vendredi 22 octobre 2010

L'usage du monde

.
.
On achève la vision des films documentaires compris dans le premier coffret d'une nouvelle collection du Musée du Quai Branly intitulée L'usage du monde (édité par les Editions Montparnasse). Cette collection est dirigée par le très estimable ethnologue et réalisateur Stéphane Breton (dont on recommande les magnifiques films Eux et moi et Le ciel dans un jardin, sur les Papous de Nouvelle-Guinée). Cinq films d'un peu moins une heure composent cette première édition : Les hommes de la forêt 21 de Julien Samani, Lumière du Nord de Serguei Loznitsa, L'argent du charbon de Wang Bing et enfin La Maison vide et La Montée au ciel de Stéphane Breton lui-même.
.
Ces films sont de réelles réussites d'abord parce qu'ils ne sont pas pédagogiques. Pas de commentaire, pas d'introduction, les habituels artifices explicatifs sont ignorés au profit d'une démarche plus cinématographique que scientifique. Le propos de l'auteur est transmis via le cadrage, le montage et l'implication du filmeur dans la réalité qu'il tente de capter. En effet, aucun de ces réalisateurs n'essaie de nous faire croire qu'il est extérieur au "réel". La présence du cinéaste altère le cours "normal" des choses, mais c'est cette expérience qui crée de la relation et du cinéma. On est ici très loin d'une certaine tradition entomologique du documentaire où les hommes, envisagés de loin et de haut, paraissent s'agiter tels de vulgaires insectes.
.
Ces films fascinent aussi car comme l'annonce la jaquette du coffret, ils nous emmènent dans "les plis et les ourlets du monde moderne" : des zones industrielles, un village perdu au Népal, quelques bicoques sales et désolées au Nouveau Mexique. Plutôt que d'essayer de capter des "évènements", les réalisateurs se perdent dans le quotidien, banal mais extraordinaire : conversations mélancoliques avec de vieux alcooliques au Nouveau Mexique (La Maison vide), disputes autour du prix du charbon (L'Argent du charbon) ou autour de l'endroit où l'on peut ou non déféquer dans le village (La Montée au ciel).
.
L'exotisme est mort, mais comme l'ont compris d'autres visionnaires proches, les Nicolas Bouvier (dont le récit de voyages paru en 1963 a d'ailleurs donné son nom à la collection), Jean Rolin ou Johan van der Keuken, tout humain ou groupe d'humains, où qu'il se trouve, recèlera toujours sa part de mystère et de beauté. Je ne pourrai pas terminer cette note sans mentionner la manière elliptique et poétique de l'éditeur de présenter les films. Par exemple, pour La Montée au ciel : "Au creux d’une vallée du Népal, au bout d’un chemin usé par tant de siècles et tant de pieds, se trouve un village de brahmanes : merde à tous les coins de rue, pureté des cœurs, éblouissement." On souhaite vivement une suite à cette entreprise.
.

Aucun commentaire: