C'est en achevant notre lecture qu'on a la bonne idée d'aller chercher la traduction de l'extrait d'un très beau poème de Pessoa (uniquement donné dans sa langue originale) placé par Philippe Descola en exergue de son Par-delà nature et culture (Gallimard, 2005). Et en-dessous, un extrait de l'ouvrage (ô combien percutant et fascinant) dudit Descola (pp. 26-27). Pour que je considère les chats des voisins dans un rapport totémique, il n'y a désormais plus qu'un pas...
"J’ai
vu qu’il n’y a pas de Nature,
Que
Nature n’existe pas,
Qu’il
y a collines, vallées, plaines,
Qu’il
y a arbres, fleurs, herbages,
Qu’il
y a rivières et pierres,
Mais
qu’il n’y a pas un tout à quoi tout ça appartiendrait,
Qu’un
ensemble réel et véritable
Est
une maladie de nos idées.
La
Nature est parties sans un tout.
Voilà
peut-être le mystère en question dont ils parlent."
Alberto
Caeiro, Le gardien de troupeaux,
extrait du poème XLVII (1925) (traduction de Maria Antónia Câmara Manuel,
Michel Chandeigne et Patrick Quillier).
"A
l’instar des Achuar, les Makuna catégorisent les humains, les plantes et les
animaux comme des « gens » (masa)
dont les principaux attributs – la mortalité, la vie sociale et cérémonielle,
l’intentionnalité, la connaissance – sont en tout point identiques. Les
distinctions internes à cette communauté du vivant reposent sur les caractères
particuliers que l’origine mythique, les régimes alimentaires et les modes de
reproduction confèrent à chaque classe d’êtres, et non pas sur la plus ou moins
grande proximité de ces classes au paradigme d’accomplissement qu’offriraient
les Makuna. L’interaction entre les animaux et les humains est également conçue
sous la forme d’un rapport d’affinité, quoique légèrement différent du modèle
achuar, puisque le chasseur traite son gibier comme une conjointe potentielle
et non comme un beau-frère. Les catégorisations ontologiques sont toutefois
beaucoup plus plastiques encore que chez les Achuar, en raison de la faculté de
métamorphose reconnue à tous : les humains peuvent devenir des animaux,
les animaux se convertir en humains, et l’animal d’une espèce peut se
transformer en un animal d’une autre espèce. L’emprise taxinomique sur le réel
est donc toujours relative et contextuelle, le troc permanent des apparences ne
permettant pas d’attribuer des identités stables aux composantes vivantes de
l’environnement.
La
sociabilité imputée aux non-humains par les Makuna est aussi plus riche et plus
complexe que celle que les Achuar leur reconnaissent. Tout comme les Indiens,
les animaux vivent en communauté, dans des « longues-maisons » que la
tradition situe au cœur de certains rapides ou à l’intérieur de collines
précisément localisées ; ils cultivent des jardins de manioc, se déplacent
en pirogue et s’adonnent, sous la conduite de leurs chefs, à des rituels tout
aussi élaborés que ceux des Makuna. La forme visible des animaux n’est en effet
qu’un déguisement. Lorsqu’ils regagnent leurs demeures, c’est pour se
dépouiller de leur apparence, revêtir parures de plumes et ornements cérémoniels,
et redevenir de manière ostensible les « gens » qu’ils n’avaient pas
cessé d’être lorsqu’ils ondoyaient dans les rivières et fourrageaient dans la
forêt."
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