L'homme n'a bien entendu
pas attendu la révolution industrielle pour marquer le paysage sonore des
campagnes de son empreinte indélébile. Dès l'Antiquité, l'exploitation des
forêts, la chasse, le culte, la guerre, le commerce et même les activités
quotidiennes occasionnent quantité de sons rivalisant avec le "chant"
de la nature. Il est pourtant vrai que ce phénomène s'est nettement amplifié à
partir du 18e siècle lors de l'établissement sans cesse grandissant d'usines en
milieu rural. Pour les générations qui avaient connu ce temps seulement rythmé
par le retentissement des cloches d'églises, les cris des animaux et
bruits d'outils manuels, ces fonderies et autres scies à bois ont dû bouleverser
une certaine manière d'appréhender le monde. Dans un extrait justement célèbre
de son roman Le rouge et le noir (1830) (voir ci-dessous), Stendhal parle à propos
d'une usine à clous de la ville (fictive) de Verrières d'un étourdissement par le
"fracas d'une machine bruyante et terrible en apparence", d'un
"bruit qui fait trembler le pavé" et plus loin d'assourdissement. Sur
ce sujet touchant à l’histoire des sensibilités, on peut consulter les ouvrages
suivants :
Alain Corbin, Les
cloches de la terre. Paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au XIXe siècle.
Jean-Pierre Gutton, Bruits et sons dans notre histoire : essais sur la
reconstitution du paysage sonore.
Raymond
Murray Schafer, Le paysage sonore : Le
monde comme musique.
Une histoire de la
forêt de Martine Chalvet
comporterait également des notations intéressantes en ce sens, à suivre...
Comme illustration, une mine de cuivre peinte par Henri met de Bles (Florence, Offices) durant la première moitié du 16e siècle et dont on se plaît à reconstituer mentalement le paysage sonore...
"La petite ville de Verrières peut
passer pour l'une des plus jolies de la Franche-Comté. Ses maisons blanches
avec leurs toits pointus de tuiles rouges s'étendent sur la pente d'une
colline, dont des touffes de vigoureux châtaigniers marquent les moindres
sinuosités. Le Doubs coule à quelques centaines de pieds au-dessous de ses
fortifications bâties jadis par les Espagnols, et maintenant ruinées.
Verrières est abritée du côté du nord par
une haute montagne, c'est une des branches du Jura. Les cimes brisées du Verra
se couvrent de neige dès les premiers froids d'octobre. Un torrent, qui se
précipite de la montagne, traverse Verrières avant de se jeter dans le Doubs et
donne le mouvement à un grand nombre de scies à bois; c'est une industrie fort
simple et qui procure un certain bien-être à la majeure partie des habitants
plus paysans que bourgeois. Ce ne sont pas cependant les scies à bois qui ont enrichi
cette petite ville. C'est à la fabrique des toiles peintes, dites de Mulhouse,
que l'on doit l'aisance générale qui, depuis la chute de Napoléon a fait
rebâtir les façades de presque toutes les maisons de Verrières.
A peine entre-t-on dans la ville que l'on
est étourdi par le fracas d'une machine bruyante et terrible en apparence.
Vingt marteaux pesants, et retombant avec un bruit qui fait trembler le pavé,
sont élevés par une roue que l'eau du torrent fait mouvoir. Chacun de ces
marteaux fabrique, chaque jour, je ne sais combien de milliers de clous. Ce
sont de jeunes filles fraîches et jolies qui présentent aux coups de ces
marteaux énormes les petits morceaux de fer qui sont rapidement transformés en
clous. Ce travail, si rude en apparence, est un de ceux qui étonnent le plus le
voyageur qui pénètre pour la première fois dans les montagnes qui séparent la
France de l'Helvétie. Si, en entrant à Verrières, le voyageur demande à qui
appartient cette belle fabrique de clous qui assourdit les gens qui montent la
grande rue, on lui répond avec un accent traînard : Eh ! elle est à M. le
maire."
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