Une longue recension de Field Recording... est parue dans le numéro de juin du magazine Traverses.
"Le Field Recording - Plein champ sur les sons du monde
Le vent et l’eau sont-ils des instruments de musique ? Peut-on
réduire l’enregistrement de joueuses de luth aux Philippines dans leur
milieu naturel à un audio-reportage? À quoi bon garder cette captation
grésillante et à peine audible d’un chant breton des années 1910 ?
Enregistrer dans un jardin japonais un récipient métallique enfoui sous
les pierres qui amplifie les gouttes d’eau qui s’y infiltrent suffit-il à
faire un disque ? Capter les vibrations sourdes et les fréquences
basses du pergélisol (ou permafrost) permet-il d’étiqueter un disque
comme étant de l’électro-ambient ? L’oiseau-lyre est-il meilleur
imitateur que le Papou de Nouvelle-Guinée ?
Ces questions, parmi d’autres, sont au coeur de la pratique du «
field recording », ou enregistrement de terrain. La naissance de cette
pratique est consécutive à celle des systèmes d’enregistrement
portables, qui ont fait perdre au studio son exclusivité en matière
d’enregistrement. Depuis la fin du XIXe siècle donc, le field recording
n’a cessé, sur le plan artistique, de gagner… du terrain !
Depuis qu’on a les moyens de le capter dans son propre élément, le «
chant du monde » a engendré de nombreuses démarches de collecte sonore
aux visées très différentes. On aurait donc bien tort réduire
l’enregistrement de terrain à une simple fonction documentaire. De par
la multitude des matériaux sonores qu’il propose et le foisonnement de
pratiques créatrices fondées sur ces matériaux qu’il a engendrées, le
field recording doit être considéré comme un vaste champ artistique à
part entière.
C’est ce que s’est proposé de démontrer Alexandre GALAND, docteur en Histoire, Art et Archéologie, dans ce livre dont le sous-titre, L’Usage sonore du monde en 100 albums, fait une judicieuse référence à un autre célèbre ouvrage, L’Usage du monde, de l’écrivain suisse Nicolas BOUVIER. Personnalité majeure du récit de voyage au XXe siècle, BOUVIER
fut aussi l’un des premiers « chasseurs de sons » non professionnels.
Il a arpenté les régions qu’il a traversées (Yougoslavie, Turquie, Iran,
Pakistan, Afghanistan, Inde, Sri Lanka, Japon…) muni d’un prototype de
magnétophone Nagra (l’ancêtre de l’enregistreur numérique), et a
enregistré les musiques qu’il a entendues, de Zagreb à Tokyo. Tant sa
vie que son oeuvre font de BOUVIER une figure
tutélaire de la philosophie que se doit d’adopter tout chasseur de son :
se rendre disponible et se mettre à l’écoute du voyage et du monde
extérieur.
Dans la première partie de son ouvrage, Alexandre GALAND
retrace l’historique de la pratique du field recording, et démontre
qu’elle est indissociable de l’évolution des techniques
d’enregistrement. Plus l’enregistreur portable est devenu
souple et facile à manier, plus les enregistrements de terrain se sont multipliés, et ce dans différents domaines. Alexandre GALAND en distingue principalement trois.
souple et facile à manier, plus les enregistrements de terrain se sont multipliés, et ce dans différents domaines. Alexandre GALAND en distingue principalement trois.
Le premier est la captation des sons de la nature, ou
audionaturalisme, et ses sous-divisions (la biophonie, qui traite des
sons de la flore et de la faune, notamment les chants d’oiseaux et cris
d’animaux ; et la géophonie, qui étudie les sons des phénomènes
climatiques, comme les orages, les vagues, les volcans…). L’auteur de Field Recording
pointe déjà quelques problématiques liées à cette pratique, notamment
celle de la présence humaine dans la nature, et ses conséquences. Fautil
gommer toute trace sonore de manifestation humaine (genre bruits
d’avion au-dessus d’une jungle) lorsqu’on cherche à restituer les sons
d’un environnement donné ou les cris d’une espèce animale précise, au
risque de créer un fantasme de monde « édénique » et inviolé ?
Le deuxième est la captation des musiques des hommes, ou
ethnomusicologie, dont l’auteur rappelle la génèse et qu’il distingue
très clairement de la « world music ». GALAND
évoque quelques dates marquantes de la découverte des musiques
non-occidentales par les compositeurs contemporains et recense le
travail de diffusion de quelques maisons de disques réputées dans la
captation in situ de musiques traditionnelles (Folkways, Lyrichord, AIMP,
Ocora, Topic…). Dans ce domaine aussi, des questions épineuse
surgissent, mettant en évidence l’antagonisme entre la fonction
originairement sociale ou religieuse au sein d’un groupe culturel local
de ces musiques traditionnelles et leur mise en pâture en tant qu’objets
de consommation esthétique à échelle globale. Dans ce domaine comme
dans celui de l’audio-naturalisme pointe évidemment le problème
fatidique (mais aussi tarte à la crème) de l’authenticité et de la «
pureté », réelle ou supposée, de la matière enregistrée.
