Parmi les quelques disques qui nous ont impressionné l'année passée, brames (et autres mouvements d'automne) de Marc et Olivier Namblard figure en (très) bonne place. Captées dans les forêts vosgiennes et orléanaises, les cinq phonographies de cet album s'intéressent - entre autres - au brame du cerf, soit à une expression animale qu'on entend habituellement de loin,
voire de très loin. Par la manière dont le
galop et les cris du mammifère sont rendus si proches, le disque offre l'incroyable possibilité
de décentrer nos modes d'écoute.
En effet, et pour reprendre un extrait du magnifique essai de Jean-Christophe Bailly, Le versant animal, une
telle écoute du monde animal par le biais du casque et des microphones, puis
par le disque, "c'est à la fois comme une pensée et comme une preuve, c'est la
pensée qu'il n'y a pas de règne, ni de l'homme ni de la bête, mais seulement
des passages, des souverainetés furtives, des occasions, des fuites, des
rencontres. L'animal est dans son milieu et nous dans le nôtre et nous y sommes
seuls l'un et l'autre. Mais dans l'intervalle" de cette écoute, "ce que l'on peut
toucher, justement, c'est cet autre milieu, ce milieu sien venu à nous non pas
versé mais accordé un instant, cet instant donc qui donne sur un autre monde.
Une vision, rien qu'une vision – le « pur jailli » d'une bête hors de
son milieu – mais plus nette qu'aucune pensée."
Le disque a été édité par Ouïe/Dire, excellent, comme toujours. Il faut par ailleurs mentionner sa très belle présentation, avec les photographies de David Hackel (voir les trois exemples ci-dessus). On peut en apprécier quelques extraits ici. De Marc Namblard, on ira également écouter le très beau Chants of Frozen Lakes (Kalerne) et suivre l'activité sur son site personnel là.
En décembre dernier, il a gentiment et généreusement accepté de répondre à quelques questions.
L’enregistrement des sons de la nature est pratiqué depuis plus d’un siècle
dans de nombreux pays. En France, cette activité a été « baptisée »
audionaturalisme il y a seulement quelques années par Fernand Deroussen.
Comment expliquer ce décalage ? D’ailleurs, comment pourrait-on définir
l’audionaturalisme ?
L’audionaturalisme
existe en France depuis de nombreuses décennies. On parle souvent de Jean C
Roché en évoquant la genèse de cette activité dans notre pays mais d’autres
personnes ont également eu un rôle fondateur : Claude Chappuis, Pierre
Huguet, ou François Charron par exemple. Cette pratique largement méconnue a
été nommée de multiples façons (plus ou moins heureuses) en fonction des
contextes et des personnes. Ceci s’explique notamment par le fait que les
audionaturalistes ont tous des cheminements différents. Certains d’entre eux
sont des ornithologues qui se sont spécialisés dans les chants d’oiseaux puis,
par extension, qui se sont intéressés à l’ensemble des vocalises du vivant.
D’autres sont des ingénieurs du son travaillant dans le cinéma, le
documentaire, et ayant développé une sensibilité particulière aux sons de la
nature. D’autres encore sont issus des milieux artistiques (musique,
photographie, peinture…) ou même du monde de l’éducation à l’environnement. Et
pour compliquer le tout, il s’agit souvent de personnes évoluant dans
différents domaines, pratiquant plusieurs activités en parallèle, plus ou moins
en connexion les unes avec les autres.
Ce n’est qu’au début des années 2000 que
Fernand Deroussen, accompagné de plusieurs de ses amis, décide de créer une
association ayant pour objectif de faire connaître l’activité au grand public
(par le biais de publications mais aussi de manifestations, de rencontres…) en
regroupant quelques audionaturalistes professionnels et quelques amateurs (aller voir notamment Sonatura et Naturophonia).
