jeudi 9 août 2012

L'usage sonore du monde (4)



L'homme n'a bien entendu pas attendu la révolution industrielle pour marquer le paysage sonore des campagnes de son empreinte indélébile. Dès l'Antiquité, l'exploitation des forêts, la chasse, le culte, la guerre, le commerce et même les activités quotidiennes occasionnent quantité de sons rivalisant avec le "chant" de la nature. Il est pourtant vrai que ce phénomène s'est nettement amplifié à partir du 18e siècle lors de l'établissement sans cesse grandissant d'usines en milieu rural. Pour les générations qui avaient connu ce temps seulement rythmé par le retentissement des cloches d'églises, les cris des animaux et bruits d'outils manuels, ces fonderies et autres scies à bois ont dû bouleverser une certaine manière d'appréhender le monde. Dans un extrait justement célèbre de son roman Le rouge et le noir (1830) (voir ci-dessous), Stendhal parle à propos d'une usine à clous de la ville (fictive) de Verrières d'un étourdissement par le "fracas d'une machine bruyante et terrible en apparence", d'un "bruit qui fait trembler le pavé" et plus loin d'assourdissement. Sur ce sujet touchant à l’histoire des sensibilités, on peut consulter les ouvrages suivants :
Alain Corbin, Les cloches de la terre. Paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au XIXe siècle.
Jean-Pierre Gutton, Bruits et sons dans notre histoire : essais sur la reconstitution du paysage sonore
Raymond Murray Schafer, Le paysage sonore : Le monde comme musique.
Une histoire de la forêt de Martine Chalvet comporterait également des notations intéressantes en ce sens, à suivre...
Comme illustration, une mine de cuivre peinte par Henri met de Bles (Florence, Offices) durant la première moitié du 16e siècle et dont on se plaît à reconstituer mentalement le paysage sonore...

"La petite ville de Verrières peut passer pour l'une des plus jolies de la Franche-Comté. Ses maisons blanches avec leurs toits pointus de tuiles rouges s'étendent sur la pente d'une colline, dont des touffes de vigoureux châtaigniers marquent les moindres sinuosités. Le Doubs coule à quelques centaines de pieds au-dessous de ses fortifications bâties jadis par les Espagnols, et maintenant ruinées.
Verrières est abritée du côté du nord par une haute montagne, c'est une des branches du Jura. Les cimes brisées du Verra se couvrent de neige dès les premiers froids d'octobre. Un torrent, qui se précipite de la montagne, traverse Verrières avant de se jeter dans le Doubs et donne le mouvement à un grand nombre de scies à bois; c'est une industrie fort simple et qui procure un certain bien-être à la majeure partie des habitants plus paysans que bourgeois. Ce ne sont pas cependant les scies à bois qui ont enrichi cette petite ville. C'est à la fabrique des toiles peintes, dites de Mulhouse, que l'on doit l'aisance générale qui, depuis la chute de Napoléon a fait rebâtir les façades de presque toutes les maisons de Verrières.
A peine entre-t-on dans la ville que l'on est étourdi par le fracas d'une machine bruyante et terrible en apparence. Vingt marteaux pesants, et retombant avec un bruit qui fait trembler le pavé, sont élevés par une roue que l'eau du torrent fait mouvoir. Chacun de ces marteaux fabrique, chaque jour, je ne sais combien de milliers de clous. Ce sont de jeunes filles fraîches et jolies qui présentent aux coups de ces marteaux énormes les petits morceaux de fer qui sont rapidement transformés en clous. Ce travail, si rude en apparence, est un de ceux qui étonnent le plus le voyageur qui pénètre pour la première fois dans les montagnes qui séparent la France de l'Helvétie. Si, en entrant à Verrières, le voyageur demande à qui appartient cette belle fabrique de clous qui assourdit les gens qui montent la grande rue, on lui répond avec un accent traînard : Eh ! elle est à M. le maire."

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