesto Gonzales dans son projet Bear Bones Lay Low. Le jeune homme, qui officie également au sein du très estimable Silvester Anfang (des albums de black n'wood folk parus notamment sur Kraak) et prend part à divers projets du label Funeral Folk, lance des boucles avec sa guitare et diverses pédales d'effets. Plus rugueuse par le passé, notamment sur son album Djid Hums (Gipsy Sphinx), sa musique est ici éclairée par quelques souffles rhythmiques et notes (presque) joyeuses au synthé.

Une belle introduction à une découverte : le groupe France. Ce dernier se caractérise par l'association à une partie rhythmique irréprochable (basse-batterie) d'une vielle à roue reliée à divers effets. Un seul morceau de plus de trente minutes d'un groove hypnotique puissant emporte les premiers rangs, tandis que les hurlements de la vielle écorchent les tympans avec bonheur. La galaxie répétitive et planante du krautrock n'est pas loin. Je passe à côté du CD-R du groupe. Dommage...

Comme en témoigne l'affiche illustrée ci-dessus, France accompagne actuellement en tournée le groupe Golden Jooklo Age. Ce trio italien est notamment composé de la saxophoniste Virginia Genta et du batteur David Vanzan. Tous deux, ils constituent le noyau dur du label Troglosound et de la galaxie Jooklo qui peut partir en tournée aussi bien en duo qu'en sextet, quartet... Leurs albums paraissent entre autres (et sont malheureusement trop vite épuisés) sur le label culte Qbico.

Leur free jazz psychédélique est absolument à voir en concert. Les dérives musicales pleines de souffle et de vie qu'ils font naître reposent particulièrement sur le jeu de batterie à la fois souple et tendu de David et les envolées de la saxophoniste qui laisse parfois échapper des hurlements rauques entre ses solos. Le troisième homme collecte des sonorités avec une nonchalance seulement apparente en utilisant bols chantants, mandoline...


Beau hasard, les Italiens vendent un CD-R de leur label Troglosound intitulé Maitres Fous ! Une discussion avec la saxophoniste m'apprend que le titre fait bien, comme ce blog, référence au film de Jean Rouch. Ce sont leurs amis du groupe France, avec qui ils ont enregistré le disque juste après, qui leur ont fait découvrir le film. Je ne sais pas si on peut trouver des échos de la transe de la secte des Haouka filmée par Jean Rouch dans leur musique. Quoi qu'il en soit, on peut y entendre les mêmes résonances cosmiques que celles créées en live.

Un deuxième groupe italien, ajouté à l'affiche au dernier moment, joue juste après. Je ne sais plus leur nom. Je n'ai rien entendu. J'étais au bar. Mea Culpa. Et merci aux initiateurs de ce bel évènement.

mercredi 10 décembre 2008

Images du monde visionnaire


Je découvre sur Ubuweb Images du monde visionnaire réalisé par Eric Duvivier d'après les conseils et avec la participation d'Henri Michaux (1964). Il s'agit d'un film éducatif "produced in 1963 by the film department of Swiss pharmaceutical company Sandoz (best known for synthesizing LSD in 1938) in order to demonstrate the hallucinogenic effects of mescaline and hashish" (d'après l'excellent blog Ombres blanches d'où la photo ci-dessus est issue). Le film est d'ailleurs également visible sur Canal U (un site français consacré à des vidéos éducatives pour l'enseignement supérieur) dans sa section médecine. Comme pour certains de ses écrits, Michaux exploite son expérience de consommateur de drogues. Le résultat, plutôt flippant, se rapproche du cinéma d'avant-garde de cette époque. D'ailleurs, Eric Duvivier a par la suite adapté le recueil de collages de Max Ernst La femme 100 têtes.
Pour plus d'infos, voir sur Ombres blanches.

mardi 9 décembre 2008

Le musée secret de l'humanité


Quelques superbes compilations sorties ces derniers temps témoignent d'un intérêt grandissant pour l'âge d'or de l'enregistrement des musiques traditionnelles durant la première moitié du 20e siècle. On peut citer par exemple les Victrola Favorites de Rob Millis et Jeffery Taylor du groupe Climax Golden Twins, le Black Mirror: Reflections in Global Musics compilé par Ian Nagoski (toutes deux sorties sur le très estimable label Dust-to-Digital) ou encore les compilations Honest Jon's réalisées à partir des archives EMI (Living is Hard - West African Music In Britain, 1927-1929, Give me Love - Songs Of The Brokenhearted, Baghdad, 1925-1929 et Sprigs of Time - 78s From The EMI Archive).

Ces compilations juxtaposent la plupart du temps des morceaux de musique issus de sphères culturelles bien différentes. On passe ainsi d'un rebetiko à une tarentelle en passant par un chant de muezzin. Par cet art du collage, ces disques se rapprochent plus d'espèces de coffres à trésors hétéroclites que d'études sur telle ou telle culture musicale. En cela, on est loin des productions de labels comme Ocora ou Colophon dont chaque sortie s'intéresse de près à une production bien précise. Ici, plus que l'aspect documentaire, ce sont la variété, la surprise, voire le tube qui sont recherchés. Il faut par exemple aller écouter le jodle fou de Goebel Reeves dans The Cowboy's Dizzy Sweetheart pour s'en rendre compte.

Ces compilations me font penser à la profession de foi de Daniel Padden, membre du groupe Volcano the Bear et grand collectionneur-amateur de musiques traditionnelles, dans le Wire no 289 d'avril 2008. Dans ce dernier, Padden dit son enthousiasme pour ces musiques qui, souvent, restent comme des témoins de mondes disparus. Il avoue pourtant ne pas toujours s'intéresser aux notes des livrets qui accompagnent les disques. En effet, ce qui le fait vibrer dans ces derniers, ce sont la matière sonore et le geste musical proprement dits, l'émotion et la poésie qui en découlent. L'expérience qu'il en retire nourrit sans aucun doute sa propre musique, comme le laisse supposer l'écoute de ses propres disques.


Une autre série de compilations intitulée The Secret Museum of Mankind est parue durant la seconde moitié des années 1990 sur la label Yazoo et peut être rangée dans la même catégorie. Déjà le titre suggère cette idée de trésor, d'obscurité que seuls quelques initiés pourrraient découvrir. Cinq disques présentant des enregistrements issus du monde entier sont sortis, tandis que trois autres volumes sont consacrés à une sphère géographique plus précise, mais toujours large (Asie centrale, Afrique du Nord et Afrique de l'Est). Tous les morceaux ont été enregistrés entre 1925 et 1948, c'est-à-dire durant la période de production des disques 78 tours. On y trouve de nombreuses perles, pour faire la fête ou songer à la disparition progressive de l'humanité.

lundi 8 décembre 2008

Naviguer dans le Grand


Ce matin, sans raison précise, je me rappelle ce courrier de Gustave Flaubert à son ami Louis Bouilhet le 30 septembre 1855. A cette date, Flaubert est toujours empétré dans l'écriture de sa Bovary. Ici, il essaie de donner des conseils à son ami, également écrivain.

"Croisset, dimanche, 3 heures [30 septembre 1855].

Causons un peu, mon pauvre vieux. La pluie tombe à torrents, l'air est lourd, les arbres mouillés et déjà jaunes sentent le cadavre. Voilà deux jours que je ne fais que penser à toi et ta désolation ne me sort pas de la tête.

Je me permettrai d'abord de te dire (contrairement à ton opinion) que si jamais j'avais douté de toi, je n'en douterais plus aujourd'hui ; les obstacles que tu rencontres me confirment dans mes idées. Toutes les portes s'ouvriraient si tu étais un homme médiocre. Au lieu d'un drame en cinq actes, à grands effets et à style corsé, présente une comédie "Pompadour, agent de change", et tu verras quelles facilités, quels sourires, quelles complaisances pour l'oeuvre et l'auteur ! Ne sais-tu donc pas que dans ce charmant pays de France on exècre l'originalité ? Nous vivons dans un monde où l'on s'habille de vêtements tout confectionnés. Donc, tant pis pour vous si vous êtes trop grand ; il y a une certaine mesure commune, vous resterez nu. Ouvre l'histoire et si la tienne (ton histoire) n'est pas celle de tous les gens de génie, je consens à être écartelé vif. On ne reconnaît le talent que quand il vous passe sur le ventre et il faut des milliers d'obus pour faire son trou dans la Fortune. J'en appelle à ton orgueil, remets-toi en tête ce que tu as fait, ce que tu rêves, ce que tu peux faire, ce que tu feras, et relève-toi, nom d'un nom, considère-toi avec plus de respect ! et ne me manque pas d'égards, dans ton for intérieur, en doutant d'une intelligence qui n'est pas discutable.

(...)