Jusque-là, toutes ces personnes étaient généralement qualifiées (notamment par
les rares journalistes qui s’intéressaient à eux) de
« soundtracker », de « chasseur de son », de « preneur
de son naturaliste ». Le mot « audionaturaliste » a été inventé
par Ferand Deroussen à ce moment-là pour mettre l’accent sur ce qui fait
l’essence de cette activité et donc sur ce qui nous rassemble tous : la
passion du son et de la nature réunies. Aucun autre terme concis jusqu’alors,
dans la langue française, ne nous permettait vraiment de le faire. Même
l’expression « preneur de son naturaliste » semblait incomplète car
l’audionaturaliste ne se contente pas d’enregistrer. Il écoute plus qu’il
n’enregistre. Mais cette invention sémantique n’enlève en rien au fait que les
audionaturalistes ont tous des sensibilités différentes, lesquelles s’expriment
évidemment dans la diversité de leurs travaux. Certains ont développé une
pratique portée sur l’analyse, plus proche de celles des bioacousticiens.
D’autres, au contraire, ont développé une approche moins scientifique, plus
esthétique (mais non moins rigoureuse), et se revendiquent comme des artistes
sonores à part entière. Mais cette fracture est flottante et poreuse. Car il ne
faut pas oublier que les audionaturalistes – comme tous les naturalistes –, de
part leur désir de partage, évoluent en permanence dans l’interface extrêmement
riche et vaste entre l’art et la science, la poésie et la connaissance… et
questionnant de ce fait, indirectement mais fondamentalement, le rapport de
l’homme à la nature.
A titre plus personnel, quelles sont les étapes qui t'ont mené à cette
discipline ?
Mon
parcours est assez sinueux… et n’est pas évident à résumer ! Disons que je
me suis retrouvé très tôt en contact avec le monde du son par l’intermédiaire
de mon père, qui se trimballait souvent avec son U-HER et qui enregistrait
surtout des moments de notre vie quotidienne. J’étais alors un jeune enfant. En
grandissant, j’ai gardé un intérêt pour le son, et j’en ai développé d’autres
pour la nature, toujours grâce à mes parents qui marchaient beaucoup pendant
les vacances et le week-end et qui nous immergeaient, mon frère et moi, dans
des paysages parfois rudes et sauvages. C’était l’époque des longues randonnées
plus ou moins improvisées dans la garrigue cévenole ou les landes désertiques
du Lozère. En forêt également. Mes parents n’étaient pas du tout naturalistes,
ni particulièrement sportifs malgré tout, et leur rapport à la nature était
surtout d’ordre récréatif et contemplatif, ce qui me convenait bien car j’ai
toujours eu un tempérament de rêveur. Bien plus tard, au cours de mes études
supérieures à l’école des Beaux-Arts d’Epinal, mes travaux personnels en lien
avec la question du paysage ont fait ressurgir ces souvenirs et émotions
d’enfance. Mes intérêts pour la nature et pour le son ont été en quelque sorte
réactivés, amplifiés, à tel point qu’à la fin de mes études je me suis éloigné
du milieu de l’art pour me lancer dans le milieu de l’animation naturaliste.
J’avais alors envie d’apprendre, de comprendre, d’agir pour participer
activement à la protection de la nature. Au début des années 2000, la passion
du son m’a rattrapée grâce à mon frère, Olivier Namblard, qui collectait
depuis plusieurs années des ambiances sonores autour de lui, notamment dans le
cadre d’expérimentations radiophoniques. C’est donc tout naturellement que je
me suis intéressé à l’enregistrement de la nature… et que je me suis vite
rapproché de personnes telles que Fernand Deroussen. Et cela tombait plutôt
bien car à la même époque ce dernier réfléchissait à la création d’une
association réunissant des passionnés de son et de nature…
Pour réaliser ce disque, tu as utilisé la technique dite du « piège à
sons ». En quoi consiste cette approche, depuis le travail d’observation
naturaliste sur le terrain jusqu’à la phase de studio ?
Le
piège à sons est en effet une technique consistant à déposer des dispositifs
d’enregistrement dans la nature afin de capter des scènes de vie animale
impossibles à capter autrement (notamment chez les mammifères, en raison de leur
émissions sonores généralement imprévisibles et de leur grande méfiance de
l’homme). Elle s’est particulièrement développée ces dernières années avec
l’explosion du numérique et l’apparition d’enregistreurs permettant de stocker
une grande quantité d’informations tout en ayant suffisamment d’autonomie pour
fonctionner, par exemple, une nuit entière. Dit comme ça, on peut penser qu’il
s'agit d’une solution de facilité pour enrichir rapidement sa sonothèque… Il
n’en est absolument rien car cette technique ne peut être fructueuse que si
elle est accompagnée d’un gros travail d’observation sur le terrain. En
d’autres termes, ce n’est pas en posant les micros et l’enregistreur au hasard
que l’on va obtenir des enregistrements remarquables. Et même en menant un gros
travail de préparation, de repérage, de suivi des animaux… le taux de réussite
du piège à son est faible, et le volume de déchet est immense. Il m’arrive
souvent d’enchaîner 10 nuits de travail avec cette technique sans rien en tirer
de bon.
