mercredi 7 décembre 2011

De l'effet des sons et de l'harmonie sur les bêtes (1)

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"La beauté n'est pas absolue, elle dépend des idées que chacun se fait de la convenance entre les choses, et si les bêtes peuvent concevoir le caractère abstrait de l'harmonie, l'harmonie et la beauté ne seront pas forcément pour elles ce qu'elles sont pour nous. Ainsi, ce n'est pas la musique en tant qu'art, mais sa matière, c'est-à-dire le son, qui aura de l'effet sur ces bêtes. Comment pourrions-nous en effet prétendre que les bêtes goûtent notre harmonie, s'il existe tant d'hommes qui ne l'apprécient pas ? Je parle de gens, nombreux, qui vivent parmi nous, et aussi de peuples comme les Turcs dont la musique nous paraît singulièrement dissonante et dépourvue d'harmonie. Négligeons le cas où quelque animal se trouve dans une disposition si semblable à la nôtre qu'il puisse entendre dans la musique, sinon complètement du moins en partie, l'harmonie que nous y ressentons, c'est-à-dire trouver harmonieux ce que nous jugeons tel. Cet effet, beaucoup plus rare que celui qui concernait le son, n'est cependant pas complètement invraisemblable."
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"Notez encore cet autre enseignement très subtil de la nature. La nature a voulu que les oiseaux fussent les chanteurs de la terre ; elle a placé les fleurs pour le plaisir de l'odorat et les oiseaux pour le plaisir de l'ouïe. Et qu'a-t-elle fait pour que leur voix soit bien perceptible ? Elle leur a permis de voler afin que leur chant, venant d'en haut, puisse se répandre le plus largement possible. Cette combinaison entre chant et vol n'est certainement pas accidentelle. La voix des oiseaux nous procure encore plus de plaisir que celle des autres animaux (en dehors de l'homme) parce qu'elle a été expressément ordonnée pour plaire à l'oreille. Et je crois qu'elle procure encore plus de plaisir aux autres animaux qui, parce qu'ils sont dans un état naturel, sont par conséquent peut-être plus aptes à trouver dans ce chant toute l'harmonie ou presque que les oiseaux y trouvent et que nous ne pouvons quant à nous y trouver, car en nous éloignant de la nature, nous avons perdu certaines idées primitives concernant l'harmonie, qui ne sont ni absolues ni nécessaires, mais que la nature nous a peut-être toutefois arbitrairement données. Je pense que les sauvages trouvent le chant des oiseaux bien plus doux, et il me semble qu'il en serait de même chez les anciens qui, on le sait, trouvaient plus de plaisir que nous dans le chant des cigales, etc., dont on peut remarquer par ailleurs qu'elles chantent dans les arbres, comme les animaux du même genre."
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Deux extraits du Zibaldone de Giacomo Leopardi, le 6 et le 8 juillet 1820 (traduit par Bertrand Schefer et édité par Allia). La photographie ci-dessus a été prise lors de l'expédition de Sir Ernest Shackleton au Pôle Sud au début du 20e siècle et a été publiée une première fois dans le magazine parisien L'illustration en octobre 1909. A priori, personne ne sait quel disque l'homme fait écouter aux manchots.
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