Mais nous, nous ne profitons de rien. Nous sommes seuls. Seuls, comme le Bédouin dans le désert. Il faut nous couvrir la figure, pour serrer dans nos manteaux et donner tête baissée dans l'ouragan – et toujours, incessamment – jusqu'à notre dernière goutte d'eau, jusqu'à la dernière palpitation de notre coeur. Quand nous mourrons, nous aurons cette consolation d'avoir fait du chemin, et d'avoir navigué dans le Grand.

Je sens contre la bêtise de mon époque des flots de haine qui m'étouffent. Il me monte de la m... À la bouche comme dans les hernies étranglées. Mais je veux la garder, la figer, la durcir ; j'en veux faire une pâte dont je barbouillerai le dix-neuvième siècle, comme on dore de bouse de vache les pagodes indiennes, et qui sait ? cela durera peut-être ? Il ne faut qu'un rayon de soleil ! l'inspiration d'un moment, la chance d'un sujet !

Allons, Philippe, éveille-toi ! De par l’Odyssée, de par Shakespeare et Rabelais, je te rappelle à l'ordre, c'est-à-dire à la conviction de ta valeur. Allons, mon pauvre vieux, mon roquentin, mon seul confident, mon seul ami, mon seul déversoir, reprends courage, aime-nous mieux que cela. Tâche de traiter les hommes et la vie avec la maestria (style parisien) que tu as en traitant les idées et les phrases.

La Bovary va pianissimo. Tu devrais bien me dire quelle espèce "de monstre" il faut mettre dans la côte du Bois-Guillaume. Faut-il que mon homme ait une dartre au visage, des yeux rouges, une bosse, un nez de moins ? Que ce soit un idiot ou un bancal ? Je suis très perplexe. Diable de père Hugo avec ses culs-de-jatte qui ressemblent à des limaces dans la pluie ! C'est embêtant !

Adieu, écris-moi tous les jours, si tu es triste. Je te répondrai. Donne-toi bien vite, pendant que tu y es, une bosse de désespoir et puis finis-en. Sors-en. Remonte sur ton dada et mène-le à grands coups d'éperon. "Les grandes entreprises réussissent rarement du premier coup." (Oeuvres de Napoléon III. )

Je t'embrasse de toute mon amitié et de toute ma littérature ; à toi, à toi."


La correspondance de Flaubert est disponible en accès libre sur le site de l'Université de Caen.

dimanche 7 décembre 2008

Un contrebassiste de passage


Parmi mes meilleurs moments musicaux cette année figurent diverses performances vues au festival NPAI (Nouvelles Pistes Artistiques Inclassables) à Niort. Cette petite ville vendéenne accueille désormais ce festival qui est un des plus défricheurs dans son genre depuis déjà de nombreuses années. Durant quatre jours (du 30 juillet au 2 août), danse, poésie, free jazz, noise et improvisation se succèdent et s'interpénètrent dans divers lieux (de la chapelle au centre culturel en passant par une grande scène en extérieur). On a pu y voir le poète sonore Paul Dutton, OffOnOff (composé de Paal Nilssen-Love, Terrie Ex et Massimo Pupillo), le saxophoniste Jean-Luc Guionnet, le sauvage abstrait Mattin, le KTL de Stephen O'Malley et de Pita, la danseuse Yukiko Nakamura et bien d'autres.


Clayton Thomas est un jeune contrebassiste au succès grandissant, révélé dans nos régions par le festival Jazz à Mulhouse. D'origine australienne, il est maintenant établi à Berlin et multiplie les collaborations tous azimuts, de Evan Parker à The Ex en passant par Ken Vandermark ou encore Thomas Ankersmit. Il est également impliqué dans l'organisation du festival Now Now en Australie et dirige le Splinter Orchestra (un ensemble dédié à l'improvisation pouvant compter jusqu'à une cinquantaine de membres).

Deux concerts durant le festival m'ont permis d'avoir un aperçu des diverses facettes de son talent. Son trio avec le saxophoniste Jean-Luc Guionnet et le batteur Will Guthrie fait dans le free jazz bouillonnant. Leur musique vrombissante claque et fouette, c'est du bon ! Pourtant, la performance la plus impressionante du contrebassiste est certainement son solo, organisé dans une petite chapelle du centre ville. Armé d'une plaque d'immatriculation, d'archets, de tubes, de différentes baguettes en bois ou en métal et d'autres accessoires, Clayton Thomas travaille son instrument dans tous les sens. La musique, qui alterne passages percussifs, drones et autres frottements, est aussi fascinante que le spectacle qui découle de sa réalisation. On retrouve une exploitation de l'instrument aussi inventive chez d'autres jeunes frondeurs-bricoleurs du son, par exemple chez le batteur Chris Corsano.