Le travail de studio consiste surtout à parcourir les enregistrements,
à prélever les séquences qui nous semblent intéressantes, à les débarrasser des
événements indésirables, à les archiver, etc. Il est par ailleurs intéressant
de noter que cette technique n’est pas utilisée exclusivement par les
audionaturalistes. À l’heure actuelle, une multitude de « pièges à
sons » très sophistiqués sont utilisés par des scientifiques et tournent
en permanence ou par intermittence dans le cadre, par exemple, du suivi
migratoire de certaines espèces (cétacés par exemple), ou de programmes
d’évaluation de la biodiversité.
En quoi réside la portée artistique d’une telle démarche où le microphone est
dissocié du preneur de sons ?
Cette
question, pour moi, est étroitement liée à l’intention de la personne qui
utilise le dispositif. Un bioacousticien qui utilise le piège à son pour
recueillir des informations afin de faire avancer ses recherches n’a sans doute
aucune prétention artistique. De même pour l’audionaturaliste qui cherche avant
tout à collecter des documents inédits, permettant surtout d’étoffer notre
connaissance de certaines espèces (sans pour autant développer une recherche
scientifique comme peut le faire le bioacousticien). Mais cela ne tient qu’à la
condition de ne pas modifier les documents collectés selon des considérations
esthétiques ! Car à partir de ce moment-là, le preneur de son s’engage clairement
dans une démarche que l’on peut qualifiée d’artistique. Et encore… d’une
certaine façon, poser des micros, même sans arrière-pensée esthétique, c’est
proposer un cadre d’écoute, prendre position, poser son empreinte. Quant à
l’audionaturaliste qui vise à recueillir des « beaux
enregistrements » afin de partager même modestement ses émotions et son
plaisir de l’écoute, installant ses dispositifs avec cette idée en tête et
n’hésitant pas à intervenir sur ses prises toujours dans ce but… clairement…
nous sommes bien en présence d’une démarche artistique. L’audionaturaliste
devient alors phonographiste, artiste sonore, voire musicien ou compositeur
lorsqu’il s’engage dans un réel travail d’écriture, même si ce n’est pas
toujours perceptible.
De plus en plus de curieux s’enfoncent dans les bois à l’automne afin d’aller
écouter le brame du cerf, parfois au risque de déranger les animaux. Comment
expliquer cet intérêt que suscite le brame du cerf ? Comparé à certains
chants d’oiseaux, cette production acoustique animale n’est pourtant pas a priori la plus mélodieuse. Dans
son essai Sang noir. Chasse, forêt et
mythe de l’homme sauvage en Europe, l’ethnologue Bertrand Hell met en
relation « l’ensauvagement » du cerf lors de sa période de rut avec
l’excitation qui gagne le chasseur durant la même période. Depuis des temps
immémoriaux, le cerf occupe d’ailleurs une place particulière dans l’imaginaire
européen du Sauvage. Dans quelle mesure cet attrait pour le brame du cerf ne
relève-t-il pas aussi d’un désir de renouer avec ce « sauvage » dont
l’homme occidental a largement été dissocié ?
Je
pense que l’attrait pour le brame du cerf a de multiples causes… qui relèvent
en effet des champs de recherche des ethnologues, anthropologues, sociologues
et bien sûr de la philosophie. À l’automne, aux abords des places de brame, on
peut observer une multitude de comportements plus ou moins surprenants,
inattendus, et malheureusement inappropriés. Je ne rentrerai pas dans les
détails… Mais il est en effet bien possible que de nombreuses personnes tentent
de renouer un tant soit peu avec la nature sauvage dont elles sont presque
totalement coupées, tout en conservant une peur profonde de la naturalité qui
les renvoit sans doute à leur propre animalité.
Cet événement annuel s’y prête
bien : on a à la fois les animaux sauvages, excités, splendides et
inquiétants (rapides à repérer tout de même) et le cadre rassurant des nombreux
promeneurs, observateurs, badaux, chasseurs… qui ceinturent les places de
brame. Il y a généralement plus d’humains que de cerfs, en forêt, le vendredi
ou le samedi soir, en période de brame. Il m’arrive de temps en temps d’amener
des personnes au brame avec moi (car je suis également guide naturaliste) et je
suis souvent surpris par la violence et surtout l’ambivalence des émotions qui
les traversent. Lorsqu’un cerf s’approche, elles peuvent se retrouver
totalement tétanisées, tout en étant envahies par une forte excitation, un
sentiment puissant et indéchiffrable…
Je me souviens avoir ressenti des émotions
comparables les première fois que je me suis retrouvé totalement seul, la nuit,
dans la forêt, entourés par les animaux. Avec le temps, les émotions évoluent,
le rapport à la nature et aux animaux change. L’excitation est toujours là,
mais elle est désormais couplée d’un plaisir immense de pouvoir s’accorder, ne
serait-ce que quelques instants, au monde des animaux, à leur rythme de vie, à
leur quotidien, à ce qui constitue leur univers. La peur est toujours là, mais
beaucoup plus sourde et maîtrisable ; elle me permet de me souvenir que
s’aventurer seul dans la nature n’est jamais sans danger. Mais honnêtement je
suis arrivé aujourd’hui à un stade où j’ai infiniment plus peur des personnes
que je suis susceptible de rencontrer en pleine nature que des animaux
sauvages, car jusqu’à ce jour je n’ai jamais rencontré aucune de ces
« bêtes monstrueuses » dont on nous parle quotidiennement dans certains
journaux (sangliers fous et autres loups sanguinaires). Il doit y avoir
méprise…
Quant
à la beauté des vocalises des cerfs… on peut en discuter. Personnellement, ce
que je trouve beau, c’est surtout la résonance du brame révélant le
« caractère » du lieu, les connexions qui s’établissent entre les
animaux qui s’écoutent et se répondent, leur répartition et leurs mouvements
dans l’espace. Les temps de silence. Les événements subsidiaires tels que les
chants d’insectes, les divagations d’animaux mal identifiés, les bruissements
de la brume dans les arbres… C’est donc un ensemble beaucoup plus large que le
raire lui-même. D’où le titre du disque.
La plupart des milieux naturels en Occident ont été modifiés par l’homme,
parfois de longue date. Si la captation d’un milieu « complètement »
naturel paraît donc utopique, peut-on dire qu’il y a une aspiration au sauvage
dans le travail de l’audionaturaliste ? Autrement dit, y aurait-il des
sons considérés comme négatifs (ceux issus de la civilisation) et d’autres
comme positifs (ceux de la nature) (ce qui rejoindrait certaines des
conceptions de R. Murray Schafer, un des initiateurs et théoriciens de
l’écologie acoustique dans les années 1970) ?
Tu
as raison : les espaces complètement naturels n’existent plus ou quasiment
plus, du moins dans notre pays. On en trouve quelques résidus seulement, par
exemple sur certaines pentes inaccessibles ou dans certaines tourbières. Du
coup, lorsque j’enregistre une ambiance en forêt, même si je m’éloigne des
sources sonores anthropiques, je ne capte jamais une ambiance purement
naturelle. L’homme est toujours présent dans le paysage sonore, en filigrane,
puisqu’il l’a largement et indirectement modelé.
Ceci dit, le travail de
l’audionaturaliste consiste à mettre l’accent sur certaines composantes du
paysage sonore : les sons du vivant et des éléments naturels (ce que Bernie
Krause nomme « biophonie » et « géophonie ») ; des
composantes de plus en plus malmenées par le foisonnement ahurissant des
émissions sonores résiduelles liées aux activités humaines, généralement
qualifiées de « pollution sonore ». Les sons qui intéressent
l’audionaturaliste existent sur notre planète depuis des décamillénaires,
parfois même depuis bien plus longtemps. La plupart d’entre eux résultent d’un
équilibre (dans le temps, dans l’espace des fréquences et de rythme) issu d’une
longue évolution, en lien direct avec les contraintes acoustiques des milieux.
