Passage de l'Opéra, Paris, 1909
"La trace est l’apparition d’une proximité, quelque lointain que puisse
être ce qui l’a laissée. L’aura est l’apparition d’un lointain, quelque
proche que puisse être ce qui l’évoque. Avec la trace, nous nous
emparons de la chose ; avec l’aura, c’est elle qui se rend maîtresse de
nous."
Walter Benjamin, Paris, capitale du xixe siècle. Le livre des passages, trad. par Jean Lacoste, 3e édition, Paris (M 16a, 4).
"Au phénomène de la trace doit avant tout être rattaché le flâneur que
Benjamin est, il est vrai, le premier à avoir identifié comme une figure
spécifique du xixe siècle. Alors que le promeneur, son précurseur du xviiie siècle
(M 13a, 3), découvrait dans la nature sauvage un paysage esthétique, le
flâneur découvre un monde qui lui y est opposé, un monde étranger à la
nature : « ce dernier voit la ville se scinder en deux pôles
dialectiques. Elle s’ouvre à lui comme paysage et elle l’enferme comme
chambre (Stube) »
(M 1, 4). La masse des grandes villes est l’élément vital du flâneur.
Elle est pour lui tout à la fois labyrinthe et asile, enivrant élixir de
vie et incomparable champ d’observation sur lequel son regard
physiognomonique fait ses preuves dans l’art de « déchiffrer sur les
visages la profession, l’origine et le caractère »
(M 6, 6), enregistrant les traces, perçant ce que la vie publique tient
caché. Le flâneur préfigure ainsi le détective (M 13a, 2). C’est
l’expérience moderne de l’anonymat au sein de la masse des grandes
villes en perpétuelle croissance (attestée depuis 1798)
que cette figure incarne. En littérature, elle se traduit par
l’avènement du roman policier dont le contenu social tient, à l’origine,
à « l’effacement des traces de l’individu dans la foule de la grande
ville ». "
"Ce qui, aux yeux de Baudelaire, différenciait le flâneur du simple badaud était, entre autres, le fait qu’en tant qu’homme de la foule,
il pouvait tout aussi bien rester dans une distance souveraine à
l’égard des foules des grandes villes (« L’observateur est un prince
qui jouit partout de son incognito ») ou y plonger comme dans un
« immense réservoir d’électricité » en « amoureux de la vie
universelle », tout en mettant en mots la connaissance, sinon la
conscience qu’il avait d’elle (« On peut aussi le comparer, lui, à un
miroir aussi immense que cette foule ; à un kaléidoscope doué de
conscience »).
À un moment au moins, Benjamin reconnaît que le flâneur dans la foule
peut sans doute avoir vu au travers de l’illusion sociale. « L’oisiveté
du flâneur est une protestation contre la division du travail » (M 5, 8)
Extraits de Hans Robert Jauss, « Trace et aura. Remarques à propos du Livre des passages de Walter Benjamin », Trivium, 10–2012 (texte paru en ligne ici)
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