Le troisième domaine du field recording recensé par Alexandre GALAND est celui de la composition, dont Pierre SCHAEFFER
fut un pionnier. Distinct des deux autres orientations à caractère
généralement plus scientifique, patrimonial ou documentaire, la pratique
de la composition à base d’enregistrements de terrain a pris des
tournures variées que GALAND recense : musique
concrète, écologie acoustique, paysage sonore, « sound mapping »...
toutes procèdent des mêmes principes (écoute, enregistrement,
traitement) et soulèvent de pertinentes questions sur l’acte même
d’enregistrer en tant que manière de composer, sur le choix de préserver
les sons captés tel quels dans une composition, ou de les transformer
jusqu’à les rendre méconnaissables, afin paradoxalement de mieux
restituer l’impression subjective que la matière a laissée sur le «
capteur », par exemple, etc.
En plus de tracer une perspective historique et de relever les
questions tant éthiques qu’artistiques que soulève chacun des trois
genres de field recording qu’il a définis, Alexandre GALAND
a tenu également à interroger certains pratiquants de l’enregistrement
de terrain. Chaque chapitre est ainsi complété par un entretien avec un
spécialiste : Jean C. ROCHÉ pour la partie audionaturaliste, Bertrand LORTATJACOB pour l’ethnomusicologie et Peter CUSACK
pour le domaine de la composition. Chacun fait part de la passion qui anime son travail, et du regard que la pratique du field recording lui a permis d’avoir sur le monde.
pour le domaine de la composition. Chacun fait part de la passion qui anime son travail, et du regard que la pratique du field recording lui a permis d’avoir sur le monde.
La division stylistique opérée par Alexandre GALAND permet au lecteur d’appréhender avec plus de clarté la pluralité du domaine artistique que représente le field recording.
Mais l’auteur s’accorde lui-même à reconnaître que certaines oeuvres enregistrées peuvent relever d’un domaine comme d’un autre et que la frontière entre audio-naturalisme, ethnomusicologie et composition est dans certains cas très ténue, ou savamment effacée.
Mais l’auteur s’accorde lui-même à reconnaître que certaines oeuvres enregistrées peuvent relever d’un domaine comme d’un autre et que la frontière entre audio-naturalisme, ethnomusicologie et composition est dans certains cas très ténue, ou savamment effacée.
La seconde partie de l’ouvrage, conformément à son sous-titre, est constituée de 100 chroniques de disques qu’Alexandre GALAND jugent primordiaux dans chaque domaine de field recording. Coassements de grenouilles, chants
d’oiseaux, brame de cerfs, chants de baleines et cris de singes se partagent la partie audio-naturaliste, où l’on fait connaissance avec les enregistrements de Ludwig KOCH, Jean C. ROCHE, Roger PAYNE, Fernand DEROUSSEN, etc.
d’oiseaux, brame de cerfs, chants de baleines et cris de singes se partagent la partie audio-naturaliste, où l’on fait connaissance avec les enregistrements de Ludwig KOCH, Jean C. ROCHE, Roger PAYNE, Fernand DEROUSSEN, etc.
Chants de gorge inuits, chants de prisonniers américains, flûtes
boliviennes, rajasthanaises ou mélanésiennes, gamelans indonésiens,
polyphonies éthiopiennes, cérémonies tibétaines, chants pygmées,
argentins ou ainous, jödel suisse, cloches suédoises, xylophones
gabonais, tourneries de derviches et gongs cambodgiens figurent parmi
les richesses sonores léguées par les cultures traditionnelles, captées
par Alan LOMAX, John LEVY, David LEWISTON, Constantin BRAILOIU, Laurent JEANNEAU, Art ROSENBAUM, Deben BHATTACHARYA, Hugh TRACEY, Anne CHAPMAN, Hugo ZEMP, Tucker MARTINE ou François JOUFFA. Cette partie recense également un enregistrement de MOONDOG dans les rues de New York.
La partie « composition » est la plus riche en références discographiques. On y croise Henri POUSSEUR, Alvin LUCIER, Steve REICH, Éric LA CASA, Kristoff K. ROLL, Cécile LE PRADO, Peter CUSACK, Luc FERRARI, Éric CORDIER, Charlemagne PALESTINE, Francisco LOPEZ, Yann PARANTHOËN, Pierre HENRY, Akio SUZUKI, Michèle BOKANOWSKI, Douglas QUIN,
etc. Difficile de dire si, à travers ces références, tous les sons du
monde entier ont été répertoriés, mais quand on voit que certains sont
parvenus à capter des sons dans des zones infréquentables par l’homme ou
des sons inaudibles à l’oreille humaine, on réalise que le monde entier
s’épanouit décidément sur plusieurs plan de réalité !
Conscient que sa sélection est forcément incomplète et subjective, Alexandre GALAND
a complété son livre d’une discographie supplémentaire et d’une
bibliographie. On notera également que chaque chapitre et même quelques
chroniques sont chapeautés par une citation livresque, rappelant ainsi
que l’écoute du monde a stimulé de nombreuses muses littéraires et
poétiques à travers les époques…
À défaut d’être une « bible » exhaustive (exercice aussi fastidieux qu’impossible), Field Recording, l’Usage sonore du monde en 100 albums
s’avère un guide introductif hautement recommandable pour découvrir
l’immense variété des productions du genre. Et pour ceux qui voudraient
aller plus loin, l’auteur tient également un blog qui achève de
convaincre que, loin d’être un « style de musique », le field recording
est surtout un pourvoyeur de chants du monde et de champs magnétiques
qui invitent à écouter « autrement »..."
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