vendredi 27 juin 2014

La danse des possédés (96)


"Le "tarentulisme" a connu son apogée entre le XVe et le XVIIe siècle dans les Pouilles, en Italie. Durant la saison chaude, en juillet ou en août, une femme (les victimes étaient généralement des femmes) s'était allongée pour faire une sieste dans un champ où elle travaillait. En se réveillant, elle crut avoir été piquée par une araignée, une tarentule, et tomba dans un état dépressif, caractérisé par "une expression à moitié hébétée et absente, une perte d'appétit et d'énergie sexuelle, une apathie générale". Le seul traitement connu consistait à la faire danser pour chasser son mal. Il fallait rapidement engager un petit ensemble de musiciens, souvent composé d'un violoniste, d'un flûtiste et d'un tambour qui connaissaient les airs de danse de la tarentella (tarentelle). Sans cette musique, on disait que les victimes mouraient dans l'heure ou en quelques jours. Des ensembles de musiciens à la recherche de travail parcouraient la campagne pendant la saison du tarentulisme. Une fois sur place, ils faisaient le tour de leur répertoire en essayant d'identifier l'air approprié qui ferait danser la femme déprimée et apathique. Lorsqu'ils tombaient sur le bon air, elle se levait, commençait à danser avec de plus en plus de vigueur, déchirant parfois ses vêtements, touchant ses organes génitaux ou faisant des gestes obscènes qu'elle n'aurait jamais osés dans son état normal. Il arrivait souvent qu'elle quitte la maison, suivie des musiciens, et qu'elle aille sur la place du marché où d'autres se joignaient à elle dans sa danse folle. La musique et la danse étaient contagieuses. 
(...)
Les chants et les danses étaient exécutés dans un tempo très rapide et répétés à l'infini. Avec des interruptions pour se reposer, la musique et la danse pouvaient durer toute une journée ou même plusieurs jours. Finalement, la victime s'effondrait d'épuisement, ses parents la nourrissaient et la mettaient au lit pour un long sommeil. A son réveil, elle se souvenait à peine ou pas du tout de ce qui lui était arrivé et reprenait sa vie là où elle l'avait laissée plusieurs jours auparavant."

Extrait de Musique et transe de Judith Becker dans Musiques. Une encyclopédie pour le XXIe siècle. 3. Musiques et cultures (sous la direction de Jean-Jacques Nattiez), pp. 458-487.

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