Ecorces de Georges Didi-Huberman (Les éditions de Minuit, 2011) est le "récit photo d'une déambulation à Auschwitz-Birkenau en juin 2011". Extrait (pp. 21-22) :
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"Je marchais près des barbelés lorsqu'un oiseau est venu se poser près de moi. Juste à côté, mais : de l'autre côté. J'ai fait une photographie, sans trop réfléchir, probablement touché par la liberté de cet animal qui se jouait des clôtures. Le souvenir des papillons dessinés en 1942, dans le camp de Theresienstadt, par Eva Bulova, une enfant de douze ans qui devait mourir ici, à Auschwitz, au début d'octobre 1944, m'a probablement traversé l'esprit. Mais aujourd'hui, en regardant cette image, je m'aperçois de tout autre chose : à l'arrière-plan courent les barbelés électrifiés du camp, leur métal déjà sombre de rouille, et disposés selon un "tressage" bien particulier qui n'apparaît pas sur les barbelés du premier plan. La couleur de ceux-ci - gris clair - m'indique qu'ils ont été récemment installés.
De comprendre cela déjà me serre le cœur. Cela signifie qu'Auschwitz en tant que "lieu de barbarie" (le camp) a installé les barbelés du fond dans les années 1940, tandis que ceux du premier plan ont été disposés par Auschwitz en tant que "lieu de culture" (le musée) bien plus récemment. Pour quelle raison ? Est-ce pour orienter le flux des visiteurs en utilisant le fil de fer barbelé comme "couleur locale" ? Est-ce pour "restaurer" une clôture qui s'était dégradée avec le temps ? Je ne sais. Mais je sens bien que l'oiseau s'est posé entre deux temporalités terriblement disjointes, deux gestions bien différentes de la même parcelle d'espace et d'histoire. L'oiseau s'est posé sans le savoir entre barbarie et culture."
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"Je marchais près des barbelés lorsqu'un oiseau est venu se poser près de moi. Juste à côté, mais : de l'autre côté. J'ai fait une photographie, sans trop réfléchir, probablement touché par la liberté de cet animal qui se jouait des clôtures. Le souvenir des papillons dessinés en 1942, dans le camp de Theresienstadt, par Eva Bulova, une enfant de douze ans qui devait mourir ici, à Auschwitz, au début d'octobre 1944, m'a probablement traversé l'esprit. Mais aujourd'hui, en regardant cette image, je m'aperçois de tout autre chose : à l'arrière-plan courent les barbelés électrifiés du camp, leur métal déjà sombre de rouille, et disposés selon un "tressage" bien particulier qui n'apparaît pas sur les barbelés du premier plan. La couleur de ceux-ci - gris clair - m'indique qu'ils ont été récemment installés.
De comprendre cela déjà me serre le cœur. Cela signifie qu'Auschwitz en tant que "lieu de barbarie" (le camp) a installé les barbelés du fond dans les années 1940, tandis que ceux du premier plan ont été disposés par Auschwitz en tant que "lieu de culture" (le musée) bien plus récemment. Pour quelle raison ? Est-ce pour orienter le flux des visiteurs en utilisant le fil de fer barbelé comme "couleur locale" ? Est-ce pour "restaurer" une clôture qui s'était dégradée avec le temps ? Je ne sais. Mais je sens bien que l'oiseau s'est posé entre deux temporalités terriblement disjointes, deux gestions bien différentes de la même parcelle d'espace et d'histoire. L'oiseau s'est posé sans le savoir entre barbarie et culture."
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