mardi 24 juin 2014

Le peintre (7)


A l'orée de ton siècle, Le Peintre, une ville portuaire voisine devient le centre du monde. Ce n'est pas rien quand même de vivre à proximité d'un tel pôle. Là, les regards et les envies traversent les corps, cheminent de conserve et font s'écrouler les pyramides empoussiérées, les mâts anciens et les tours de guet malades d'horizon bouché. Durant des siècles, des marins ont barboté timidement, mais désormais, ils font la grande boucle. Ils connaissent, arpentent, dénombrent et collectent. Bientôt, ils tourneront en rond, mais en attendant, ils se frottent les mains et pour eux, on monte des grues prêtes à décharger les soutes pleines. Sur les quais, des langues sifflantes et inconnues, des fruits colorés qui donnent mal au ventre, des ors, des hommes tatoués qui se voûtent, des récits de monstres et de tempêtes. Les capitaux circulent, s'accumulent, transforment le désir et la curiosité en convoitise. Des quatre coins du pays affluent des artisans, peintres, orfèvres, tailleurs, prêts à profiter de cette richesse en ce lieu concentrée.  Ainsi de ton père, Le Peintre. Ainsi de ton frère. Leurs ateliers ouvrent bientôt leurs portes à ces marchands et banquiers venus du Sud, du Nord, de l'Est et de l'Ouest. Ton sang s'exportera par le bois couvert d'huile. Mais toi, tu es resté à la maison. Pourquoi n'as-tu pas pris part à cette ruée ? Pourquoi ne pas avoir suivi ce chemin lucratif ? D'autres intérêts, d'autres engagements ? Où devrais-je te surnommer La Pantoufle ?

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