Je rate le duo de Clayton Thomas et de son compatriote Robin Fox (ordinateur) pour cause de balade dans la marais poitevin. Sans regret quoique... Leur album Substation (sur le label Room 40) est une merveille d'électro-acoustique nerveuse et concentrée où la pièce centrale, Dust on the diodes, d'une trentaine de minutes, irradie le reste des compositions et imprègne durablement l'auditeur. Durant ce bloc sonore monumental, on entend notamment des cordes frottées traitées par ordinateur auxquelles sont ajoutées des percussions, le tout formant un drone évolutif évoquant aussi bien les éléments naturels en furie que le pizzicato d'un violoniste épileptique. Sur sa page, le contrebassiste annonce la parution d'un album solo intitulé More Devils Than Bullets (label non précisé). On attend ça avec impatience, tout comme d'autres concerts du musicien.
La première photo de ce message, de Clayton Thomas à Niort le 1er août 2008, est de Bruno Derbord.

samedi 6 décembre 2008

Lol et les guitares

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Hier, j'ai découvert un morceau qui d'emblée s'est rangé dans mon panthéon personnel. 'The Wakefield Capers' ouvre l'album The Joy of Paranoia de Lol Coxhill (1978), réédité en CD avec Diverse (1977) sur une compilation intitulée Coxhill on Ogun (Ogun est le nom du label). D'une longueur d'un peu moins de 20 minutes, The Wakefield... est un morceau-monde dans lequel la diversité stylistique ne nuit absolument pas à l'impact émotionnel délivré par le saxophoniste accompagné de trois guitares et d'une contrebasse. Au début, une rythmique funk laisse bientôt place à des guitares hispanisantes accompagnées de notes de saxophone hoquetées et à peine soufflées. Toujours avec les guitares, le saxophoniste se lance alors dans un solo d'une beauté à couper le souffle où montée en puissance, chaleur et groove se combinent en une classe absolue. Encore plus loin, un solo de contrebasse interrompt la danse, avant que l'ensemble reparte de plus belle pour terminer dans une apothéose free sauvage. Promis, ce week-end, j'écoute le reste de l'album !
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Tout ça pour dire également que Lol Coxhill jouera en compagnie du pianiste Steve Beresford ce dimanche 14 décembre à 17.00 à l'Archiduc à Bruxelles.
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vendredi 5 décembre 2008

The sound of da police


Cela fait un bout de temps que je n'ai plus entendu un tel concentré de fureur contrôlée. Le dernier album de Hair Police, Certainty of Swarms, est sorti sur No Fun Productions cette année. Leur free punk industriel noise évoque des ambiances de films d'horreur que l'on n'aurait pas ôsé tourner. Un des titres de l'album s'appelle Intrinsic to the Execution, c'est dire ! Comme chez Wolf Eyes dont le groupe est très proche (Mike Connelly fait partie des deux groupes), les passages plus sereins (et là, je suis proche de l'ironie) accentuent encore plus la puissance des explosions de basse et des éructations du chanteur. A voir en concert sans aucun doute, un avant-goût ici.

jeudi 4 décembre 2008

Mourir dans la neige

Comme il neige aujourd'hui, j'ai une pensée pour Robert Walser. Et si on lisait sa Promenade, rédigée en 1917 et parue en français dans la collection L'imaginaire chez Gallimard ?
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« Un matin, l'envie me prenant de faire une promenade, je mis le chapeau sur la tête et, en courant, quittai le cabinet de travail ou de fantasmagorie pour dévaler l'escalier et me précipiter dans la rue. Dans l'escalier, je fus croisé par une femme qui avait l'air d'une Espagnole, d'une Péruvienne ou d'une créole, et qui affichait quelque majesté pâle et fanée. Pour autant que je m'en souvienne, je me trouvai, en débouchant dans la rue vaste et claire, d'une humeur aventureuse et romantique qui m'emplit d'aise. Le monde matinal qui s'étalait devant moi me parut si beau que j'eus le sentiment de le voir pour la première fois... »
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mercredi 3 décembre 2008

Un homme qui dort


J'ai lu L'homme qui dort de Georges Perec (paru en 1967 chez Gallimard) un peu par hasard. J'avais bien aimé Les choses et La vie, mode d'emploi et les textes plus oulipiens me faisaient souvent rire. Je n'avais pas été préparé à cette prose désespérée, sèche et concise. L'histoire est simple. Un étudiant à Paris décide de quitter sa vie. Du jour au lendemain, il arrête ses études, reste dans sa chambre à regarder les murs et écouter les gouttes tomber du robinet. Il va de bar en bar, à la recherche de rien.