C’est ce qui explique sans doute le sentiment d’harmonie que l’on peut
ressentir lorsque l’on se retrouve dans un coin de forêt à haute naturalité, au
printemps, en essayant de faire abstraction des bruits d’avion ou de
tronçonneuse au loin. Chaque son semble à sa place, à la fois accordé aux
autres et suffisamment différent pour mener sa propre vie et surtout faire
passer son message. Voilà ce qu’aime célébrer l’audionaturaliste dans son
travail.
Le gros souci, c’est que l’homme est arrivé là-dessus en apportant
une gamme de sons non intentionnels qui évidemment n’ont pas du tout suivi
cette évolution et qui surtout n’ont pas été pensés pour s’intégrer dans le
« grand orchestre » de la nature. Pire encore : on les soupçonne
de provoquer des modifications inquiétantes de comportements chez certaines
espèces animales et donc d’aboutir à des modifications des écosystèmes. Un
phénomène encore largement méconnu malgré la multiplication ces dernières années
d’études aux conclusions sans appel. Je rejoins donc certaines idées de
Schafer, mais sans aucune arrière-pensée théologique, et sans m’enfermer dans
une doctrine… Car je pense malgré tout que l’homme est parfois capable de
produire des sons très intéressants (même de manière non intentionnelle). Il
m’est arrivé d’être profondément ému par le battement sourd d’un haut-fer en
activité ralentie ou d’être fasciné par certaines ambiances industrielles ou
ferroviaires. Par ailleurs, je prête toujours une attention particulière aux
sonnailles, clarines et aux sonneries des clochers qui peuvent également
m’envoûter… Je ne me considère donc pas comme un ayatollah des sons de la
nature mais bien comme un « promeneur écoutant » particulièrement
sensible au tissu sonore du monde, et souhaitant partager tout simplement des
émotions, des plaisirs et parfois des désillusions et des inquiétudes découlant
de cette sensibilité.
Si la dimension écologique est souvent absente du travail de nombreux
praticiens de l’enregistrement de terrain (quand elle n’est pas rejetée par les
adeptes de l’écoute réduite – où le son serait prétendument considéré pour ses
qualités physiques seules, sans aucune référence à la source du son produit et
au contexte de captation), il me semble qu’elle est importante dans la démarche
de l’audionaturaliste. Dans ce sens, quelle peut être la portée politique du
travail de l’audionaturaliste ?
Tout
d’abord, je pense – j’espère – que par bien des aspects les préoccupations des
audionaturalistes et celles des adeptes de l’écoute réduite se rejoignent
quelque part. Ce n’est pas une utopie. Des artistes sonores tels que Yannick
Dauby ou Knud Viktor nous ont largement
prouvé que c’était possible ! Il m’arrive également de m’engager dans des
travaux qui tentent d’aller dans ce sens.
Évidemment,
les audionaturalistes souhaitent généralement sensibiliser le public à la
beauté des sons de la nature et donc par extension ou par opposition à la
dégradation de la qualité des paysages sonores et à sa traduction en terme
d’impact écologique sur les espèces et les écosystèmes. Mais leur portée
politique est selon moi bien limitée…
D’une part parce qu’ils sont très peu
nombreux. D’autre part parce que leur auditoire est très réduit, du moins dans
notre pays. Enfin parce qu’ils sont souvent considérés, par ceux qui en
parlent, comme des écolos faisant l’apologie béate et naïve de la nature la
plus éloignée possible de l’homme. C’est selon moi une contre-vérité car c’est
bien une pédagogie de l’écoute qu’ils défendent, certes timidement ou
maladroitement parfois. Même dans les milieux déjà fortement sensibilisés aux
problèmes globaux d’environnement, certaines questions liées à l’écologie
sonore sont très largement méconnues ou considérées comme secondaires. Aujourd’hui,
les rares discours publics en lien avec l’environnement sonore concernent
presque toujours notre qualité de vie et notre santé. Jamais, ou très rarement,
le fonctionnement des écosystèmes. Encore moins la dimension esthétique du
sonore dans la nature et les paysages. C’est inquiétant car je me demande
vraiment comment il est possible de maintenir ou d’améliorer la qualité de
notre environnement sonore sans se permettre d’en apprécier la beauté…
Le
chemin à parcourir est encore long.
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