Le constat amer de cette dérive est qu'on ne peut même pas la considérer comme une révolte ou un refus de la société. En effet, comme l'écrit Perec : «Tu n'as rien appris, sinon que la solitude n'apprend rien, que l'indifférence n'apprend rien: c'était un leurre, une illusion fascinante et piégée. Tu étais seul et voilà tout et tu voulais te protéger: qu'entre le monde et toi les ponts soient à jamais coupés. Mais tu es si peu de chose et le monde est un si grand mot: tu n'as jamais fait qu'errer dans une grande ville, que longer sur quelques kilomètres des façades, des devantures, des parcs et des quais. L'indifférence est inutile. Tu peux vouloir ou ne pas vouloir, qu'importe! Faire ou ne pas faire une partie de billard électrique, quelqu'un, de toute façon, glissera une pièce de vingt centimes dans la fente de l'appareil. Tu peux croire qu'à manger chaque jour le même repas tu accomplis un geste décisif. Mais ton refus est inutile. Ta neutralité ne veut rien dire. Ton inertie est aussi vaine que ta colère.»

Un des ingrédients de la réussite de ce livre est la façon dont le narrateur s'adresse en tu au lecteur, comme si ce dernier était lui-même l'objet du malaise existentiel. Par sa nature, le livre s'intègre parmi les classiques de la littérature du renoncement, aux côtés par exemple de Bartleby le scribe de Herman Melville.

Après cette lecture, je me suis tout de suite procuré la réédition en dvd du film adapté du bouquin en 1974 par Georges Perec et Bernard Queysanne. Ce film en noir et blanc est un choc à plus d'un titre. Le caractère hypnotique du texte est ici accentué par sa récitation par une voix féminine, celle de Ludmila Mikael. L'ambiance musicale, composée par Philippe Drogoz et Eugénie Kuffler, évoque aussi bien la musique concrète que des atmosphères sinistres et oppressantes que ne devrait pas renier un groupe comme Nurse with Wound. La mise en scène s'accorde parfaitement au propos en alternant plans fixes, travellings lents sur des détails et déambulations dans les rues d'un Paris cauchemardesque à souhait.

Le film a obtenu le prix Jean Vigo en 1974, puis est tombé dans l'oubli avant d'être édité en DVD par La Vie Est Belle Films.

Ici, les dix premières minutes du film.
Je trouve à l'instant sur la toile la référence d'un article prometteur : YVAN FREDERIC "L'extase du vide de Un homme qui dort à Espèces d'espaces de Georges Perec." dans Savoirs et clinique 8 (2007): pp. 143-153.

mardi 2 décembre 2008

Une balade en forêt


En 1977, à la fin de l'hiver, le saxophoniste Peter Brötzmann et le percussionniste Han Bennink s'enfoncent dans les bois de la Forêt-Noire avec un enregistreur portable. Ils ont plusieurs instruments : à vent bien sûr, mais aussi bâtons de bois, jouets, appeaux, cymbales... Ils ont surtout à leur disposition les éléments qui les entourent : l'eau qui coule et que l'on peut faire éclabousser en rythme (ou pas), des pierres et des morceaux de bois que l'on entrechoque, les chants d'oiseaux... A l'écoute de Schwarzwalfahrt, réédité en 2005 sur le label Atavistic, on peut ressentir le plaisir que prennent les deux musiciens à ce jeu primitiviste, notamment en se disputant à l'aide d'appeaux. Comme souvent avec ces musiciens, on a l'impression que quelque chose se passe qui tient à la fois de l'intime et du défoulement en rapport avec le son ou la musique (ici, c'est pareil). Bref, un enregistrement essentiel à la croisée du field recording et de l'improvisation.

lundi 1 décembre 2008

Le lundi au soleil


Ce lundi matin, on danse en écoutant la nouvelle compilation du label Sublime Frequencies 1970's Algerian Proto-Rai Underground (LP SF045). Un chant fiévreux et des trompettes sauvages dominent ces huit pistes au rythme endiablé. Une fois de plus, les têtes chercheuses du label, Hicham Chadly cette fois-ci, nous font découvrir une scène musicale pop d’une grande qualité, mais hélas peu documentée. L’album est sorti en vinyle en édition limitée.